Ca y est ! Sur le départ alors que tous nos camarades de classe sont la plupart partis dans les centres de méditation, nous prenons la clef des champs et a nous l'aventure. Nous respirons dés les grilles de l'université dépassée un bon bol de liberté. Kusum la Népalaise et Sila l'Indien nous accompagnent autour du petit lac pour donner l'impression que nous ne quittons pas en duo. Ce matin, en allant acheter du sucre, j'ai refermé la porte de ma chamber derrière moi en oubliant la clé à l’interieur et me suis retrouvé enfermé...dehors! J'ai pu retirer deux vitres et me glisser dans mon repaire. Ils nous accompagnent jusqu'à la route de Prôme où nous tentons le "pouce magique". Loin d'être convaincant dés la première fois, nous persévérons et obtenons gain de cause. Nous quittons rapidement les environs de la capitale mais il nous faut 2 heures pour atteindre Hmawbi distant de 20 km. Cela peut s'expliquer par le fait que le nucléus ITBMU exerce une attraction et souhaite que le couple endogame reste dans son champ de gravitation. Un obstacle à contourner. Sorti du champ magnétique dont le pouvoir se situe au niveau du centre de méditation Chanmyay, nous faisons route avec diverses occasions successives. Nous avons parcouru 100 miles vers 16h00 et le temps est venu de nous poser grâce à un "Dagaji" qui, d'après les dires de Zéba est une personne qui soutient (mécène, sponsor). Il nous propose d'arrêter un bus et de nous asseoir dans son restaurant où d'innombrables bus marquent une pause-repas. Quel bienfait que ce goûter et cette douche si généreusement accordé. Nous finissons en bus (air conditionné) après en avoir refusé un premier. Nous descendons au niveau du pont sur la rivière Irrawaddy juste avant l'entrée de Prôme. Nous faisons faux-bond à la pagode Schenandaw et faisons demi tour sur quelques mètres avant de grimper un petit escalier. En haut, un petit bâtiment en brique et censé abrité 7 moines. Il y a une petite tonnelle dont nous utilisons le banc de planches et de pierres comme couchette 3éme classe extra dure. La nuit s'avére courte du à l'invasion répétée des moustiques et autres insectes agressifs de la même famille. Nous songeons à lever le camp vers 4h00 du matin mais réellement nous nous mettons en branle 3/4 d'heure plus tard. Nous débouchons sur le péage que nous n'avions pu apercevoir hier soir. Nous avions vu le barrage de surveillance de l'armée avant de passer le pont et cela nous a fait reculer. Nous n'avions nullement envie d'une série de questions-réponses à cause de notre état de fatigue avancé. Ce matin, je pense sincèrement que nous aurions peut-être été mieux "logé" et accueilli à la caissette de péage.

Mindon, ancienne capitale où se réfugia le roi. Nous buvons un café et faisons route d'une seule traite avec un pick up jusqu'à Mindon. Nous y sommes très rapidement accueilli par deux officiers de l'immigration. En arrivant dans le village, le chauffeur a informé un indicateur qui a filé en vélo jusqu'au bureau de l'immigration pour reporter notre visite et nos projets de traverser la chaîne de l'Arakan. Inutile de se faire des idées. Impossible de nous laisser partir sous le faux prétexte de la sécurité. Je leur réplique qu'il n'y pas de danger en forêt sauf celui de voir des activités délictueuses non autorisées par les conventions internationales comme l'abattage du bois de teck. S’ils veulent nous refouler, je leur demande de nous procurer un moyen de transport jusqu'à l'intersection de la route qui relie Prôme à la côte. J'obtiens gain de cause. Ma Hte Hte sera notre gardienne et elle nous offre la pension complète pour 24h00. Nous profitons de l'après midi pour visiter les soeurs RNDN. A 8h00 le matin, je descends l'escalier pour me retrouver avec le plus gentil des deux officiers. Je le reconnais bien qu'il soit en civil. Il est venu s'assurer que nous ne quittons pas les lieux pour entrer en forêt incognito. La matinée est réservée à une visite guidée par Ma Hte Hte du tour de la bourgade. Le second officier de l'immigration, le supérieur le plus borne et teigneux des deux, est venu voir Ma Hte Hte à la fin du petit-déjeuner et n'a pu s'empêcher de nous suivre. Il lui a demande si ça ne nous dérangeait pas s'il nous accompagnait. J'ai objecté que nous ne le voulions pas avec nous mais il s'est imposé, abus de pouvoir évident et manque de courtoisie de sa part. Nous finissons notre déjeuner tranquillement. Zéba s'inquiète car une arrête m’est restée en travers de la gorge. Je tousse, reste muet quant à la profondeur et la dangerosité de l'incident. Elle est du genre à s'affoler. Je prends soin de me rafraîchir le corps et nous sautons dans un vieux pick up hors d'usage surchargé de passagers. Les siéges de devant nous ont été réservés mais je sens qu'il est préférable d'annuler et refuser ce déplacement obligé synonyme d'expulsion dans les conditions de securite non suffisantes. Mes pressentiments se confirment alors que à peine sorti du village, le véhicule peine à grimper une pente accentuée. Les freins chauffent lorsqu'il se met subitement à reculer. Tous les passagers doivent descendre et monter la butte à pied tandis que le chauffeur, jeune et inexpérimenté, tente vainement de rapprocher le pick up du sommet. Il y a de véritables "montagnes russes" à venir dés que nous quitterons Mindon et il risque de les descendre à folle allure pied à fond sur la pédale et les remonter tant bien que mal par à-coup. Nous craignions pour notre sécurité, raison suffisante qui me pousse à débarquer les sacs. Je demande à Zéba de les garder tandis que je cours pied nus rejoindre la maison de Ma Hte Hte. Elle téléphone à l'officier pour le mettre au courant. Un de ses employés m'emmène au bureau de l’immigration où l'on me demande d'attendre. Je veux dans l'immédiat rejoindre Zéba. Le supérieur est mécontent. Cela pose visiblement problème si nous restons une nuit supplémentaire. Je lui signifie que nous sommes prêts à partir demain matin vers 4h00 ou 5h00 si ça peut l'arranger de nous expulser si tôt. Je lui certifie que nous avions l'intention réelle de partir. Il a refusé notre sortie en forêt sous prétexte de se soucier de notre sécurité mais avec ce pick up, elle est sévèrement mise à l'épreuve et je ne veux pas courir ce risque. Il paraît impératif que nous ayons quitté Mindon aujourd'hui.Il se démène pour trouver un véhicule convenable. Une Jeep verte du gouvernement s'avance mais elle n'offre pas apparemment toutes les garanties. Il doit se rabattre sur un cabriolet pick up couvert à l'arrière appartenant probablement à un particulier qui s’est vu offert une prime de déplacement au prorata du nombre de kilometre effectué. Les deux officiers embarquent avec nous, le teigneux à l'avant et le subalterne à l'arrière nous tenant compagnie. Le voyage est rapide jusqu'à l'intersection de la route qui relie Prôme à Toungoo (54 miles). Juste une pause déjeuner rapide pour les fonctionnaires à l'endroit même où notre pick up a fait une pause hier. Ils nous déposent au poste de contrôle tenu par l'immigration à la sortie d'Oa chit min. J'ai refusé de serrer la main ce matin au supérieur qui me la tendait et ai préféré une salutation les mains jointes à la mode asiatique. S'en est-il offusqué et m'en porte-il-rancoeur ? Toujours est-il qu'il refuse les remerciements que je lui adresse avant qu'il ne reparte.

Aucun véhicule n'apparaît avant que le premier bus ne se pointe vers 19h00. Les contacts sont cordiaux et agréables avec les fonctionnaires et les vendeurs des baraques de l'autre côté de la route. Je décide d'embarquer dans le premier bus convenable ne faisant pas fonction de bétaillère. Un bus où l'on puisse respirer sans y être compressé. Quitter le poste et ensuite ne descendre du bus plus loin sur la route qu’au cas où les gars n'accorderaient pas la gratuité du transport. Nous prenons nos aises et commençons à étaler nos duvets et sac à viande à la première halte, en fait un second poste de contrôle distant de 25 km. Lorsque l'on nous demande le prix du passage, nous sommes heureux de dire que nous préférons descendre. Il est 23h00. Nous trouvons refuge dans une pièce ouverte sur la rue et faisant office de bureau d'enregistrement (pour quel papiers ?). Accepté puis refusé. Résolus à quitter à pied, les soldats ont préféré nous laisser nous allonger a l’endroit convenu et passer la nuit. Au matin, le chef nous remet entre les mains d'un Kalama (d'origine indienne) qui nous dépose juste avant la barrière d'immigration de Toungoo. Nous en avons passé une troisième en cours de route; cela fait donc 4 contrôles sur un peu plus de 50 miles (80 km). Nous approchons la dernière barrière à pied et une fois atteint l'entrée de Toungoo, nous pénétrons dans le premier monastère d'importance sur notre gauche. Introduit par un motocycliste, docteur en herbes traditionnelles de son métier, bredouillant l’anglais et le birman, nous expliquons que nous souhaitons rester deux nuits. Pour appuyer notre démarche, nous présentons les papiers à en-tête de notre université. Le supérieur nous demande d'attendre tandis que notre docteur nous quitte afin de requérir l'autorisation des autorités compétentes. Il revient avec une réponse négative. Nous décidons de nous déplacer et comprenons que les détenteurs du pouvoir exécutionaire sont nos amis les agents de l'immigration dont nous venons de passer les limites. Ils ont insisté pour enregistrer nos passeports et j'ai du baisser les bras et les leur tendre. Ils ne connaissent pas nos centres d'intérêt et réels motifs de notre présence dans le pays. Nous obtenons gain de cause sans mal au vu et lu de nos papiers fournis par l'administration. Quitte à obtenir la permission d'être héberger dans le monastère, autant y demeurer au moins deux nuits. Une grande pièce genre salle d'audience est mise à notre disposition et nous prenons notre déjeuner à la suite des moines dans la salle à manger à l'étage supérieur, quartier où le sayadaw demeure. Nous filons le matin au port par des voies de traverses; chemins de terre longeant le fleuve qui rejoignent la route asphaltée pleine de nids de poule par laquelle nous l'atteignons en remorque auto tractée, style tuk-tuk thailandais. Nous n'avions pas encore essayé ce moyen de transport. Cela ébranle un peu les côtes et secoue le dos. Un ferry décolle à 12h00 pour Sittwe (6000 kyats prix local soit un peu plus de 5 U.S et 9 U.S pour les étrangers).
4 départs par semaine, dimanche à midi et mardi, jeudi, samedi à 19h00. Nous laissons passer notre chance et quittons de la même facon pour rejoindre en temps notre temple et déjeuner copieusement.
Ballade dans l'après midi jusqu'à une réplique du rocher de Kyaithiyo et de la pagode Scwedagon. Un pont piétonnier où l'on essaye de nous racketter au passage et le quartier du marché retient notre attention. A revoir demain matin avant de faire les préparatifs et quitter vers 15h00.
Toungoo, gros point noir sur la carte de Birmanie est en réalité un gros bourg que l'on parcourt facilement à pied. Une concentration de professions liées aux activités maritimes et forestières en fait un point de transit obligatoire. Les transports maritimes avec la capitale sont plus aisés que ceux par voie terrestre vu l'enclavement de la région située au pied de la chaîne de l'Arakan qui la coupe de la plaine birmane. Nous quittons à pied passé le coup de chaleur. Dans le but d'éviter le "café du coin" et les cancans, je prends des raccourcis et mène Zéba en galère dans les rizières. Heureusement qu'elle a enfilé un pantalon sinon elle aurait les jambes éraflées. Mon itinéraire finit en queue de poisson car nous devons marcher sur les murets de terre qui surplombent les canaux partiellement innondés. Nous devons sauter la dernière parcelle au sol boueux qui conduit à la route où je viens d'arrêter un camion de l'équipement avec à l'arrière une équipe de terrassiers. Zéba craint de sauter le passage vaseux et je dois retourner tendre la main à ma belle pour qu'elle puisse passer le gué. Nous nous éloignons d'environ 2 miles (soit 3,2 km). Nous laissons surtout les "cancaneries" et autres indicateurs du café du coin sur leur soif. Ils n'auront pas le mot de la faim et de quoi rapporter et nous dénoncer. Pied à terre, nous entreprenons une longue marche. Nous avons quitté un peu trop tard à mon goût le monastère mais nous sommes encore dans les temps pour atteindre le point kilométrique 10 miles où nous devrions nous rapprocher de la côte. L'idée est de rencontrer les familles de Kyi Kyi Aye et Tin Tin Ou, deux amies de Zéba qui travaillent aux cuisines de l'université côté "women's hostel". Y passer la nuit et démarrer tôt demain matin sur la piste en bon état en direction de Kyauk Phyu (rocher blanc) distant d'une centaine de miles (à peine 200 km). Nous avons parcouru 5 miles (8 km) quand on entend le moteur d'un camion indien approcher. Leur caractéristique est d'avoir des battant de portières sans vitres et d'offrir une vue aérée. Qui plus est, quelle est notre surprise de reconnaître notre chauffeur Kalama qui semble jouer auprès de nous un rôle protecteur d'ange gardien. Il nous prend sous sa coupe jusqu'à Isabein (20 miles) où il doit recharger avant de rentrer vers Rangoon. Je m'attends à une nuit de voyage entrecoupé de petits breaks pour récupérer. Je suis étonné quand il nous annonce qu'il est arrivé.

