Virée à VTT (180 km) dans les collines moldaves. Le lundi, alors qu’il part au travail, j’emprunte son VTT et il me confie les clefs d’une maison de campagne à 30 kilomètres où je vais passer deux nuits en toute tranquillité. Un fait très révélateur des mentalités à Chisinau: les vélos sont inexistants tout simplement parce qu’ils sont synonymes de dénuement et symbolisent la pauvreté. Se déplacer à vélo signifie dans la psyché moldave qu’on n’a pas les moyens de s’offrir un véhicule. La honte…. Je sors de la capitale par la grande route qui part vers le nord vers Balti. J’ai de la chance car il y a de la lumière dans cette petite ville. Du vin, j’ai le pain, et des noix pour la soirée avant de quitter tôt le lendemain vers le site archéologique d’Orheiul Vechi (le Vieux Orhei) qui se trouve dans un défilé rocheux de la rivière Răut où l’on retrouve des vestiges de plusieurs civilisations. A la dernière intersection, les directions de Brest-Litovsk en Biélorussie (à 500 km) et Odessa en Ukraine (170 km) sont indiquées sur de vieux panneaux signalétiques, vestiges d’une Union Soviétique déchue. Je prends une petite route où il n’y a plus de signalisation excepté les noms des villages en cyrillique. En dehors de Chisinau, il faut connaître son chemin sur le bout des doigts. Il m’arrive de traverser des villages désertés par des habitants qui sont allés voir ailleurs (en Russie ou Italie, les deux plus gros réservoir de main d’œuvre moldave). Je finis par buter sur le Dniestr (Nistru en moldave) dont je suis le cours sur plusieurs kilomètres.
Une entité séparatiste soutenue par la Russie. La Transnistrie est un petit territoire séparatiste de 4 000 km² environ, 11% de la superficie totale de la Moldavie avec Tiraspol qui fait office de capitale. La Transnistrie est une région plus russifiée qui n’a jamais fait partie de la Roumanie et très hostile à la réunification avec la Roumanie. Jouant sur cette peur, Igor Smirnov prend la tête du territoire autoproclamé en 1990. Le conflit est en fait davantage une série d’escarmouches qu’une guerre frontale opposant deux armées. Un cessez-le-feu, qui n’a pas été remis en cause depuis, est signé en juillet 1992, mais la résolution du conflit reste inachevée. Faisant fonction de « soldats de la paix », deux russes, Kalachnikov en bandoulière, s’abritant sous des tentes de fortune assurent la sécurité sur le pont par lequel je franchis le Dniestr pour pénétrer dans la petite république sécessionniste, où les Moldaves (32%) forment une majorité relative de la population, devant les Russes (30%) et les Ukrainiens (28%). Ils ne relèvent pas la tête. Seul le vélo un peu voyant pourrait les sortir de leur torpeur. Même s’ils pensent avoir affaire à un cyclotouriste étranger, le problème de la langue va les effleurer et la communication risque d’être difficile. Tant que je n’occasionne pas de troubles graves, ils me laissent tranquille. Sous leurs parkas, ils ont l‘air si jeunes qu’ils donnent l’impression de sortir de l’adolescence. Je passe sans demander mon reste. De l’autre côté de la frontière virtuelle car inexistante officiellement, je sais qu’il y a un contrôle et surtout que le racket y est monnaie courante (de 20 à 100 Euros). Je n’ai que des clopinettes en poche - 10 lei moldaves et 5 grivnas ukrainiens – mais un vélo et un appareil photo numérique ; Je suis bien décider à ne rien leur laisser ; En fait, je dispose d’une bonne carte et évite l’intersection où les soldats transnistriens sont postés. Je transite par une série de maisons potagères et de champs pelés à l’herbe rasée à cause de l’hiver . Je m’oriente au petit bonheur la chance et si je suis repéré, je peux toujours expliquer que je me suis perdu . La route de Tiraspol atteinte, je pédale dans la direction de la capitale et reprends des chemins de traverse avant de rejoindre le pont frontalier. La Transnistrie n’offre rien de différend à mes yeux. C’est le choix d’un modèle politique pro-russe périmé qui se doit de justifier son existence et l’assumer difficilement au regards des instances internationales.

