Aventures dans le Haut-Karabagh: Je quitte Erevan, la capitale arménienne baignée par la rivière Hrazdan par la route locale qui longe celle-ci jusqu’à son embouchure dans le lac Sevan, somptueux mélange de nuances de bleu ciel clair et d’eau lagunaire rayées d’un liseré blanc d’une chaîne de montagnes enneigées. Au passage, je visite l’ensemble monastique de Kecharis au même moment que Sevan né à Paris et son père Arménien en pèlerinage sur sa terre natale. Après avoir étudié 4 ans en France, il a préféré le rejoindre en Australie où ils se sont établis laissant sa mère franco-arménienne dans l’hexagone. Avec eux., je fais un saut de puce sur les bords du lac puis nos chemins divergent. Un combi de fabrication soviétique avec gaîté de coeur de la part du chauffeur trop heureux de dépanner un étranger me laisse à la bifurcation avec Gavar. Je file ensuite directement jusqu’à Vardenis, là où les choses sérieuses vont commencer.
Le Haut-Karabagh est une entité distincte de l’Arménie. Il appartenait à l’Azerbaïdjan jusqu’en 1988 quand les premiers troubles sécessionnistes ont éclaté. La guerre s’est soldée en 2004 par l’annexion de la région rattachée à l’Arménie. Un représentant du Haut-Karabagh siège à Erevan et je ne suis pas sans savoir qu’un visa distinct du visa arménien est nécessaire pour y pénétrer. J’ai un point de chute que je souhaite atteindre ce soir et qui d’après mes informations se trouve dans le nomand’s land entre les deux frontières donc normalement accessible avec mon passeport. Pour la suite, j’aviserai.

Une quinzaine de communes françaises jumelées. A Vardenis, je rencontre inopinément Vartan et Gevork, directeur d’école francophone qui revient d’un séjour en France dans la Drome et en Picardie grâce à un jumelage avec Roman (26) où vivent beaucoup d Arméniens. Vartan m’invite à boire un café dans le bureau de son frère avant de continuer la route. J’aperçois une carte qui m’intrigue et que je connais puisque le pays représenté a la forme de la république tchèque. Je mets mes lunettes pour m’en assurer et m’en étonne auprès de mon hôte. Ce détail a son importance. Je prends congé au bout d’une demie heure et sors de la bourgade en évitant de mettre les pieds dans les trous d’eau tant la route est défoncée. Les rares véhicules qui passent slaloment et zigzaguent pour protéger leurs roues des ornières béantes. Deux jeunes m’avancent d’une centaine de mètres puis c’est au tour de trois jeunes interloqués de s’arrêter. Ils se moquent visiblement de moi. J’ai un mauvais pressentiment. Ils n’ont apparement rien à faire sur cette route et me disent venir d’Ashtarak près de Erevan. Je sais que dix-sept kilomètres me séparent de Zodt et 56 km de Yeghegnout où je souhaite arriver ce soir. Entre Vardenis et mon but à atteindre, un col de 2300 m à passer, c’est à peu près tout. Pas de recours possible. L’erreur est à éviter. Je cherche ma carte et fouille en vain mon sac pour trouver mes lunettes. Je dois les avoir oubliée derrière moi et je dois faire demi tour. Voila que mes trois lascars énigmatiques font une pause pipi. Ont-ils bu ? Je prefère leur fausser compagnie et retourner chercher mes lunettes. Je n’ai pas à user d’un faux prétexte car j’en ai réellement besoin. Cet oubli inconscient m’a-t-il permis d’éviter le pire ? J’arête un camion et file en ville directement. Il me dépose devant le bureau où, la porte à peine ouverte, j’apercois le précieux sésame. Le frère de Vartan me demande en les pointant du doigt si elles sont à moi et j’acquiesce. Je peux les reprendre et repartir. Je rattrape vite les quelques kilomètres perdus et cette fois, je roule en pleine confiance de mes moyens pendant une vingtaine de kilomètres avec un combi russe jusqu’à un poste de sécurité où les agents essayent de me retenir. Le chauffeur du combi m’a affirmé qu il travaillait là et sitôt descendu du véhicule, je me suis éloigné à pied. Quelle est ma déception de le voir après un moment me dépasser et continuer sans s’arrêter. Que craint-il ? Je ne sais pas exactement où je suis sur la carte mais je pense que la frontière n’est pas proche. Alors pourquoi cette attitude de méfiance du chauffeur et celle non moins suspicieuse des agents de la sécurité ?