D'après mon estimation et le coup d'oeil jeté sur la carte, je voyais Isabein situé plus loin. Deux ingénieurs en ponts et chaussées habitent une case qui leur est allouée le temps de la construction d'un pont. Rémunéré 5000 kyats mensuel tandis que les ouvriers employés à la construction reçoivent 3000 kyats. Deux d'entre eux se blessent lors du chargement. Je joue l'infirmier avec désinfection et protection d'un doigt à l'ongle déplacé et un pied percé par un clou. Les conditions de travail sont tres précaires et rudimentaires. Cela ne serait sûrement pas arrivé si le chargement s’était fait de jour. Nous sautons le souper et dormons sur un lit de contreplaqué, bercés par le bzz bzz des moustiques. Le matin, les deux jeunes ingénieurs et un ami nous emmènent de l'autre côté de la rivière, là où on voit encore le tracé de l'ancienne route, déjeuner d'un plat de nouilles locales. Nous en profitons pour rendre visite au Supérieur du temple voisin. Une jolie fresque en bois sculpté orne le hall où le Sayadaw nous reçoit très amicalement et nous offre biscottes style pain perdu ainsi que du cake fourré aux fruits. Il est détendu et nos hôtes traduisent nos réponses données à ses questions. Je monte la colline sur laquelle une pagode renferme un Bouddha géant allongé. Le point de vue est superbe et embrase d'un regard toute l'étendue de la forêt tropicale. Revenu à notre point d'hébergement, nous paquetons et quittons vers 9h30 tout en sachant qu'un transport devrait surgir vers 10h00.

Vers le nord, le long du golfe. Plusieurs raisons nous poussent à partir à pied précédent le véhicule, la plus importante étant de préserver l'anonymat de ceux qui nous ont hébergé. Les coteaux verdoyants sont flanqués de rizières ombragées par des bosquets d'arbres. Des îlots sauvages avec un seul être branché parsème les tapis verts de nuances variées. L'occasion d'un char à boeuf se présente et Zéba ravie saute dedans pour quelques centaines de mètres. L’occasion de faire des photos aussi. Le ronflement d'un moteur se précise. Nous avons juste le temps d'extirper nos sacs de la charrette et rejoindre le bord de la piste quand un énorme camion rouge apparaît. Il a du ralentir au passage du pont et marque l'arrêt lorsque nous lui faisons signe. Il est complet (90 passagers, je les compte !) et rechigne à nous emmener. Il ne semble pas y avoir un pouce d'espace même sur la galerie. Je coupe la poire en deux. Je monte à l'étage prendre l'air et une place au soleil et obtiens une place assise pour Zéba dans la cabine où sont assis 4 hommes (y compris Khin Maung Hla le chauffeur). L'un d'eux, Bome Myint Aung, son avion ayant été annulé fait le trajet pour arriver au bout du rocher blanc et se marier. "Love power" confie-t-il à Zéba enchantée et pressée de me raconter son histoire qui en ferait rêver plus d’une. J'escomptais 60 miles environ jusqu’a Kyauk Phyu mais les heures passent et la piste en dur relativement bonne à rouler s'étire. Elle longe la chaîne de l'Arakan qui nous sépare de la plaine de l'Irrawaddy. A un carrefour gigantesque dominé par un bâtiment qui à tout d'un poste de commandement, nous prenons à gauche vers l'île de Ram Ree. La végétation s'appauvrit et se transforme en mangrove. Le paysage plat à perte de vue parsemée de maigres buissons est le royaume des crabes, régal de Zéba. Plusieurs pistes s'entrecoupent. Maei est atteinte à la nuit et 30 miles sont encore à parcourir. Zéba rencontre une jeune habitante qui étudie seule l'anglais. Elle possède les bases et corrige d'elle même ses propres erreurs, ce qui augure d'un futur linguistique brillant en ce qui la concerne. Mais quel espoir ce pays lui laisse-t-elle réellement ? Nous débarquons à la station de bus vers 21h00. Après avoir demandé quel était le nom du plus proche monastère, nous nous y dirigeons doucement à pieds accompagnés par une poignée de jeunes dont l'un d'eux est partiellement éméché. L'entrevue avec le supérieur se déroule amicalement malgré le dérangement occasionné à cette heure avancée de la soirée. Il est de grande taille. Il affiche un air débonnaire et une bonne humeur à toute épreuve malgré son bel âge. Certains le disent malade. Le jeune éméché emmène nos papiers à l'immigration. Cela suffit pour ce soir. Il est tard et on tire le rideau. Nous dormons dans une grande salle, lieu de vie ou la mère de l'assistant Supérieur séjourne ainsi qu'un novice. Nous passons une semaine à Kyauk Phyu a decouvrir des choses plus étonnantes les unes que les autres.
Des charrettes a boeufs qui flottent: Je quitte pour les pontons où les charrettes à boeufs rentrent entièrement dans l'eau saline afin de s'approcher des bateaux ancrés et les décharger. Plusieurs dizaines d'attelage semblent flotter à la surface de la mer.
Nous devions transiter et nous sommes laissé bercer par le charme de cette station qui a beaucoup à offrir aux estivants. En tout premier lieu, Kyauk Talonne, énorme bloc d’une centaine de metres de long infesté de grottes renfermant des Bouddhas et dont l'entrée est gardée par des esprits tutélaires (nats). Un ensemble monolithe de rocheporeuse noire d'une centaine de mètres orienté nord-sud et dont les façades sculptées dans la pierre s'ouvre vers l'ouest. On visite ce magnifique ensemble de grottes en enfilade comme les grains d'un rosaire que l'on fait passer entre les doigts d'une main. Datant d'environ 450 ans, l'imagerie représentée mêle singulièrement les compositions (fresques sculptées ou peintes) de croyances prébouddhiques (nats protecteurs) et celles de l'arrivée du Bouddhisme. Exemple visuel d'un syncrétisme réussi, ces grottes sont des preuves qu'il existait une religion avant que le Bouddhisme Theravada s'installe définitivement dans le pays. Nous revenons en ville par la plage belle et sauvage. Le temps incertain qui menace donne un air tragique à l'étendue de sable bordée de cocotiers. Le ciel est chargé d'électricité et assombri par la pléthore de nuages annonciateurs de pluie. Les eaux noires de la baie de Bengal augurent du pire à venir. Un ferry pour Sittwe part à midi. Nous avons dans l'idée de le prendre. Il est 11h00 lorsque nous pénétrons la petite bourgade transportée dans un triporteur. J'en descends avec pour mission urgente d'aller voir si le bateau est à quai. Le ferry n'est pas arrivé. Nous avons le temps de déjeuner et avancer doucement vers le port. Zéba me confie ses histoires de coeur tandis que je finis mon assiette. Au moment où je me lève pour gagner les toilettes, j'entends la sirène d'un bateau avertissant de son entrée ou bien sortie dans la rade. J'ai bien peur que ce soit notre ferry en instance de départ. Le départ était programmé pour 14h00. J'emprunte une bicyclette et rapidement me dirige vers la jetée. Du ponton, j'aperçois le bateau à double étage s'éloigner. Je suis amer et déçu mais je me dis qu'après tout, l'heure n'est pas venue pour nous de quitter ce bout d'île où nous sommes heureux d'être ensemble parmi la population. Ce soir, nous sommes sortis et j'ai l'intuition que nous rencontrerons quelqu'un qui parle l'anglais et puisse nous raconter des histoires sur la région. Nous avons fait connaissance d'un professeur d'anglais qui regardait BBC World News dans une pharmacie tenue par un ami. Le beau fixe vire au cauchemar à la mi-journée et les prochaines 72h00 verront de puissantes trombes d'eau s'abattre sur les toits de tôles ondulés des habitations. Cela dure pratiquement 3 jours sans discontinuer. Des rafales de pluies balaient les espaces libres et font trembler les cocotiers. Il n'est nullement question de mettre les pieds dehors. Nous expérimentons un cyclone grandeur nature quelque soit sa force (sur l'échelle de ...). Les conditions météorologiques ne nous font pas regretter d'avoir rater le steamer. Il fait meilleur être abriter entre quatre murs et sous un toit que d'être à la merci des flots balancés d'un bord ou de l'autre dans un rafiot surchargé sans connaître l'heure à laquelle notre supplice finira. Nous avons des connaissances agréables et allons approfondir nos relations avec les autochtones. Ce lundi, le professeur organise une journée Kathina, cérémonie de don de robes aux moines d'un forest monastery dont son fils est membre. Nous sommes invités, le prochain ferry étant programmé mardi a 14h00 si les conditions climatologiques permettent la navigation. Pas moins de 12 robes sont offertes par le professeur et sa femme généreuse qui prépare le déjeuner. L'une coûte 20 000 kyats (à peine 18 Euros) et les autres 4 à 5000 kyats; une grosse dépense annuelle pour laquelle il faut épargner toute l'année. Quand je leur dis que c'est une somme conséquente au regard de leurs revenus, il objecte que sa belle-mère âgée de 83 ans va mourir et qu'il faut préparer son départ. Les actes méritoires comme le don de robes permettent d'acquérir des bons points qui seront comptabilisés et crédités au moment d'entrer dans une nouvelle vie. Le déjeuner comprend de la viande de porc et des légumes avec du riz. Rien d'exceptionnel mais un repas de qualité apprécié par le petit cercle d'intimes et d'amis triés sur le volet. En public, le moine le plus âgé représente le supérieur caché derrière un rideau tiré. Rassasiés, le prof veut absolument nous présenter au supérieur. Mutique, les yeux baissés, il a l'air d'une personne sous tranquillisant et complètement abruti, disjoncté, à l'écart de la réalité. Il étudiait la chimie à l'université de Rangoon quand il a commencé à s'intéresser au bouddhisme. Il est entré en religion et n'en est jamais sorti. Il ne donne pas l'impression d'un être réalisé (qui a atteint l'illumination). Sa condition d'ermite n'est pas une partie de plaisir. Il entonne un chant et toute l'assemblée reprend ses paroles bues comme du petit lait. Après une demi heure d'écoute assise, les donateurs de robes sentent les fourmis leur monter dans les jambes repliées et ankylosées. Sous son Tanaka, ma voisine devient blanche tordue par la douleur. Notre hôtesse de forte corpulence est mal en point ainsi qu'une de ses amies du même gabarit qui souffre le martyr. Elle n'en garde pas moins un sourire au coin des lèvres prête à l'envoyer à quiconque se tourne vers elle. Le prof d'anglais, 4 cahiers et des mouchoirs dans les mains, tient le bon bout et reste stoïquement bien droit sur ses genoux. Une femme élève les bras à hauteur de la tête enserrant une bouteille de miel entre ses mains. L'offrande devient pesante au fil des minutes et la tête suit le même degré d'inclination. J'ai peur qu'elle ne la laisse s'échapper. Quant aux autres donateurs, j'attends d'un moment à l'autre qu'ils jettent leurs dons à la figure du supérieur qui me semble-t-il prend un malin plaisir à les martyriser. Les fidèles dans la douleur sont vraiment soumis et unis. Un sentiment d'unité et de solidarité emplit la salle. Si les bouddhistes sont facilement mis au pas, cela est du en partie à leur résignation et le fatalisme résultant de la loi du Karma. Il est toutefois reconnu en tant que religion officielle et fait de ses membres des citoyens à part entière du pays. La question est différente pour les musulmans de l'Arakan puisqu'ils ne peuvent se déplacer à Rangoon. Il faut être bouddhiste depuis plusieurs générations pour jouir du droit d'aller et voyager. Un musulman se convertissant au bouddhisme reste assigné à résidence et ne peut voyager dans la capitale. En soirée, plusieurs fois, nous nous retrouvons chez la "sweet family" computer and copy services. Un fils unique qui a rencontré Bouma sa femme alors qu'elle étudiait l’anglais à l'université de Sittwe. Lui, c’etait l'électronique. Ils se sont mariés et vivent depuis une année à Kyauk Phyu. Leur vie est-elle déjà tracée ? Vont-ils se lasser ? C'est un bel endroit où il fait bon vivre mais cela suffit-il quand on a 22 ans et toute sa vie devant soi. Les pluies abondantes s'abattent sur la bourgade et ne nous laissent aucune chance de quitter. Il n'y a pas de mouvement de ferry du aux mauvaises conditions climatiques. Celui dont le départ est prévu à 14h00 mardi est reporté à mercredi matin 6h00. Il ne touche le quai que le mardi soir vers 20h00. Comme nous nous apprêtons à bouger, nous avons l'intuition que des difficultés vont se présenter. Nous laissons derrière nous des connaissances et avons pleinement apprécié notre "honeymoon" dans les environs.