La Grande Roumanie : la Bessarabie rattachée à Bucarest ? Entre 1945 et 1990, presque personne n’a franchi le pont de Sculeni par lequel je sors du pays, sur le Prut, fleuve-frontière hermétique entre la Roumanie et l’URSS pendant toutes ces années où la Moldavie était soviétique. Les premières élections libres tenues en avril 1990 en République socialiste soviétique de Moldavie ont entretenus des espoirs de réunification mais afin de sécuriser la frontière, pour la rendre notamment moins perméable à l’immigration clandestine venue d’Asie, les Roumains entré dans l’Union Européenne et contraint par Bruxelles ont du imposer un passeport à leurs voisins et frères de sang moldaves alors que, depuis dix ans, une carte d’identité leur suffisait pour franchir la frontière. Les paysans frontaliers se rendaient en Roumanie - où le pouvoir d’achat est quatre fois plus élevé - pour vendre leurs produits. Le rêve de la réunification s’est éteint et les Moldaves, juste devant l’Albanie dans le classement des pays les plus pauvres d’Europe, se sont tournés vers l’Est. En Transnistrie sécessionniste (17% de la population), tout comme dans le sud du pays, en Gagaouzie (3,5%) où vivent des turcophones christianisés de sensibilité russe, les gens sont hostiles à l’unification avec la Roumanie à cause de prises de position politiques plutôt que pour des considérations ethniques. La vie quotidienne des Moldaves est extrêmement difficile : même à Chisinau, l’eau courant, l’électricité et le chauffage n’arrivent plus régulièrement. La Moldavie essentiellement rurale et agricole renommée pour sa production fruitière et ses vins fait figure de parent pauvre auprès des Roumains. La principale centrale électrique du pays, Cuciurgan, se situe en Transnistrie, ceci pouvant expliquer en partie les carences et coupures dans la capitale Chisinau. A l’intérieur du pays, les villageois n’ont pas l’eau potable à la maison. Des puits creusés tous les 500 mètres souvent à côté d’une croix à un jet de pierre de leurs chaumières délivrent le précieux liquide. D’autres doivent faire des kilomètres pour s’en procurer. Pas de réseau de distribution d’eau à une poignée de kilomètres de Chisinau, de ses restaurants bondés, de sa vie nocturne tapageuse orchestrée par un pouvoir politique corrompu et largement discrédité, alors que les campagnes habitée par une population désabusée manquent du minimum vital. Voilà un pays débarrassé du communisme où, 15 ans après l’euphorie du grand soir de 1991, les communistes sont toujours au pouvoir et la désillusion est générale. Des inégalités sociales insurmontables, sa Révolution, la Moldavie l’a déjà réalisée. Que peut-elle faire de plus ?

Retour rapide via la Serbie : Je saisis une occasion avec Djihad, commerçant syrien en transit vers Budapest. Quel nom ! Il est le treizième d’une fratrie de treize frères dont la quatorzième est une demoiselle (13 garçons et une fille dans la famille) ! Une autre de ses particularités est qu’il a gagné le loto en Syrie il y a environ cinq ans, une somme rondelette de 500 000 U.S dollars qu’il a dépensé depuis sans compter. Il se retrouve à faire transiter des marchandises – pâtisseries et confiseries - depuis son pays vers la Hongrie où il est marié et a une fille Sara. Je suis deux fois fouillé à l’entrée en Serbie. Est-ce parce que je suis en stop ou bien parce que je roule avec un arabe ? Je lâche Djihad à hauteur de Pozarevac (Serbie) quand il veut s’arrêter à 4h00 du matin pour prendre une chambre d’hôtel (52 euros). J’ai conduit 250 kkilomètres en Roumanie jusqu’à la frontière roumano serbe où il a repris le volant. Il s’est ensuite trompé de route et nous avons perdu 2h00. Au moment où nous nous arrêtons, nous aurions déjà du avoir dépassé Belgrade et être à la frontière serbo-hongroise vers 7.00 a.m. Il lui est plus facile « d’arroser » les douanes de nuit plutôt qu’avec l’équipe de jour. Il attendra donc la journée pour repartir vers 17h00. Je me réfugie dans un vieux bus abandonné derrière la station service déjà occupé par deux chiens qui y ont élus domicile. Je ne semble pas trop les déranger et leur impose ma présence sans pour autant les en chasser. La nuit sur un morceau de moquette afin de protéger mon duvet sera courte mais calme. Pas d’aboiements, ni de gémissements.
7h30 du matin: Après quelques essais infructueux auprès de camionneurs slaves, je décide de marcher jusqu’au péage distant de 500 m et demander au fur et à mesure que les voitures ralentissent les unes derrière les autres. Goran m’embarque après m’avoir demandé mon passeport pour vérification. Il parle très bien l’anglais et nous avons le plaisir de converser sur la situation économique du pays et la place de la Serbie dans l’Europe. Je reste dans son véhicule où à proximité lors de sa réunion dans la capitale serbe et traverse la Sava un peu plus tard avec lui, celle-ci se jette dans le Danube au pied de la fameuse forteresse du Kalamegdan. En traversant par la Voïvodie, je trouve refuge pour la nuit dans une maison qui m’est prêtée par une jeune couple Serbe d’origine hongroise (magyar) car le nord de la province de Voïvodie faisait partie elle aussi de la Grande Hongrie.