Des indiens dans une mine d or en Arménie ! Au détour d’un lacet, je pose le sac et l’ouvre pour me ravitailler et poursuivre mon ascension quand une jeep survient et s’arrête à mes côtés, un indien côté passager. Dans un anglais excellent, il m’ordonne de monter dans le véhicule. Ce à quoi je me refuse tout d’abord mais je finis par obtempérer. Le passage du col est bloqué depuis hier à cause de la neige, raison suffisante pour me demander de faire demi tour à Vardenis et prétexter une autre voie d’accès vers Yeghegnout. J’ai été mal renseigné sur la route à suivre pour atteindre le Haut-Karabagh. Nous redescendons au poste de sécurité d’où il appelle Hovik - je lui donne le numéro de téléphone - à Erevan pour certifier mes dires. J’ignore que je suis sur un terrain minier aurifère connu depuis 130 ans des Russes et actuellement fouillé par des Indiens qui prêtent leur assistance à l’extraction du minerai, raison pour laquelle je suis “gardé à vue” d’une manière tout à fait courtoise. A la question à propos du rendement de la mine, le sujet est sensible et j’obtiens la réponse:”nous n’avons pas pour habitude de communiquer nos secrets”. Le contact est distant mais sympathique. Je peux même avoir accès à Internet pour envoyer un dernier message avant de pénétrer le nomad’s land. On met plus de temps à gravir une montagne à pied qu’en voiture et voit plus de détails, ce qui a pu rendre suspicieux ma ballade. Je comprends les craintes du chauffeur qui m’a laissé en plan employé par la mine. Il fait la navette avec le puits d’extraction situé au niveau du col et recoit l’ordre de m’y déposer. Les batiments sont dévastés, le plus souvent sans toit, les murs lézardés de toutes parts. Comment aurais pu-je imaginé une mine d’or sous mes yeux si on ne me l’avait pas dit. La neige donne un peu de couleur à ces murs gris, le froid ne permet pas d’oublier le dur combat de l’homme face à la nature ravagée et défigurée par des grues et chariots rouillés. Tout est silence, c’est dimanche.

Retrouvailles dans le col. Un turban sikh orange se détache sur le fond de neige. Harpal est encore içi pour un mois et puis retour définitif à Jalander (Pendjab, India). J’ai un second interlocuteur en anglais. Là-haut, des jeeps vertes et deux combis russes entravés par la neige. Certains sont bien engagés et pris dans la neige tandis que d’autres n’ont pas voulu s’avancer. Deux soldats sont postés dans un containeur – 2 lits superposés et une table le meublent - qui fait office de point de contrôle et de rencontre, lieu de beuverie et bistro à la fois. On passe du café arménien à la vodka indépendament de l’heure (15h30). Beaucoup de couleur kaki à l’intérieur et Gevork, le plus influent de tous, m’adopte. J’ai du mal à rester à l’intérieur tant les hommes fument à la chaine. La fumée m’étouffe et je veux apprécier le magnifique paysage autour de moi. J’avale un petit verre de vodka et croque un morceau de pain sous les yeux des militaires. Est-ce dû à la proximité de la mine d or mais beaucoup d’hommes, passagers ou ouvriers sur le chantier, ont des dents en or. Je sors ensuite tout en me gardant de prendre des photos dans l’immédiat. Arkady vient me voir et me demande si je suis le copain d’Hovik. Avec Gevork, son père, il fait partie du groupe que je dois rejoindre en auto-stop à Yeghegnout. Hovik n’a pas quitté la capitale. Je pouvais bénéficier de sa place vacante dans la voiture et faire le déplacement avec eux mais il a annulé hier matin avant de partir. Ils ont passé la nuit à Vardenis et mis deux jours pour atteindre le col enneigé. La denneigeuse, moteur coupé, semble une machine d’un autre temps. On la démarre comme une tondeuse à gazon avec une ficelle enroulée que l’on tire par a-coups. Elle va pourtant faire preuve de puissance et m’impressionner malgré sa rusticité et vétusté. Arsène, son chauffeur, est hors-pair et fait corps avec elle. Il la monte et la manipule comme si elle était le bras mécanique surpuissant qui lui permette d’évacuer le mètre de poudreuse obstruant le passage. Sa pelleteuse avale la neige qu’elle rejette sur les bas-cotés en monticules informes où la terre et la neige dessinent une ligne de crête aisément franchie à pied. A l’horizon, des bottes de sept lieues sont nécessaires pour franchir les hauts sommets du Karabagh et de l’Azerbaïdjan voisin. Nous avons repris le volant