Kyauk Phyu - Sittwe avec une nuit sur l'île de Pauktaw. Cela commence tôt le mercredi quand le "gentil garçon", voisin du prof d'anglais et invité à la cérémonie de Kathina, monte sur le bateau et nous repère. Il nous demande nos billets. Je ne les pas acheté à l'avance car j'ai pensé que cela poserait problème. Il y a un prix pour les locaux et il va nous demander de payer le prix touriste (soit en Dollars ou FEC). Il s'élève à 5 U.S chacun. Nous n'avons aucun dollar en poche. Je refuse. Après que les services de l'immigration se soient déplacés, j'obtiens de payer la note en monnaie locale (880 kyats). J'ai raté le lever de soleil sur la rade et nous prenons le large avec quinze minutes de retard. Le bateau est surchargé sans plus. Les conditions auraient être plus difficiles. Beaucoup de gars de l'armée, des étudiant(e) s sont à bord pour 48h00 pour le meilleur ou le pire. Zéba très rapidement se sent incommodé alors que la mer fait tâche d'huile. Pas une vaguelette à l'horizon et pourtant le mal de mer prend Zéba au dépourvu. Elle réussit à se lier d'amitié avec le comptable et se voit octroyer le droit d'utiliser sa cabine. Un supplément de 3000 kyats est perçu par couchette. Les groupes d'étudiants ou de militaires les ont loués à plusieurs réduisant ainsi le prix. Je la retrouve allongée, le sourire aux lèvres tandis que le gars a la tête dans sa caisse métallique qui lui sert de coffre-fort. A l'occasion, il quitte sa position et part se restaurer sur le pont arrière où se trouvent les cuisines. C'est beaucoup dire car il s'agit simplement d'un brasero allumé dans un fut de 220 litres évidé et d'une table pour servir les passagers. Nous avons une lettre d'introduction pour le supérieur de Myébon où a lieu l'annuelle célébration de la Kathina (remise des robes aux moines). Nous en avons un avant-goût quand une parade avec deux grosses têtes surgit au moment où nous retournons faire le point et savoir si le bateau reste à quai ou continue. Elles forment un couple. La femme m'aborde et je me prête volontiers au jeu. Je rentre dans la danse et exécute quelques pas au plus grand plaisir des spectateurs présents. Zéba est pliée en deux et regrette de ne pas pouvoir me photographier. Le monastère illuminé avec des néons multicolores et clignotants a des allures de kermesse et foire du trône. Cela va durer toute la nuit. Après une douche à ciel ouvert sous les étoiles et un délicieux curry de porc aux pousses de bambou, nous sommes installés, assis sur deux chaises, spectateurs inattendu d'un "singing contest" (concours de la chanson) quand on vient nous chercher. Nous sommes surpris de voir débouler un officier du service de l'immigration à cette heure avancée (21h00). Nos identités ont été relevées à la sortie du ferry par des responsables des voies fluviales. Il copie nos coordonnées et conclut que nous ne pouvons pas dormir sur place. Je sors de mes gonds et me fâche. Il aurait pu venir le signaler plutôt car nous avons abordé vers 16h00. Il me fait remarquer qu'il ne peut pas savoir qu'il y avait des étrangers à bord. Je porte le traditionnel longyi et il peut me confondre avec un local ose-t-il effrontement affirmer. Je lui fais remarquer que ma couleur de peau suffit à me distinguer des autochtones. Je suis en colère et lui affirme qu'il n'est pas question de bouger d'ici. Si nous sortons, 200 personnes vont nous suivre attire par la curiosite. Il est responsable de notre sécurité et je le lui fais sentir. Zéba va chercher les papiers de l'université qu'il n'a pas encore vu. A leur lecture, il change complètement d'avis. Après un échange de vifs propos, la tension monte puis le ton se radoucit. Il nous quitte et me serre la main. Nous regagnons nos chaises dans l'assemblée. Vers 23h00, notre ami le comptable vient faire un tour avec un gamin (environ 14 ans) qui puise de l'eau de mer pour suppléer les toilettes et exécute de menues tâches ménagères aux cuisines. Nous rejoignons notre quartier. Zéba, à peine allongée, est prise d'une crise de démangeaisons. Elle rend un insecte responsable de son état d'agitation. Elle a effectivement des boursoufflures (boutons et cloques) sur les jambes et bientôt sur tout le corps. Je suis à côté et je n'éprouve rien. Je ne comprends pas très bien ce qui lui arrive. Exagère-t-elle ? Des airs de folie parcourent son regard. Elle s'écarte de la natte et se gratte jusqu'au sang en gémissant. Je suis témoin impuissant. Je ne sais que faire pour la soulager. Je finis par m'endormir malgré le boucan occasionné par les baffes assourdissantes sans savoir ce qui advient de ma colombe. Je dors deux heures et la retrouve éveillée à mes côtés. Il est 4h10 et le bateau quitte à 5h30. Nous prenons une boisson chaude et grignotons en compagnie du supérieur. Je pense que l'on nous a induit en erreur. On ne partira réellement qu'après 7h00. Si je m'étais fié à mon intuition, nous l'aurions raté car il a effectivement coupé les amarres peu après 5h30. Deux hommes sur réquisition du supérieur nous ont guidé jusqu'à l'entrée du ponton. Ceci surtout pour éviter le pont en réfection faite de bouts de planches suspendues au dessus d'un fossé, déviation périlleuse qui justifiait l'accompagnement. Une petite journée de navigation est nécessaire pour atteindre Sittwe, capitale de l'Arakan. En fait de voies navigables, nous utilisons les canaux sur les bords desquels sont situés des villages. Le paysage plat à perte de vue à des allures de zone complètement inondée et organisée selon un plan quadriculaire. L'homme domestique les éléments eau et terre et promouvoit la vie. Dans ce désordre maritime où l'eau prend le pas sur la terre, l'homme expérimente la complémentarité des forces naturelles et de ses résultats émerge l'harmonie. Entre la "family army" installée sur le pont arrière et une cabine d'étudiantes, repère de l'un ou de l'autre, nous tuons le temps et approfondissons nos connaissances. Nous abordons Pauktaw et y transitons pendant 2 heures. Si nous n'avions pas pris le déjeuner sur le ferry juste avant l'arrimage, nous aurions vu le simili Mont Popa s'élever derrière le village. C'eût pu être un but de ballade. Après un tour au marché, les locaux parlent le dialecte maternel de Zéba Ils sont complètement démunis et vivent dans des conditions misérables. Zéba réussit à se doucher dans une maison "fortunée". Les propriétaires sont bijoutiers. Je fais le pitre avec un rickshaw que j'emprunte au nez et à la barbe de son loueur. Je reconduis ma princesse Bengalie à l'embarcadère et le remets à l'endroit où je l'ai trouvé. Nous longeons les îles Baronga riches de champs pétrolifères extracté à titre privé et pénétrons l'anse de Sittwe. Ma première impression est une déception à cause de la petitesse de la ville. Je la perçois comme insignifiante sur l'échiquier alors qu'elle devrait prendre la place et jouer le rôle d'une reine.