A l’Est ou à L’Ouest, les événements se lisent différemment. Dans le petit matin embrumé la première voiture qui se présente s’arrête et lorsqu’elle me dépose, il me reste 2 km à parcourir à pied jusqu’à la frontière que je passe sans anicroches. Je prends soin de passer la frontière seul à pied et en profite pour attraper un véhicule à cette occasion dont le chauffeur était cadre en 1990 dans l’ex-Yougoslavie et touchait 1000 U.S de salaire, une somme considérable à l’époque qui lui assurait un bon niveau de vie. Il a investi et vit de ses intérêts aujourd’hui. Il m’assure que l’Ouest a volontairement provoqué la guerre dans les Balkans et «décomposé » la mosaïque de fédérations de Tito car le pays tel qu’il était aurait probablement refusé l’intégration dans la Communauté Européenne préférant rester en dehors.

D’où est sorti Tujman (Croatie) ? En « divisant pour mieux régner », provoquer le chaos engendré les nationalismes, l’Occident -les Européens selon lui par leur attentisme ne valent pas mieux que les Américains en jouant les bons Samaritains/gendarmes de la planète avec la KFOR - peuvent imaginer un jour l’entrée de chacune des petites entités (Croatie, Bosnie, Hercégovie, Macédoine, Serbie…) dans la C.E.E leur accordant ainsi une faveur de pouvoir joindre ce vaste marché commun au service des multinationales qui se payent le luxe de racheter les entreprises nationales à des prix défiant toute concurrence (à partir de 100 000 euros). Au bout de 3 années tout au plus par manque à gagner dû à une certaine carence de la main d’œuvre locale pas suffisamment qualifiée, l’usine ferme et les produits (alimentaires) sont importés de l’Ouest à un prix inaccessible au plus grand nombre des consommateurs à cause du nivellement des prix exigé par la commission des finances européennes. Le coût de la vie augmente. Comment y faire face avec un salaire de 200 euros ?

Je fais le retour de Budapest vers Strasbourg en un temps record de 11h30 de trajet pour plus de 1200 km de distance. En allant vers Auxerre, le lendemain rejoindre le cours de Satipatthana, le Grand Discours sur l’Etablissement de l’Attention du Buddha basée sur la perception consciente des sensations, je fais route avec Fred. Leconte qui traite lui les sportifs de haut niveau sur le plan émotionnel. Lorsqu’il m’explique sa démarche, je comprends tout à fait qu’il puisse gérer le stress continu d’un compétiteur en faisant un travail sur les émotions. Il sait qu’il devra se tourner vers l’Asie un jour et comprend très bien le travail de Vipassana basé sur l’observation des sensations corporelles liée à la respiration. Quel coïncidence – une rencontre n’est jamais le fait du hasard - et quel parallèle - on peut jeter un pont entre ces deux techniques, l’une qui assure le développement et les performances sportives de l’individu et l’autre à visée plus spirituelle !

*La Bordurie n’est autre que la Transnistrie actuelle. Curieusement l’imagination d’Hergé est confirmé par la triste réalité. La Bordurie est entre les mains d’un dictateur. Ce pays non reconnu n’a pas de nom, en effet Transnistrie veut dire « de l’autre côté du Nistru ». Le Dniestr (Nistru en roumain) est le fleuve qui sépare cette région de la Moldavie. Si la Bordurie est bien la Transnistrie, la Syldavie est donc bien la contraction des provinces historiques de la Transylvanie et la Moldavie (=Syldavie. cf « le sceptre d’Ottokar » Hergé, 1939).