et progressons au fur et à mesure que le denneigement se poursuit. Notre jeep a des problèmes d’alternateur, d’allumage et la batterie ne recharge pas. Gevork cale. Il nous faut deux heures pour redémarrer. Il est assis au volant, ordonne, peste et tout le monde à l’air d’être à son service. Je prends conscience qu’il a du pouvoir et est respecté dû à son rang dans la hiérachie militaire. Toute la caravane est accrochée à nos basques et personne ne rouspète ou prend l’initiative de nous doubler. Sans le savoir, je suis avec le commandant en chef de l’un des cinq corps constitué de 3 régions qui couvre l’Arménie. Il a été en poste pendant dix ans dans la région frontalière où nous nous rendons, ce qui explique qu’il est connu. Il n’abuse pas de son autorité mais se fâche s’il est contrarié. Après avoir essayé de redémarrer en vain avec des pinces, ils essayent le contact avec une tige métallique tandis que Gevork assis à l’intérieur chauffent les fils dénudés du démarreur à la flamme d’un briquet. Ils arrosent aussi le moteur avec de l’essence pour favoriser l’allumage. J’assiste impuissant à l’arrière à ce qui pourrait être l’explosion du siècle.

Encore un petit effort pour franchir la ligne de démarcation. Il est près de 21h00 et mes pieds mouillés pour avoir marché dans la neige ont froid. Arthur, la trentaine, dont les parents étaient originaires de Lettonie, s’entretient avec moi entre deux essais infructueux. Il a trois enfants, vit à Yeghegnout et m’invite à dormir chez lui. Il est passager d’un “marshutka” (minibus collectif). Nous réussissons finalement par remettre le moteur en marche et le cordon de véhicule glisse sur la neige dégagée, les uns derrière les autres. A deux reprises, le convoi ralentit à cause d’ornières géantes. Le passage délicat plus facile pour les jeeps que pour les combis demande de la dextérité et de l’assurance de la part des chauffeurs. Notre voiture chargée de commissions en vue d’un anniversaire à fêter cale à un moment crucial au plus haut de la butte entre deux énormes trous. Je suis sceptique. Nous devons pousser le véhicule assez fort, lui donner de l’élan, le démarrer afin qu’il ne retombe pas dans l’ornière sinon nous serons bloqués pour la nuit. Je sens la jeep tomber dans le trou boueux, épouser sa forme, remonter la courbe et continuer sa course sous les impulsions des bras puissants qui la propulsent sur les petites montagnes russes. A deux reprises, le moteur hoquette et finit par s’emballer. Nous rejoignons le véhicule en courant dans la boue trop heureux d’avoir échappé au pire. Les barrières délimitant le Haut-Karabagh de l’Arménie sont franchies sans problème. Lorsque les soldats reconnaissent Gevork, ils se lèvent. Aucun contrôle d’identité n’est effectué peut-être aussi à cause de l’heure avancée de la nuit (23h00). Je reste bien sagement assis à l’arrière du véhicule veillant à ne pas pointer le bout de mon nez sous mon bonnet. Ce que je perçois de l’extérieur est un paysage de désolation en ruines. Des maisons parsemées sans toit avec peu de vie. De hautes parois rocheuses forment un couloir étroit et enserrent la rivière Tartar, véritable goulot d’étranglement dans lequel on ne peut échapper à un guet-apens Pour preuve, ces tombes collectives au pied des falaises en mémoire de soldats tombés au combat pendant le conflit (1988-94). A dix kilomètres de distance, deux tanks rouillés dans la vallée jalonnent des espaces verts plus ouverts. Nous parcourons 25 km avant d’arriver à Yeghegnout et montons sur les hauteurs avant atteindre un repaire digne d’un nid d’aigle. C’est tellement pentu que je demande presque à mettre pied à terre tellement je suis peu rassuré. Je crains que la jeep cale dans la montée et reste en rade. Ce sont mes dernières frayeurs de la journée. Anna vient à nous avec une bassine pour nous laver les pieds à tour de rôle. Son mari a la priorité, son fils Arkady puis vient mon tour. Je n’en demande pas tant mais ne peux pas l’éviter. Cela fait un bien fou et délasse des fatigues de la montagne. Le rôle des hommes a des limites qu’ils connaissent. Ils sont servis et n’iront pas derrière certains gestes qui n’appartiennent qu’aux femmes. Anna est loin d’être opprimée et dans les jours qui vont suivrent, je vais me rendre compte qu’elle est tout simplement une mère aimante extraordinaire et une épouse attentionnée.