Trois pointes se détachent au-dessus d'une ville à ras de terre; aucun building de plus de trois étages n'est visible. Le dôme doré de la pagode Lokananda surpasse celui de la nonnerie style Bengali et la girouette de l'ancienne "clock tower" édifiée par les anglais en 1828. Je l'ai confondue avec le clocher d'une église de loin mais m'aperçois une fois débarqué de ma confusion. Nous longeons la ville qui s'étire et dépassons des pontons détruits qui ont vécus. Nous côtoyons de simples barcasses en bois, des bateaux de pêcheurs et même des cargos qui mouillent à proximité. Le ferry se dirige vers une entrée d'eau peu profonde. Un canal que l'on ne distingue pas laisse échapper quelques embarcations de faible volume. Nous le pénétrons grâce à notre faible tirant d'eau et accostons dans le bras de la rivière Sarokyé. Des canots en nous accostant ont lâchés leurs porteurs qui se sont rués à l'assaut de notre forteresse afin de se faire un peu d'argent. Les passagers les plus pressés descendent les premiers. Je repère le chemin pour sortir. Nous devons enjamber un autre bateau et naturellement comme d'habitude garder l'équilibre sur une planche avant de regagner le plancher des vaches. Depuis Kyauk Phyu, aucune halte n'a offert des mesures de sécurité minimales en ce qui concerne l'abordement (entrée/sortie du bateau).
Nous filons à l'anglaise trop ravis que personne ne nous demande rien. Dans la rue, nous tournons à droite et après plusieurs mètres, à gauche vers ce que je crois être le coeur de Sittwe. Les rickshaw drivers sont après nous et nous les décevons quand j'arrête un véhicule 4X4 avec écrit sur la portière BAJ (Bridge Asia Japan). Le chauffeur, chef de chantier d'une NGO, ressemble à s’y méprendre à un Européen à cause de ses cheveux teints en blond. Je doute même qu'il puisse lire l'enveloppe avec le nom du sayadaw en birman. Il se propose de me déposer au monastère et faciliter les présentations avec le supérieur puisque son anglais est correct. Introduit dans le lieu, un novice bangala officie comme traducteur, avec Zeba comme intermédiaire. Je dors à l'étage et Zéba au rez-de-chaussée. Il lui est impossible de dormir au même niveau que le supérieur. Je peux par contre descendre à ses côtés. Nous "prenons refuge" 3 nuits dans cette école monastique où 280 gamins ont pris la robe. Ils sont partout et bruyants. Le pire des endroits où nous ayons eu à dormir.
Au matin du premier jour, je visite un monastère recommandé par un moine de Kyauk Phyu. Vén. Aggavansa est souriant, hospitalier et bienveillant à mon égard. Il m'invite à déjeuner. Il insiste deux fois et j'accepte. Zéba se repose et je retourne la chercher. Nous sommes reçus très cordialement avec beaucoup de savoir-vivre. Il a visité le Japon et les Etats-Unis sans parler un mot d'anglais. Les 17 enfants de son école monastique viennent d'un village situé prés de M-rauk dont il est lui aussi originaire. U.Indryavansa arrive après que nous ayons fini le déjeuner. Il a passé 3 années en Inde et rencontré Kaïlash, métissée indonésien (par son père)-vietnamien (par sa mère) avec laquelle j'étudie. Il parle couramment l'hindi au grand plaisir de Zéba et maîtrise bien l'anglais. Nous les quittons en leur promettant de revenir nous installer en soirée.
Nous avons prévu de retrouver le chef d'atelier BAJ et visiter la pagode Lokananda sur la route de l'aéroport. C'est samedi et il a déjà quitté son lieu de travail lorsque nous arrivons. Après avoir rétrouvé Zéba restée à la pagode, nous le croisons avec son équipe de jeunes alors qu'il s'apprête à rentrer chez lui pour activer ses préparatifs. Il déménage demain. Ils nous guident jusqu'au temple hindou où ils nous lâchent. Zéba converse dans son dialecte natal avec la mère du prêtre qui nous propose un thé indien accepté avec plaisir.
Quand nous revenons à Pathein, il est déjà 18h00. J'ai le sentiment de ne pas tout à fait contrôler la situation quant à l'invitation faite à changer de temple et j'en ai fait part à Zéba. Le supérieur la touche facilement pour attirer son attention. Le contact physique avec les femmes est interdit pour les moines. U. Indryavansa a pris refuge dans la triple gemme mais il est "planqué". Qu'une bonne occasion se présente à lui et il filera en douce a l’etranger selon l'opportunité qu'il rencontrera. Il est aussi attiré par Zéba. Loin de faire preuve de jalousie, je suis alarmé par le fait qu'elle va devoir s'affirmer en tant que femme et se positionner. Je ne veux pas avoir à intervenir ou que la situation se pourrisse et que notre relation en souffre. Nous décidons, Zéba malgré tout à contre coeur, de rester une nuit supplémentaire à Pathein et d'aviser plus tard. Ven. Aggavansa nous a invité en fait de passer une nuit avant que nous quittions Sittwe. Une fois le dîner fini, je pars les avertir que nous ne viendrons pas ce soir. Quand j'arrive en vue de m'excuser, Ven.Aggavansa me présente au responsable des affaires religieuses pour le département de Sittwe. Nous sommes invités à dîner ensemble d'un plat de deux poissons grillés et légumes verts. Je ne peux refuser devant tant de gentillesse et m'attable de nouveau. Il a reçu un papier à en-tête de notre université daté du 14 octobre concernant ma visite dans la région dont il est responsable. Je peux effectivement lire un document officiel signé par Dr.Mynt Kyi précisant mon nom et numéro de passeport reçu le 31 octobre. Je suis le premier étonné et remercie intérieurement le sous-recteur d'avoir pris soin de moi. Zéba n'est pas mentionné car nous n'avons pas "claironné" sur tous les toits que nous partions ensemble. U. Pé Maung Lé tenait à me rencontrer. Voilà chose faite par le plus grand des hasards! Le fait qu'il connaisse ITBMU me rassure et j'ai moins d'appréhension à changer de monastère. C'est un brave homme qui a le coeur sur la main comme on n'en rencontre peu. Loin du fonctionnaire teigneux qui va nous chercher "des poux dans la cheveux" pour s'assurer une promotion. Je retrouve Zéba convaincu d'avoir découvert un petit havre de paix et de tranquillité. Elle n'a pas perdu son temps car elle a fait connaissance avec les nièces ravissantes du supérieur de Pathein. Elles sont venues visiter leur grand-mère, la mère du supérieur et les a croisées puisqu'elle est logée à la même enseigne qu’elle. Il n'y a pas qu'à l'Ouest qu'on délaisse ses parents. Elles sont toutes les trois jeunes et jolies.Cinq années d’âge separe chacune d’elles. Au lieu que ce soit Zéba qui réponde à leur invitation d'aller dormir dans leur maison, elles la rejoignent.
Au matin, je finis les restes du dîner car Zéba s'est abstenu de manger. Nous sommes logés à un carrefour où pullulent les monastères dont l'un bengali et des écoles monastiques. Payagi abrite la réplique géante la plus réputée de Sittwe et le jeune supérieur de la pagoda Schwezédi nous montre une relique d'une dent du Bouddha rapportée d'Inde. Elle a la taille de mon petit doigt. Avec toutes les dents et les traces de pieds qu'il a laissé derrière lui, Bouddha devait être un géant. Celle-ci fait vraiment de lui un être surdimensionné. Je souris sans m'esclaffer mais même Zéba, bouddhiste de naissance n'y croit pas. Elle a accumulé la fatigue et a besoin de repos.

Des conditions difficile d'existence: Sittwe la misérable. J'en profite pour partir seul rayonner à pied. Je retourne à la jetée. Du débarcadère, je refais le chemin en sens inverse. Là où les pontons étaient bondés de curieux, ils sont vides. Au lieu de tourner à droite à la sortie, je prends à gauche direction la rivière Kaladan. La route de la plage (Strand road) la longe. On y trouve le consulat du Bangladesh. En parallèle court la route principale le long de laquelle s'étalent des échoppes, des fournisseurs et teashops. Ces deux rues sont les plus animées et commerciales de la ville. Elles se confondent presque au niveau du marché à cause de l'agitation, véritable fourmilière humaine. Les gros bateaux charges de containeurs sont à l'ancre puis vient le petit port de pêche avec les pêcheurs Rohingyas d'obédience musulmane. Je me ballade au plus prés de l'eau qui vient attaquer les pieds des maisons sur pilotis. Ce que je vois n'est pas bien enviable; une pauvreté extrême proche de la misère. Un gamin vends des moitiés d'orange juteuses à d'autres pour la modique somme de 5 kyats. Des gamins sales traînent dans le chemin jonché de détritus divers.
Ce qui est frappant en arrivant à Sittwe est de voir combien les jeux d'argent sont répandus. Nous en avons eu un avant-goût sur le bateau avec les militaires jouant aux cartes. L'oisiveté aidant, les hommes jouent pour gagner mais j'ai vu les femmes entre elles faire de même. Quand on a des parents joueurs, difficile de ne pas les copier car les enfants ici ne jouent pas innocemment mais pour le gain. C'est sidérant. Qu'un enfant ait appris à parier jeune ne l'encourage pas à construire et envisager sa vie future à partir d'un raisonnement sain. J'en déduis que la misère les conduit à vivre d'illusion avec ce que peut leur rapporter le jeu. Les gamins parient sur les différents animaux susceptibles de sortir (âne, éléphant, cheval, chèvre, singe, lion, girafe, boeuf) tandis que les femmes préfèrent le loto.
Une variante du jeu de la bute existe pour les hommes. Elle consiste a viser en tirant avec les sandales un amas de billets.