Préparatifs de l’anniversaire d’Anna. Le lendemain, nous nous levons tard. Je fais connaissance avec Arthur, le frère d’Anna, sa femme, ses deux fils et sa fille, tous cousins d’Arkady. Armen – prénom donné d’après le nom de la plus puissante tribu de la région et qui a donné son nom au pays – second fils de Gevork, soldat en poste à sept kilomètres suit les traces de son père et a obtenu une permission exceptionnelle. Ils habitent tous dans une ferme sur un haut plateau difficile d’accès. Apres la guerre et les massacres de 1988 jusqu’en 1994, les maisons et habitations ont été attribués selon le cadastre à qui voulait bien occuper les lieux, une façon de faire revenir les gens pas nécessairement ceux qui avaient fui à l’étranger, faire revivre la région et susciter de nouveaux investissements. Gevork a choisi en priorité une belle proprieté dans laquelle sa famille est installée depuis deux ans. Il a domestiqué un marcassin qu’il a ramassé dans les bois il y a quelques années et nourrit chiens et cochons avec du lavash (pain local). Il est fier de me montrer ses projets en cours de réalisation et l’avancée des travaux.
Dans l’après midi, un cochon dans le coffre, nous nous déplaçons pour le déposer et j’en profite pour visiter sur le parcours Dadivank, une très belle église fortifiée du 11 ème siècle qui nécessite un très gros travail de restauration. Les Azéris ont détruit les fresques intérieures car l’islam interdit la représentation des visages. Les Azéris ou les Turcs sont les ennemis héréditaires des Arméniens dont le pays fut successivement occupé par les Romains, envahi par les Arabes (en 640), les Turcs, les Mongols, les Perses puis les Russes (dès 1813) avant la proclamation d’une république indépendante en 1918 puis de nouveau en 1991 après avoir fait partie de l’Union soviétique à partir de 1921.
Gevork nous dépose à 3 kilomètres de la ferme et nous finissons à pied. Nous croisons Michel, père prolifique de dix enfants, qui nous invite à boire un coup. Arkady accepte une dizaine de minutes qui vont s’éterniser. Autrefois en poste en Crimèe, Michel, généreux m’offre une bouteille de vin rouge que je promets de rapporter en France et lui faire voir Paris. Il la signe avant que je ne l’emporte.
Magicien, Gevork revient à 22h30 avec deux porcs dans le coffre, un noir et un blanc. La mise à mort est cruelle. Les cochons égorgés, les têtes détachées, les trois chiens d’origine sibérienne sentent l’odeur du sang et se mettent à aboyer. Rien ne semble retenir Baïkal (le lac), Laika (la chienne envoyée dans l’espace avec Spoutnik) ou Kazbegi (massif montagneux de Géorgie). Gevork les libère de leur cage, ce qui les calme un peu. La peau est décollée et la découpe de la viande est finie vers minuit. Je ne m’attendais pas à de pareils délais et vais dormir un peu. Arkady me réveille à 2h15. J’aide à relever les dernières chachlik (brochettes) et m’asseois à table avec Arkady et Hayk, étudiant dans la capitale Karabagh, Stepanakert autour d’une autre bouteille de vin rouge karabashtsie. Anna est toujours aussi occupée à servir et superviser l’intendance quand le gâteau est apporté. Les bougies soufflées, les tables reculées, on peut commencer à danser. La nuit finit quand le jour se lève mais je suis déjà parti dans d’autres bras sous d’autres cieux.

Naturisme. Après une journée de repos, j’envisage partir sur une piste de 26 kilomètres dont huit sur la route principale à Martakert dépourvue de moyens de transport. Je rends visite à Arthur et reçois les informations du journal TV5 concernant la présidentielle avec 4 jours de retard. Je le quitte à la mi journée et rejoins à pied le croisement puis commence à m’engager sur la piste qui doit me mener à une source d’eau chaude. Au bout d’une centaine de mètres, je passe sous un tunnel taillé dans la roche. Je poursuis dans la pénombre pendant une cinquantaine de mètres avant de retrouver la lumière du jour. Je rattrape Astride de retour de Erevan qui est descendue au croisement et est passée par Stepanakert car le col est de nouveau enneigé. Presque 500 km au compteur, une nuit difficile, il lui faut maintenant regagner sa maison dans le village d’Astarav à 15 km. La pauvre est visiblement ereintée et marche avec des chaussures à talons si usées qui ont du être vernies il y a bien longtemps. Elle garde le sourire. Je fais un brin de causette et la dépasse. Arrivé à la source, je profite de mon temps libre dans un décor grandiose et somptueux. Je saute du rocher sur lequel est posé l’appareil photo, le retardateur enclenché, quand j’entends un déchirement au niveau du mollet. Je sens la douleur le pied à terre. Quel idiot ! Je risque de ne pas pouvoir faire le retour. Je profite pleinement de trois heures de bains à 45 degrés, jacuzzis inclus sans supplément. La force avec laquelle l’eau est expulsée du sol maintient mon corps à l’horizontal. Il suffit de présenter à la source une partie du corps et un massage naturel assez efficace produit son effet relaxant. La piscine tout à fait naturelle constituée de concrétions sulfureuses est un bassin de 6 mètres de diamètre et un mètre de profondeur. J’ai rarement bu une eau chaude aussi pétillante. Un vacher vient voir ses vaches et ses chevaux et les regroupe. Il me salut d’un mouvement de bras. Je gagne encore une heure de bain mais abrège à cause de mon muscle déchiré. Au moment de quitter (19h15), je recroise Ago la soixantaine qui va rentrer son cheptel. Dans un anglais impeccable, Il m’explique qu’il est Arménien avec la double nationalité américaine et syrienne. Il a vécu à Los Angeles pendant 20 ans puis en Syrie avant de venir s’installer içi tout seul. Il m’invite à l’attendre à l’entrée du village et à rester pour la nuit si je ne peux pas continuer à marcher. Je le remercie mais pense poursuivre tant que le muscle est chaud. J’atteins effectivement la route principale vers 22h00. Il n’y a pas cinq minutes que je marche que des phares balayent la nuit claire. Une Lada 4x4 avec à son bord un policier s’arrête après que j’eusse crié: «Yeghegnout». Masis – Grand Ararat en langue arménienne – s’enquiert de mes tribulations. Les trois hommes connaissent Gevork et décident d’un commun accord de me déposer à la propriété. Il est 23h00 quand je rentre. Je m’enduis de crème. Un repas en famille de pâtes baignant dans le beurre accompagné de matsoum (yoghourt) et d’herbes du jardin frites me ravigore.