Une petite mosquée – il y en a 110 à Sittwe ! - abrite et recueille toutes les lamentations et suppliques des vieux qui ont sûrement vu des jours meilleurs. Les guides (édition 2001 du GDR et LP) signalent que l'électricité est coupée à 23h00. Présentement, elle l'est à 21h30. Ce qui laisse augurer le pire pour les années à venir puisque la situation se détériore. Je quitte plein de compassion pour tous ces êtres qui résident dans ce taudis. La rivière Kaladan n'arrive pas à charrier tous les immondices jusqu'à sa bouche et les rejeter dans la mer. Je rejoins la rue de la plage pour passer une petite crique à l'intersection de laquelle est située un club de body-building. Le président, la cinquantaine bien sonnée m'interpelle et m'invite à rentrer. Des posters ornent les murs et deux adhérents s'entraînent. Ils vont vibrer leurs muscles prêts à faire trembler les parois de la bâtisse faite de claies de bambous tressées ajourées et juxtaposées.

Déménagement et changement de monastère: En soirée, je prends prétexte du manque d'intimité pour quitter l'endroit où nous sommes avons été hébergé 3 nuits. Zéba après avoir totalement refusé de remettre les pieds dans le petit monastère puisque je ne voulais pas y aller, change d’avis, tourne les talons et me suit. Une autre raison est que je veux écrire mon journal de bord sur l'ordinateur portable. Cela ne va pas manquer d'attirer les novices curieux à l'affût de ce genre d'activité novatrice. Je n'y tiens plus et malgré l'heure tardive, nous embarquons tous nos effets afin de ne pas avoir à revenir. Je dîne avant de bouger. L'installation dans l'autre monastere est rapide. Je mets les choses au point et parle clairement. Nous voulons rester ensemble. Si le supérieur a voyagé, il peut l'accepter facilement. Je ne tiens pas à la laisser entre leurs mains. Nous disposons d'une petite chambre à deux. Zéba garde le lit et je dors à ses pieds sur une natte Elle sait par ailleurs qu'elle doit garder ses distances vis-avis d’eux. Elle a ma totale confiance. Nous dormons comme une souche. Assurément le meilleur endroit où nous avons dormi depuis que nous avons quitté nos chambers universitaires. Cela va de pair avec un accueil inégalé, amical, attentionné et un supérieur qui met la main à la pâte puisqu'il est le chef cuisinier pour la collectivité (25 membres). Nous apprécions ces 5 jours de repos en leur compagnie. Les enfants n'ont pas l'esprit mal tourné et sont relativement discret sauf quand ils ahanent par coeur leurs leçons en pali, méthode d'apprentissage courante en Birmanie.
Dés le lundi matin, nous rendons visite au consul du Bangladesh. Il nous reçoit aimablement, simplement, sans fard et sans trompette. Tandis que Zéba plus pipelette que jamais discute avec lui, je lis les nouvelles du Daily Star, quotidien national dont les numéros datent d'une quinzaine de jours. Du jus de coco nous est offert avec des morceaux de gâteau. Le ciel menace et il commence à pleuvoir. Est-ce les prévisions de la tempête annoncée par le prof de Kyauk Phyu qui se réalisent ? J'ai mes journaux à éplucher car je les ai emprunte. Zéba a reçu "Chaptaïk 2004", un almanach d'histoires diverses qui la tient occupée. Elle a décidé de l'embarquer à Rangoon. Je vais le porter, ce qui représente un poids supplémentaire non négligeable (800 gr). Il pleut sans discontinuer un journée entière. Nous avons appris à compter nos jours de départ à partir de ceux dit "tristes".
Comme à Kyauk Phyu, nous avons quitté 3 jours (mercredi matin) après le début des intempéries (dimanche midi), nous nous attendons à prendre la route seulement le vendredi matin. C'est ce qui va se réaliser. Nous passons le même nombre de jours (8) à Kyauk Phyu et Sittwe. Comme si le scénario était écrit et identique.

Quelques visites intéressantes sur le plan religieux: Nous visitons les musées d'art bouddhique, en fait des pièces de bronze de la période Dhanyawadi (3éme siècle BC), Vesali (4éme-8éme AD) et M-rauk (14-18éme AD). L'ancien musée annexe au monastère Mahakutthala renferme encore des pièces rares qui justifient à elles seules le déplacement même si elles ne sont pas mises en valeur. Notamment un Bouddha souriant avec une tête très puérile assis sur un palanquin. Du point de vue bouddhique, comme tout est impermanent (anicca en pali), à quoi bon s'attacher à des statues qui ne sont pas faites pour durer. La notion d'antiquité est tout à fait occidentale tout comme l'idée de collectionner. Une atmosphère de fin de siècle a envahi les murs et la poussière est présente. Personne ne lève le doigt pour remuer, bouger, dépoussiérer et changer l'ordre des choses ou remettre quoi que ce soit en cause. Ainsi va la vie en Birmanie. Faut-ils qu'ils soient contraints à travailler par leur gouvernement pour que les Birmans agissent ? Le musée récent construit en 2001 donne l'impression d'avoir tant vécu car la peinture est défraîchie et les murs noircis par l'humidité. Les bronzes en vitrine sont exposés à contre-jour des fenêtres, ce qui a pour conséquence vu l'absence d'éclairage intérieur, de ne pas être en mesure d’apprécier pleinement les pièces rapportées. La mauvaise exposition et la finalité de la construction ne justifient pas les moyens mis en oeuvre.
La pagode Lokananda reste notre meilleur souvenir avec notre virée à bicyclette sur la plage près de l'hôtel Sittwe.

Quand les uniformes nous mettent des bâtons dans les pieds: Installé à l'ombre à proximité de l'hôpital usant de remèdes traditionnels, les rares véhicules rechignent à s'arrêter. Serait-ce parce que les étrangers ne sont pas autorisés à se rendre à M-rauk par la route. La gare routière se trouve un peu plus loin et personne ne daigne s'arrêter. Après l'avoir finalement dépassé, nous patientons. Pas plus de résultat. Y a t il un contrôle plus loin, ce qui peut expliquer pourquoi les gens ont tellement peur. Un étudiant nous le confirme et s'empresse de nous "dénoncer" alors que nous approchons à pied du poste de contrôle occupé par deux soldats. Ils nous retiennent. Vient à passer un gradé - 3 étoiles sur l'épaulette - en motocyclette. Avec un talkie-walkie - gros portable digne de nos premiers téléphones sans fil - il avertit un tiers.
Quand je le vois partir, je suis convaincu de le revoir avec un collègue. Le début d'un stand-by. A chaque fois que nous bougeons et changeons nos repères, il y a péril en la demeure et nous rencontrons des difficultés. Deux petites cylindrées débarquent à peu d'intervalle avec chacune deux hommes dessus. Sur la première, un jeune élégant en uniforme bredouille un anglais très succinct et la seconde est chevauchée par un agent de l'immigration qui nous reproche de ne pas nous être présenté à notre arrivée à Sittwe. Les sbires de Pathein ont fait la démarche. Je pense qu'ils ont annoncés notre arrivée au responsable de la collectivité (équivalent du maire). Le chauffeur de l’agent se mêle de ce qui visiblement ne le regarde pas. Zéba accepte difficilement son intrusion et ses remarques tournées en dérision. Elle lui réplique sèchement et lui demande qui il est. A cheval sur la moto, il est en chemisette et pantalon sans signe distinctif. Le gradé avec lequel il est arrivé est de marbre et nous jauge. Avec lui, la partie n'est pas gagnée. Il s'affronte à Zéba et se montre pour le moins suspicieux sur sa nationalité. Il veut la confondre et s'entête à lui parler en birman. Quand il me demande une seconde fois de lui montrer les passeports, Zéba le fustige. Le premier en vert, soldat avec un petit grade, quitte les lieux non sans avoir copier nos identités. Le second en marron a fait approcher un triporteur à moteur et nous demande de le suivre. Je me fâche et lui dit qu'il n'en ait pas question. Quand bien même nous devrions passer la nuit ici, nous ne voulons pas faire demi-tour. Devant mon exaspération, il change d'avis et se contente lui aussi de relever nos coordonnées. La route est libre.
Les deux policiers à l'origine de notre retenue se débrouillent pour nous embarquer dans un bus transformé en camion. Nous voyageons jusqu'à Kyauktaw assis sur des sacs de riz. Nous préférons momentanément l'unique banquette d'origine mais elle est dans un état très ajourée. Les coussins ont disparu et une planche sert à caler nos fesses mal en point.
Après la pause dîner dans un petit routier, nous reprenons nos sacs respectifs. A la descente, 21h30, nous nous dirigeons vers la lumière du bureau de téléphone. A ma demande, le jeune en charge se fait remplacer et nous accompagne jusqu'au poste de police. Le chef et deux acolytes nous accueillent plutôt bien. Ils se marrent et acceptent notre idée de passer la nuit dans l’office téléphonique plutôt que dans un monastère. Dormir au poste est impossible et les moines ont déjà commencé leur nuit. Je prends encore une douche dans l'eau sale de la rivière Kaladan avant de m'allonger. Je dois les prier de s'éloigner pour préserver mon intimité. Nous ne bénéficions pas de moustiquaires et toutes sortes d'insectes pullulent et abondent. Ils nous tombent de tous les côtés sur la tête et ont une préférence pour les cheveux. Malgré leur présence envahissante, nous trouvons refuge dans le sommeil. L'idée de quitter tôt le matin tourne court quand je m'aperçois à l'entrée d'un monastère que mon seul T-shirt encore présentable manque à l’appel. Je l'ai laissé pendre de mon sac et traîner par terre mes effets hier soir lorsque nous avons regagné le bureau depuis le poste de police. Il est peut-être aussi resté là où nous avons dormi. Je pars vérifier et gaspille un peu plus d'une heure matinale encore agréable à marcher avant la chaleur de la mi-journée.
Aujourd'hui a lieu l'annuelle cérémonie de don de robes aux moines (Kathina) et la petite ville a des allures de fêtes.Un vieux monsieur avec un vélo antédiluvien nous rattrape. Il a mis en place un système de sonorisation avec l'installation d'une batterie dans une sacoche. D’un apareil lecteur de cassettes s’echappent des paroles birmanes sur un air de musique venue de cet occident décadent.. Comme les droits d'auteur sont superbement ignorés, les musiques sont copiées et remixées avec des paroles du cru local. On peut ainsi trouver Elvis version birmane. Cela surprend.

Sittwe - M-rauk via le sanctuaire de la Mahamuni (sur les pas du Bouddha) Nous traversons le pont sur la rivière Kaladan. Sur la rive droite, opposée à Kyauktaw, s'élèvent les collines de Salagiri où d'après la tradition, Gautama Bouddha se serait reposé avec 500 disciples avant d'atteindre la colline de Sirigutta qui deviendra le sanctuaire de la Mahamuni.
Présentement, il y a un Bouddha géant debout le doigt pointé dans la direction où il passa ses vies antérieures, un second allongé (en position dite Parinirvâna) et deux caityas (un vieux zedi et un plus récent). La vue panoramique du sommet de la crête s'étend sur toute la plaine rizicole autour de la Mahamuni et jusqu'aux contreforts de la chaîne arakanaise.
Comme le Bouddha à l'époque, nous continuons à pied 5 miles (8 km) jusqu'à l'ancienne Dhanyawadi, capitale de l'Arakan à partir du 6éme siècle BC jusqu'en 370 AD. Certains historiens font même remonter son existence jusqu'à 3000 ans BC. Au cours des différents périodes qui se succedent, les capitales ont pour nom à tour de role:
  • Vesali (370-994 AD),
  • Sambawak ou Pymsa (1018-1118 AD),
  • Parain (1118-1142 AD),
  • Khrait (1142-1250 AD),
  • Launggret (1250-1404 AD),
  • M-rauk (1430-1784 AD).

L'image Mahamuni, coeur du bouddhisme arakanais, coïncide avec l'arrivée du Bouddha dans la région. Le roi Candasuriya s'en fut aux collines de Salagiri pour rencontrer le Bouddha et l'inviter à Dhanyawadi, distante de 5 miles. Le Buddha séjourna dans la capitale (troisième du nom d'après les inscriptions de la colonne d'Ananadacandra) pendant 7 jours. Selon le manuscrit Sappadanapakarana écrit sur une feuille de palmier, au moment de son départ, le roi demanda au Bouddha de laisser une image de lui-même. Bouddha accepta la demande du roi. Avec le consentement de Bouddha, Sakra et Visvakarman fondirent une statue, réplique fidèle de celle de l'Illuminé. Le Bouddha souffla dessus pour lui insuffler la vie. Afin de protéger la statue, Candasuriya érigea un sanctuaire qu'il fit construire sur la colline Sarigutta en commémoration de la visite. La statue était orientée vers l'ouest où ont eu lieu les 4 principaux événements qui devaient régir sa vie;

  1. sa naissance,
  2. son illumination,
  3. son premier sermon en tant que Bouddha et
  4. sa mort.

Les représentations symboliques de ces épisodes, notamment sur les empreintes de pied, sont:

  • le lotus ou le taureau pour la naissance,
  • l'arbre pour l'illumination,
  • la roue pour le sermon
  • le stupa pour le Parinirvâna.

Tout bon bouddhiste qui se respecte se doit de visiter s'il en a les moyens les endroits où se sont déroulés ces événements (Lumpini au Népal, Bodhigaya, Sarnath et Kusinagara en Inde).
Rien ne reste du sanctuaire d'origine excepté un mur d'enceinte, un réservoir et quelques pierres sculptées qui prouvent que nous sommes à la croisée des chemins. L'endroit où le brahmanisme, l'hindouisme se sont mêlés avec le bouddhisme Mahayana et Thévarada. Ce dernier seul subsistera, percera et se répandra florissant dans toute l'Asie du sud-est.
Depuis ces temps immémoriaux jusqu'en 1785 AD, la statue fut ardemment vénérée quand sur ordre du roi Bodawpaya de Mandalay, elle fut la cause d'une dispute entre les deux royaumes. Le roi ordonna de la ramener là où actuellement elle trône.

La rouée ne me paon pas au bout du nez au centre de Ratanamanang: Pierre et Marie, respectivement postier et fonctionnaire au Télécom, viennent de finir leur visite et repartent avec leur guide Tan Shwe vers M-rauk. Je leur demande si nous pouvons nous joindre à eux. Ils acceptent gentiment. Nous pausons, l'histoire l'oblige à Vesali, "la ville aux escalier de pierre" comparable à une Venise tant les canaux (Chaung) permettaient aux bateaux d'y arriver à quai. Elle était plus importante en superficie que Dhanyawadi et des champs de riz étaient cultivés à l'intérieur de ses murs d'enceinte. Ils s'étendent à perte de vue. La piste caillouteuse nous berce jusqu'à Myohaung. On finit par s'habituer aux rudes conditions de transport. Le centre de méditation Ratanamanang situé comme son nom l'indique à côté de la pagode du même nom nous accueille après concertations des moines seniors. Le supérieur à qui nous devions remettre une lettre d'introduction de la part de U. Chekinda (Kyauk Phyu) est absent et parti pour Kyauk Phyu d'où nous venons. Quelle déveine ! Nous nous installons lentement. Devant l'inertie des moines, nous préférons les fuir et sortir dans l'ancienne Myohaung. Nous avons eu un avant-goût des ruines quand le chauffeur a traversé le site réparti sur toute la ville pour nous déposer. Notre centre très calme est à l'écart de tout tumulte. L'endroit idéal pour méditer et réfléchir. De nombreuses cellules individuelles aujourd'hui inoccupées ont été construites. Un squelette sert de sujet de méditation (kayagatasati). Dés que l'on franchit la barrière, l'entée asphaltée et bordée de fleurs et arbustes de part et d'autre d'un porche en pierre exhale une atmosphère propice au recueillement. Des chiens aboient façon de faire entendre qu'ils existent. Trois paons se pavanent dont au moins une femelle puisqu'elle fait la roue. Zéba insiste pour que je les photographie. La veille de son départ, je règle l'appareil photo sur l'objectif et cadre l'animal pour la seconde fois. Je m'approche car s'il se sent menacé, il va s'ouvrir et faire l'éventail. L'oeil rivé sur le viseur, je ne le vois pas sauter et arriver sur moi. Avec ses deux pattes aux griffes acerees, il commence par m’eplucher la tete. J’etais deja accroupi et me suis recroqueville, le bras droit me protége le visage. Il va se detendre et frapper le paon. Celui recule d’un cran et me saute sur le dos s’agrippant a mon T-shirt. Un deuxieme coup plus violent et je parviens a m’en debarasser. Je releve la tete K.O. Une arcade pisse le sang, une levre eclatee, la boite cranienne erafflee et le dos meurtri, griffe, rougi par les serres de l’animal. Je lis l’affolement sur le visage de Zeba. Je vais au bassin exterieur et me passe de l’eau pour effacer les traces de sang qui coule sur le visage. Je garde visible pendant plusieurs jours les traces de cette joute memorable. Des sequelles qui cicatrisent lentement au cours des deux prochaines semaines mais suscitent la curiosite des uns et des autres.