Il m’est vivement conseillé d’aller “ revoir mon Armenie”… Le surlendemain, Masis fait son apparition et me demande mon passeport. Il enregistre mes coodonnées et me dit qu’un visa est nécessaire pour le Haut-Karabagh. Je feins d’ignorer la loi. Il n’insiste pas et se montre coopératif. Il me propose de le prendre à Stepanakert (140 km) lors de mon passage dans la capitale. Nous sommes vendredi et les administrations seront fermées demain et dimanche. Vu qu’il y a peu ou pas de véhicule qui transitent, je lui dis que je préfère peut-être faire demi tour et repasser le col. Après tout, j’ai eu un aperçu du Haut-Karabagh. Pourquoi aller au devant de contrôles tatillons et rencontrer des difficultés une fin de semaine alors que je n’aurais plus de couverture miltaire. Je peux encore voir quelque chose de l’Arménie si j’y retourne maintenant. Un camion chargé de carcasses d’animaux en décomposition arrive au bon moment. Masis s’adresse au chauffeur qui accepte de m’embarquer jusqu’à Vardenis. Un combi russe le talonne. Ses sept occupants dont un accordéoniste font une pause vodka déjà bien imbibés et invite mon chauffeur. Après deux heures de libation en musique, sur le chemin du col, la bouteille dans mon sac ne résiste pas aux soubresauts et chocs engendrés par la conduite cahotique et catastrophique du chauffeur. Nous manquons même de faire un saut dans la rivière. En contrebraquant trop rapidement, au lieu de tomber à pic dans l’eau, le moteur cale attaquant et labourant le flanc de la colline. Les passagers dans la cabine ont du avoir peur. Je suis toujours à l’arrière avec les carcasses. L’odeur ne m’incommode pas. Ma survie est plus importante que le reste et je ne donne pas cher de ma peau s’il continue à conduire de cette facon dans l’ascension du col. J’extrapole déjà : si le camion se renverse, je saute de la remorque. Dans le cas où elle se renverse sur moi, je n’ai aucune chance de m’en sortir. Deuxième pause vodka passé la première barrière frontière du Karabagh. Mon sac pue la vinasse. Dans la remorque, le vin et le sang gouttant des têtes ovines ensanglantées se sont mélangés. Même couleur, odeur différente. J’attrape mon sac, descends de la remorque, le vide pour en retirer les tessons et débris de verre, le refais et quitte toute l’équipe. Je suis décidé à continuer à pied seulement. Un peu plus haut, la chapka étoilée sur le rebord de la fenêtre, l’homme de garde assoupi ou assomé par l’alcool, je passe la frontière en baissant la tête sous la barrière. Un changement de direction à 50 mètres. Pressé, je me déchausse et traverse la rivière rugissante. Deux hommes de l’autre côté m’attendent et me demandent ma nationalité. Ce n’est pas la direction de Vardenis. Il fallait prendre l’autre voie. Demi tour quand j’entends les moteurs vibrer et se rapprocher. Il ne manquerait plus qu’ils me passent sous les yeux. Je n’ai pourtant pas l’intention de les reprendre. Je décline l’invitation du camion à sauter dans la remorque et fais de même avec l’équipe de pochards dans le combi. J’en aurais mal au coeur si je montais tellement ils sont à l’étroit, crient plus qu’ils ne chantent et continuent à boire. Au tournant, le camion à l’arrêt, le chauffeur urine puis la main sur le coeur me prie de monter. Il se sent responsable vis à vis de Gevork auquel il a promis de me déposer à Vardenis. Le col est encore loin. Ma renonciation au transport et mon choix de continuer à pied l’ont peut-être fait réfléchir. Je saute dans la remorque. La fraicheur du climat en altitude lui permet de garder l’attention et de rester éveillé. A Vardenis, j’attends Vartan devant son bureau. L’un des saoulards qui n’est autre que son frère, celui qui m’a remis les lunettes oubliées sur le bureau, m’a demandé de prendre des photos et les importer sur l’ordinateur. Il dîne avec ses compères tandis que j’attends devant la porte. Il finit par venir après que Vartan soit déjà arrivé. Ce dernier joint Gevork, le maître d’école, occupé aux préparatifs d’un marriage. Vartan m’ouvre la porte de son entrepot en chantier dans lequel un vieil homme Rachik veuf, trois enfants adultes à Erevan, sert de main d’oeuvre comme homme à tout faire (platrier, maçon…). Le bec Bunsen ouvert pour se chauffer, il m’accueille amicalement à l’étage et m’offre du matsoum. Je dors au rez-de-chaussée et cuisine quelque chose de consistant après toutes ces émotions. Au réveil, je ne peux me résoudre à quitter le lieu sans débarasser 200 kg de débris au premier étage à descendre dans le jardin. Ceci fait, je rejoins la capitale.