Randonnée dans l’état Chin. Aucune liaison par voie terrestre n'est possible à partir de M-rauk pour tenter de rejoindre la capitale Rangoon. Il existe une route non ouverte aux étrangers. A défaut de retourner à Sittwe et repartir sagement en bateau - un autre problème va se poser car je n'ai pas de dollars pour acheter le billet - je pense quitter M-rauk en allant toujours vers l'Est et relier Bagan. Zéba ne pourra pas passer la chaîne de l'Arakan et convient de faire le retour par bateau. On peut facilement la méprendre pour une Birmane. Elle doit juste demander à une amie d'acheter le billet à sa place. Elle quitte le samedi 19.
Le dimanche, je pédale toute la matinée en direction du sanctuaire de Kadothein situé à 10 miles (environ 16 km) de M-rauk. Quand je traverse Launggret, ancienne capitale de l'état, je n'en crois pas mes yeux. Complet changement de décor, je suis au Bengal oriental, les femmes portent le foulard à l'indienne et les habitants ont la peau très foncée. Partout s'étale la misère. Je fais un aller-retour au marché sans descendre de bicyclette afin de ne pas provoquer d'attroupement. J'écoute la langue et reconnais les plaisantes intonations du dialecte maternel de Zéba, le dialecte de Chittagong. Cet endroit "pater kila" que cherchait ma protégée n'est peut-être que l'ancienne Launggret. Je suis l'espace de la traversée du bourg dans un autre monde culturel, un autre pays. Ah ! Chère Zéba, de voir ton peuple souffrir me remplit de tristesse. Bien sûr, le manque d'éducation y est pour quelque chose et tous ces êtres misérables ne savent pas ce qu'il peut existe à côté de leurs conditions inhumaines de vie. Je m'arrête un peu plus loin au débarcadère de Ninja pour jouir de la vue sur le fleuve Lémyo.
Au moment de quitter, un couple de touriste de haute stature - probablement des Allemands - sont sur le point de rendre visite à un village Chin en amont de la rivière. Ils vont voir ces fameuses femmes Chin dont on tatouait le visage afin que les Birmans n'aient envie de les voler et les garder il y a plus d'un siècle. Les rites ont la vie dure et parmi les vieilles femmes, on rencontre des visages tatoués d'encre noire, une sorte de défiguration qui provoque plus de répulsion que d'attirance pour ces êtres malmenés, jouet entre les mains des hommes. La location du bateau leur coûte 38 000 kyats (soit 40 U.S environ 35 Euros) dont 10% payés en taxe à l'état. A cela s'ajoute 10 à 15 000 kyats pour la rémunération du guide accompagnateur. Une petite fortune dans la région dont peu en récolte les bienfaits. Il y a des départs tous les jours. A 50 Euros la ballade magnifique sur le fleuve en bateau avec au bout l'espoir de voir et photographier les femmes tatouées, voilà de quoi allécher les touristes friqués ! Ils ne donnent jamais l'impression qu'on les prend pour des porte-monnaie ambulants et bien pire encore pour des bourriques... S'ils avaient un minimum de sens de l'orientation, ils se rendraient compte qu'ils ont quittés M-rauk et se sont dirigés vers le sud-est. La ballade les emmène vers le nord, soit disant 20 miles (32 km), 3 heures sur l'eau pour aller au but. Des embarquements plus proches de M-rauk sont possibles et raccourciraient le temps de voyage mais ceci n'est pas dans l'intérêt des "voyagistes" locaux. De tous ceux rencontrés sur les sites archéologiques, personne n'a résisté à la propagande mise en place incitant à visiter les femmes tatouées. Cet exemple de voyeurisme se rapproche de celui des femmes girafes Padaung que l'on présente à la frontière thaïe (région de Mae Hong Son). Le bateau à moteur dispose de chaises longues, 4 personnes y prennent place à bord, le couple, le guide et le skipper. Les autochtones sont loin de voyager avec tant d'aisance. Je les regarde s'éloigner. Je vais aussi aller visiter ces gens mais à pied. Cela demande un peu plus d'effort mais je vais pouvoir y rester le temps que je veux. Je quitte le bord du fleuve pour continuer en direction de Kadothein, soit 4 km plus loin sur la route qui mène à Yangon. A la borne 100 miles, je tourne à droite après avoir demandé si je suis bien sur le bon chemin. 3 km d'une piste à travers une campagne aride qui s'étend au pied d'une chaîne de colline. J'ai l'impression que la nature l'a placée agissant comme un contrefort naturel à la misère qui règne ici bas. Surprenant mais je tombe sur un moine anglophone à l'entrée du sanctuaire. Je m'en veux de ne pas avoir pris ni cierge ni bâton d'encens. C'était l'endroit reculé par excellence où je pouvais me délester bien que leur poids ne fasse pas beaucoup de différence. Il est 10h00 quand je fais demi tour. Je vais devoir rouler pour arriver à 11h00, heure du déjeuner. Je suis descendu en flânant doucement en moins de 3 heures. De nouveau sur l'asphalte, j'avise un camion dont une faîtière en fer penche dangereusement sur la gauche. Il suffit qu'un véhicule survienne en face et la faîtière le fouettera de pleine face. Je pressens qu'il se dirige vers M-rauk et ai l'idée de l'arrêter. Je ne le fais pas car je peux presque le suivre en pédalant tant sa vitesse est limitée. Il prend un peu d'avance et je le retrouve arrêté plus loin sur un pont à côté d'une guérite. Je continue sur ma lancée et arrive même en avance. Je retrouve comme d'habitude notre ami le peintre en fin de journée sur les hauteurs de la pagode Haridaung. Il exerce son talent et communique avec les touristes occasionnels venus saluer le coucher de l'astre lumineux. Il tente de les séduire et leur vendre un tableau. Je lui fais savoir que je garde le vélo jusqu'à ce soir car j'ai encore besoin de ses trois livres pour compléter mon histoire de l'Arakan. Passé 21h00, l'extinction de la lumière, je lui rapporterai ses biens et reviendrai à pied au centre de méditation. Par chance, le premier ministre Soe Win est de visite et du fait de sa présence, il octroie une heure supplémentaire d'électricité (22h00 au lieu de 21h00). Je quitte sous les feux des réverbères rejoindre le doux rêveur. Je m'attarde un peu et discute avec lui avant de reprendre le chemin du retour. J'ai fixé le départ demain matin tôt pour profiter de la fraîcheur matinale. Ballade sur la rivière Lémyo: Je fais irruption dans le réfectoire dés que les moines ont finis leur petit-déjeuner. Je mange le riz et bois mon café. Je fais des réserves et emmène du riz mélangé à des légumes, ce qui se conserve le mieux. Il est à peine 8h00. Ils sont tous à la barrière du centre et cela donne un côté sympa et familial à mon départ comme si je faisais partie de la communauté. Je les quitte et passe au milieu d'eux. Leur haie d'honneur me touche. Je m'éloigne vers l'est afin de rejoindre rapidement les berges de la rivière. Au loin, s'élève la chaîne de l'Arakan que je vais devoir traverser pour rejoindre la plaine birmane. Tant que je reste dans le bassin de la Lémyo, je ne m'attends pas à de fortes dénivellations. Je dois traverser un village dont le temple se trouve à l'entrée. J'ai reconnu les lieux en vélo tout terrain il y a deux jours. Je souhaite le dépasser le plus tôt possible pour ne pas susciter la curiosité des villageois. Juste avant le village de Seo accolé à la rivière, je prends à gauche en direction de Lay Nyin Taung que je n'ai pu atteindre à vélo. L'ex-piste carrossable est infestée de marigots. Je dois les éviter à pied. Dans un champ proche, des coupeurs de riz m'indiquent les passages appropriés. Ils me reconnaissent probablement. Je n'ai pas pu aller plus loin à vélo car il m'eut fallu le tirer ou mieux le porter. Comme je devais revenir à M-rauk, je me suis dit que l'effort n'en valait pas la peine et ai fait demi tour immédiatement. Passé les bourbiers, le chemin se rétrécit et reprend son côté naturel, chemin commun emprunté par n'importe quel quidam habitant les environs. Deux femmes dont l'une très grande me suivent. Je vais leur permettre de me dépasser car je fais une pose, une légère déclivité me permettant d'y poser mon sac à dos. Les gens ne voient pas souvent passer d'occidentaux dans le coin. Les deux femmes restent sur leur réserve et ne tentent pas de communiquer avec moi. Je traverse Lay Nyin Taung sans marquer de pause. Je n'ai pas envie de me retrouver entourer d'une centaine de personnes riant, se moquant et me questionnant. A la sortie du village, je m'assure de ma bonne direction et continue ma marche vers le village Chin de Crit Chaung. Le sentier longe des enclos où les locaux récoltent du maïs et autres légumes rampants comme les cucurbitacées volumineux dont ils se servent quotidiennement à l'instar des calebasses comme des récipients. Il est tout tracé et la rivière n'est pas loin sur ma droite. De temps à autre, je l'aperçois languissante. Elle s'étend très large et repousse ses berges un brin majestueuse. Je me perds après Crit Chaung dans un cul de sac à flanc de colline surplombant la rivière. Il n'y a pas d'accès de ce côté. Je remarque une faille entre deux pans de roche et elle me conduit à un niveau supérieur. Le terrain est cultivé et les propriétaires viennent d'y arriver de retour de Sin Bon Kaing, le village situé sur la rive opposée. Je discute avec eux et ils me proposent de repartir avec le passeur. La rivière forme un coude et il est plus facile de marcher en face. Je sens bien que je dois passer de l'autre côté et j'embarque avec mon nouvel ami. Je sais qu'il a l'intention de faire manger dans sa maison. Je fais jouer au "feeling" et avancer à pas feutrés écoutant mon intuition si quelque chose venait à clocher. Du point de débarquement, nous remontons plusieurs maisons vers le milieu de Sin Bon Kaing. Il est l'un des deux fils qui vivent sous le toit de leurs parents. Son père est fier de m'accueillir. Il a des qualités de coeur que son habitude de boire n'a pas annihilés. Nous déjeunons en duo sous le regard de la population locale. J'ai pris soin de refermer la barrière de bambous derrière moi afin de limiter la progression des curieux. Au cours du repas, sa fille entre et ne l'entends pas de cette oreille. Elle la laisse ouverte et c'est l'afflux, l'envahissement. Je sais que je dois mettre un terme à mon déjeuner très rapidement et m'éclipser dés que possible afin de ne pas éveiller l'intention d'un éventuel emmerdeur ou fouineur. Le fils qui m'a invité a laissé son père reprendre ses droits sous le toit familial. Ils m'accompagnent tous les deux jusqu'à la sortie du village pour me mettre sur le bon chemin. Le père seul continue un peu plus loin et me manifeste des preuves d'amitiés. Fier et ému, il l'est de m'avoir reçu et nourri. Il tente de me communiquer un message que je comprends ainsi:"l'union (la solidarité) fait la force et déplace les montagnes". Je le remercie de sa générosité. Sous l'effet de quelques petits verres d'alcool, il a du mal à me lâcher le bras. Je m'en détache car les autres villageois nous observent à distance. Je n'ai pas envie d'avoir à leur expliquer quoi que ce soit. Je file discrètement et reprends mon bonhomme de chemin. Ce repas sur le pouce m'a requinqué. Je me dirige vers Mohuwa. Je tente une pause sur le rebord d'une boutique surélevée inoccupée. Peine perdue car des garnements arrivent en courant et hurlant ameutant tout le village. Ils m'ont vu passer. Sous l'effet de la surprise, ils échangent quelques moqueries et les rires fusent. Les adultes se comportent pour la plus part de la même façon du à un manque de communication et la peur de l'inconnu (peur de ce que l'on ne connaît pas et appréhende et peur de l'Autre que l'on ne cerne pas)*. Je saute sur mes deux pieds et m'éloigne à petits pas sans avoir précisé quel est le sentier qui conduit à Kon Chaung. La rivière forme un angle à 90% avec des pans de roche qui plongent dans l'eau. Je vais devoir rentrer à l'intérieur des terres pour les contourner. Il me serait plus simple de repasser sur l'autre rive mais aucune occasion ne se présente. Je n'entends plus le flot des eaux agitées et les voix humaines s'estompent petit à petit. Le chemin est visible mais embrouillé de bambous tombés en travers. Il y a longtemps qu'il n'est plus utilisé. Les autochtones sont habitués à pagayer et traverser le cours en barque. Il y a deux à trois collines à éviter d'après ce que j'ai pu remarquer. J'avance rapidement mais péniblement. Un anorak en plastique dur enveloppe mon sac à dos et le protége des épineux et arbustes. Mieux vaut une protection lisse où l'ennemi surpris n'a pas de prise et glisse qu'un pull-over en laine auquel il est facile de s'agripper et s'accrocher. Déterminé, je persévère pour déboucher sur une vaste plaine rizicole toute entourée de collines. Vers le sud-est, ce que je perçois être une vallée peut-être une échappatoire et une éventuelle issue de secours. Je me ravise. Je peine à avancer car trop de bambous obstruent le passage mais je dois garder mon cap -suivre la Lémyo - pendant quelques jours. Je demande le chemin vers Kon Chaung à deux riziculteurs abasourdis de me voir en cet endroit isolé. Sans vraiment me remettre sur le sentier, je continue péniblement ma progression d'autant plus qu'il se rétrécit à la largeur d'une épaule. Je force l'accès en brisant du bras les barrières de bambous. La nuit n'est pas bien loin et je n'ai pas envie de dormir sur le chemin. Je perds un peu le sens de l'orientation et sors ma boussole pour m'assurer qu je remonte au nord. Je transpire à grosses gouttes et les particules urticantes qui tombe des plantes et bambous, vole à mon passage et se colle à ma peau. Après avoir monté et descendu plusieurs dénivellations assez conséquentes, j'aperçois la clarté à travers la travée des arbres. Il y a presque 2 heures que je galère et la lumière est au bout du chemin. Je quitte les hauteurs avec une belle vue sur la rivière et rejoins la berge sablonneuse. Je traverse une petite crique. Des barques viennent d'y accoster et notamment deux Birmans musulmans qui vendent de la quincaillerie. Tout ce qui concerne les éléments de cuisine ou pour le lavage, toilette comme les cuvettes, seaux... Ils habitent Sittwe et viennent vendre leur batterie de cuisine sur le fleuve avec un menu bénéfice. Le bateau est loué. Ils conversent en urdu, la langue nationale du Pakistan, du fait qu'il soit de confession musulmane. Par rapport à l'hindi très proche, l'emprunt de l'alphabet pour écrire l'urdu provient de la langue arabe. Ils m'invitent à dormir dans une maison en aval. Comme j'en ai bavé pour arriver jusqu'içi, je ne tiens pas à revenir sur mes pas. Je refuse gentiment. La plage de sable où nous sommes n'est qu'un endroit de transit. Personne n'y habite. Je profite d'une pause de 20mn et m'enfonce dans la forêt de nouveau. J'ai deux heures de marche avant d'atteindre Kon Chaung. Je sais qu'il va être difficile de toucher à mon but ce soir car la nuit n'est pas bien loin. C'est ce qui se produit. Au fur et à mesure que j'avance, la nuit s'approche. Je me retrouve à choisir entre deux bras de cours d'eau à la nuit tombée. Je vérifie celui que je ne crois pas être le bon à suivre. Je débouche sur une jolie piscine naturelle comblée par une petite cascade. C'est l'endroit idéal pour se doucher et avoir de l'eau à profusion. Je ne reste pas. J'ai peur que l'endroit soit trop humide et je pense pouvoir continuer et avancer. Je m'illusionne. Je prends le bon bras mais je dois m'arrêter pour la nuit sur une plage de cailloux. Je la nettoie des carcasses de bambous et allume une bougie jaune de qualité, de celle que j'ai ramené de Thaïlande. Alors que je suis allongé sur mon duvet, quelque de bizarre se produit. Un cercle multicolore apparaît devant la flamme. Il a toutes les couleurs de l'arc-en-ciel et cet oeilleton fait office de fenêtre. A 20 cm de la flamme, il est de 10 cm de diamètre. Si je recule la tête, il s'agrandit et atteint 40 cm. Au-delà d'un demi mètre, l'illusion disparaît. Je n'ai jamais expérimenté ce phénomène. Je ne peux pas trouver d'explication sinon la fatigue qui me joue des tours. L'effet est magnifique. Je ferme les yeux, tourne la tête et regarde la flamme. La magie opère toujours. Je n'oublie pas de la souffler avant de m'endormir. Avec cette ouverture en couleur sur un monde étrange, la nuit est bonne.