Tours et détours dans ce confetti, petit pays à taille réduite. Vue spectaculaire depuis l’ancien site d’Erebuni à Erevan. J’emprunte une bicyclette et fais l’aller-retour à Echmiadzin (50 km), capitale religieuse du pays où vit le chef de l’église apostolique arménienne, le Catholicos, le “pape” des Arméniens. Une autre escapade d’un jour me conduit à Garni, un temple païen car construit par les Romains avant que le pays ne devienne chrétien et Guehart, un monastère dont les quatres églises ont été creusèes dans la roche. Elles sont situées à différents niveaux, décalées et à cheval les unes par rapport aux autres dépendament de l’endroit où la falaise a été investie. Trois d’entre elles impressionantes forment un agglomérat dont l’entrée principale est unique, les deux autres étant des annexes de la principale. Elles dégagent une impression de rusticité qui donne tout bonnement à la pierre sculptée et entaillée ses lettres de noblesse, testament de ce que l’Humain a pu créer par la grâce de Dieu.
Dans ce pays confetti à l’histoire mouvementée, je visite un village arménien bombardé en 1994 où les gens vivaient au début du 20 ème siècle dans des grottes. Gnatela, professeur d’anglais, a lontemps vécu en Russie et est revenue vivre sur la terre de ses grand-parents. Elle réside avec ses deux frères officiers de l’armée. Quand je la quitte, après ma visite au village troglodytique, je continue à pied plusieurs heures en descente en suivant un petit cours qui se jette dans la rivière Voratan. Avant de l’atteindre, un village totalement détruit pendant la guerre dans lequel une femme seule bêche un lopin de terre qu’elle a osé réinvestir. Les toits se sont envolés comme si le souffle puissant d’une explosion était passé par là. L’effet destructeur n’a laissé aucune vie derrière soi. Le silence témoigne de la violence des évênements. La beauté du paysage sauvage qui n’a pas eu à souffrir de la guerre laisse espérer un retour à la vie rurale. Peu de gazouillements mais mon petit cours qui sinue entre les carcasses criblées de balles assure un peu de vie. Je suis de nouveau dans le Karabagh attentif où je mets les pieds car la région peut regorger de mines BASM enfouies à quelques kilomètres de l’Arménie voisine. Le bétail régulièrement traîne ses sabots au mauvais endroit et s’envoit en l’air. La piste enfin regagnée, un propriétaire laitier m’invite à faire une pause. Il m’offre du matsoum, yaourt local, à volonté. Voila qui pourrait m’endormir mais je décide de me rendre dans le sud du pays jusqu’à l’Arax, seul fleuve arménien – les autres cours étant des rivières - frontalier avec l’Iran et qui se jette dans la mer Caspienne.

Retenu et interrogé par la police à Meghri. Voila une idée qui va jeter le doute et la suspicion sur mon comportement. Qu’est-ce qu’un Francais peut bien venir faire dans cette petite ville du bout de monde ? En montant les escaliers pour prendre de la hauteur et avoir un point de vue sur la bourgade, je passe devant le commissariat. L’un des policiers assis sur un banc dans le jardin m’interpelle et me demande de venir. Dans un anglais approximatif, il me pose quelques questions qui ne semblent pas anodines mais ciblées et intéressées. Un bus iranien m’a déposé à 8 km de la frontière, là où j’ai pu jeté un coup d’oeil sur l‘Arax et faire demi tour vers le centre ville pour y rester pour la nuit. Il est 20h00. L’interrogatoire qui, officiellement n’en est pas un mais y ressemble de plus en plus, traîne en longueur. Je suis invité à l’interieur du bâtiment à diner avant que le chef de l’éxecutif ne vienne à son tour me “chatouiller”. Ils ont appelé une professeur de francais qui par téléphone interposé fait fonction de traductrice et ont résolu mon problème d’hébergement en me gardant pour la nuit. Je m’impatiente car toutes les dix minutes, ils me répètent à tour de rôle qu’ils sont dans l’attente de la clef pour ouvrir un bureau annexe dans lequel je peux passer la nuit. Celui-ci accessible, le sofa ouvert bien que complétement désarticulé m’acceuille pour un repos bien mérité. Vers 23h00, à peine endormi, un policier me demande de venir à l’acceuil et c’est au tour des garde-frontières russes de me “cuisiner”. Je m’énerve juste ce qu’il faut pour leur faire comprendre qu’il vaut mieux me laisser en paix. Dans un pays aussi réduit, comment faire pour ne pas aller jusqu’à la frontière et retourner par l’unique route qui le traverse ? Je veux bien que le pays ait été envahi à plusieurs reprises, ait perdu ses limites territoriales plusieurs fois et qu’il soit sensible à ses points de passage frontalier mais je n’ai pas à en payer le prix. Je leur demande qu’ils téléphonent au consulat de France pour demander des explications, ce qui a pour effet de les calmer. Ils essayent de tomber dans la banalité en me parlant foot mais je les envois paître et me retire dans mon pré carré. J’ai mis un point final à la discussion. Ils restent à débattre bruyament mais mes boules Quiès amoindrissent leur brouhaha. Je quitte le matin à 7h00 comme convenu non sans être conscient qu’ils sont capable de retarder mon départ et me questioner en matinée. Deux Australiens successivement venus conseiller les Arméniens pour extraire de l’or me sortent des limites de la municipalité. Le second se rend à Erevan pour continuer vers Londres le lendemain. Je descends à la croisée des routes qui mènent à un splendide monastère niché au fond d’une vallée encaissée dans des gorges. La route s’elève doucement et c’est l’évêque en personne qui s’arrête et me conduit dans sa retraite où je partage le déjeuner avec lui. Il sourit et me dit.”tu pourras dire qu’aujourd’hui, l’évêque était ton chauffeur !”: Il me dit que je peux lui faire signe la prochaine fois et rester avec lui. Je n’aurais aucun problème avec la police si je l’accompagne. En le quittant, je croise des membres d’une association ornithologique de protection des oiseaux qui retournent à Erevan.

Je passe une dernière journée dans la capitale avant de me rendre à Spitak, épicentre du terrible tremblement de terre en 1988 et continue vers Gyumri, capitale de la région de Shirak qui porte un nom homonyme que nous connaissons bien. Des Arméniens m’ont affirmé que la visite du Président Chirac a eu pour but non officiel de faire des repérages afin qu’il puisse venir un jour s’y retirer. Toujours en ayant le sens de l’humour, ils affirment que le plus haut sommet de l’Arménie est en dehors du pays ! Depuis l’antiquité, Le mont Ararat, volcan où, selon la Bible, l’Arche de Noé se serait échouée est le symbole national de l’Arménie. Situé aujourd’hui du côté turc de la frontière, il est visible depuis une large partie du pays mais demeure inaccessible car les relations diplomatiques entre les deux pays sont inexistantes donc pas de poste-frontières ouverts. Il me faut passer par la Géorgie pour ressortir du pays et ensuite la Turquie. Ironie du sort, l’unique possibilité de la journée après le refus d’un chauffeur de m’éloigner du passage frontalier très peu fréquenté est un convoi de camions qui se rend en Iran dont j’étais proche il y a deux jours. Ils vont chercher des voitures de marque française fabriquées à Téhéran (Iran) qu’ils déchargent dans un entrepot près d’Istanbul d’où elles repartent en bateau à travers la Mer Noire vers la Russie. Je longe de nouveau la frontière Arménienne à rebours mais côté turc. Je retrouve et le traverse cette fois-ci, le fleuve Arax qui prend sa source en Anatolie dont les pluies ont subitement grossi le lit et provoque des innondations. Je vais même jusqu’à atteindre le pied du mont Ararat et aperçois les lumières de Erevan de nuit de l’autre côté de la frontière fermée. Je le contourne avant d’atteindre Dogubayazit et lui tourne définitivement le dos en repartant dans le sens contraire vers l’Ouest direction Istanbul distant de 1800 km. Cela me laisse le temps de méditer sur l’histoire de ce pays dont le peuple a souffert depuis des siècles, ilot de chrétienté au milieu de terres hostiles à son existence et qui doit sa survie grâce une vigilance constante sous peine de disparaitre de la carte. Arménie, mon amie, je te quitte pour aller retrouver ma Normandie !