Les premiers villages Chin: Je décampe tôt et rejoins à l'aube Kon Chaung. Il me restait un bon de chemin. J'explique ma déconvenue à l'instituteur. Il m'invite à m'asseoir et m'explique qu'il est aussi missionnaire de l'église de Mara. Il m'informe que des touristes débarquent en bateau quotidiennement en provenance de M-rauk. Je comprends le comportement calme des habitants. Ils ont l'habitude de recevoir des blancs qui viennent photographier les vieilles femmes tatouées, relativement jeunes, la cinquantaine que je prends pour des soeurs.. C'est comme si on leur avait dessiné une toile d'araignée à l'encre noire sur le visage avec le nez comme point central. Une femme âgée a la face toute noire. On ne distingue aucun dessin. Elle donne l'impression que tous les pores de sa peau ont été poinçonnés à l'encre noire. Je mets mes effets à sécher au soleil. Nous nous asseyons sous l'arbre à palabre où sont disposés bancs et chaises en bois. Je décide d'attendre les toutous. Cela dure quelques heures. Le bateau les a déposé dans le coude de la rivière et ils montent à pied jusqu'au village. Le chef est revenu des champs et tout le village s'attend à les apercevoir surgir d'un moment à l'autre. Ce sont deux géants qui apparaissent: un couple d'Allemands la soixantaine, docteurs tous les deux. Leur guide sympa - je les ai plutôt en horreur et considère honteux de faire payer très cher des gens que je juge assez stupides pour venir visiter des endroits très pauvres et sous développés - me questionne tous azimut. Je discute en allemand avec les visiteurs. Ils s'abstiennent de photographier quand on le leur demande. Ils ressentent une gêne. Se pose la question des soins en voyage. Je ne leur cache pas que j'ai une formation d'aide-soignant et que je soigne plus les autres que moi-même. Une femme nous raconte qu'un homme dans le village est malade depuis un an et qu'il ne peut se lever. Sa maison sur pilotis est à côté et nous montons le voir. L'Allemand l'ausculte bien qu'il soit entomologiste de profession. Sa rate est dix fois celle la taille d'un homme normal. Il diagnostique un paludisme chronique qui finira par le tuer. Il faudrait un traitement lourd d'une durée de six mois minimum. Nous remarquons sur ses fesses des carrés découpés dans du papier journal collés à la peau comme des pansements. Ils semblent protéger un cataplasme. Je demande une explication. Celui qui s'occupe des soins a fait des injections. La stérilisation des aiguilles était si bonne que les deux fesses sont infectées. L'une est tuméfiée. Le pauvre homme geint sur le dos alors qu'il ne peut évidemment pas s'asseoir. Nous sommes impuissants devant son cas. Je remercie les Allemands d'être venus. Retour aux chaises et chacun vient libérer sa petite souffrance et tenter de se faire soigner. Nous convenons d'en arrêter là sinon nous y sommes encore ce soir. Le guide, d'une façon autoritaire que je n'apprécie pas, demande une obole afin de patronner la construction de l'école visiblement bien avancée. L'air inflexible qu'il prend du genre:"vous devez donner au chef un peu d'argent pour la construction de l'école" me laisse pantois et dégoûté. C'est vraiment du racket organisé car je pense que l'école a été commencée il y plusieurs lustres. On l’entretient a moitie construite pour prendre les gens par les sentiments, les berner et leur soutirer un plus. L'argent sert en fait à faire vivre le chef, profite a sa famille et ses proches. Le village ne compte qu'une dizaine de maisons. Les Allemands s'exécutent sans un mot et donnent 5000 kyats (environ 4 Euros). Ils écrivent leur nom et le montant de leur don dans un registre des visiteurs. Je les regarde partir et je l'attrape curieux de connaître les sommes versées et la provenance soit le pays d'origine. Chaque jour, les sommes varient entre 4000 et atteignent 18 000 kyats (plus de 15 Euros)! Avec de telles sommes versées, le village devrait être riche. Au contraire, il donne l'impression d'être parmi le plus pauvre de tous ceux que j'ai traversé hier. L'effet est-il voulu intentionnellement pour attirer la compassion (bouddhiste) et la pitié (chrétienne) des occidentaux en visite ? Je crois sincèrement que l'argent ne va pas là où il le devrait, qu'il est mal géré et qu'un mendiant bien habillé reçoit moins d'oboles que celui qui est vêtus de haillons. Les francophones (Français, Belges), fidèles à leur habitude, sont les plus radins avec les Italiens (seulement 1000 à 2000 kyats soit un Euro environ). Je me dis que dans ce cas là, ils n'ont peut-être pas tord de verser une somme qui correspond au coût réel de la vie en Birmanie. Ces petites sommes émanent d'individuels qui se sont cotisés pour prendre un bateau à plusieurs. Rien d'étonnant à ce que les versements soient minimes. Je suis sur les hauteurs qui surplombent la rivière et regardent le bateau à moteur des Allemands s'éloigner quand la femme du chef, tatouée en toile d'araignée, vient retirer l'argent glisser entre les dernières pages du registre. Elle doit savoir ce qu'elle va en faire. Dans les échoppes de village, ce que l'on trouve le plus et en grande quantité, ce sont les cheroots, nom des cigares birmans. Chez les Chins, fumer à l'air d'être un vrai sport surtout chez les femmes y compris les allaitantes. Je m'aperçois que j'ai vraiment changé de région. Elle s'appelle joliment :"les collines Chin". Le climat a changé aussi. Le matin, elles sont embrumées. Cela leur donne un côté énigmatique et mystérieux difficile à percer. Le soleil ne pénètre ce qui n'est qu'une forte condensation due à une grande différence de température entre le jour et la nuit, que tardivement vers 10h00. Les nuits sont fraîches (environ 5°c) pour moi mais froides pour les autochtones. Pendant la journée, le soleil se venge et cogne à 25°c. Les gens ont un physique très différent de ceux de l’Arakan. Les femmes ont de beaux visages - pas étonnant que les Birmans voulaient les leur voler - et sont juste couverte d'une grande chemise noire ou rouge très aérée qu'elles tissent généralement elle-même. Certaines sont plus élaborées que d'autres selon les moyens de la personne. L'habitat en hauteur surprend à première vue. Les maisons sont sur pilotis et entourée d'une palissade. Il n'y pas de toilettes. Pourtant tout est propre. Je comprends vite quand je vais faire mes besoins dans la nature suivie par un visiteur acharné indésirable à quatre pattes. Je n'ai pas baissé les fesses que le porc a déjà la tête dans le cul. Je dois me mettre de travers et d'un bras le menacer tandis que je résume au plus vite les opérations: "besoins primaires". Ma tache finie, je dois me pousser pour ne pas me faire marcher sur les pieds ! Ce n'est que le premier porc omnivore - animal qui mange de tout - et mon premier village Chin. Le jeune évangéliste protestant de l'église de Mara me présente un document résumant ses difficultés à pénétrer la culture bouddhique des habitants et leurs croyances animistes qui datent des temps immémoriaux. Je le trouve très courageux. Bien qu'il soit Chin, le dialecte local est complètement différent de celui de son village natal. Il a fait une expérience dans le district de Palewa dont il n'a pas gardé un bon souvenir d'après ce que je peux lire. Un pasteur d'une église protestante concurrente l'a agressé et traité d'avorton. Menacé, il se sentait en insécurité et a eu peur. Aller à 18 ans prêcher sur les terres des autres n'est pas une sinécure. Les gens ont la tête haute mais portent des coups bas qui détruisent le moral. Il écrit :"les notions primaires d'hygiène et des rudiments d'éducation sont difficiles à enseigner, alors pour ce qui est de la religion, c'est presque mission impossible". J'ai vu les Allemands partir vers l'amont et je suis furieux d'avoir raté le coche en n'embarquant pas avec eux. Je pensais réellement qu'ils redescendaient vers Ninja, leur point de départ. Sinké (Sangge selon la prononciation locale), le prochain village très proche est un peu plus important et je crains les contrôles inopinés et questions insidieuses. Cela m'aurait permis de faire d'une pierre deux coups; dépasser Sinké et éviter deux heures de marche sous le cagnard. Je m'en mords tellement les doigts que je veux quitter sur le champ quand mes deux Urdus font irruption. Leur invitation à m'embarquer jusqu'à Sinké tient toujours. J'attends qu'ils finissent d'empocher l'argent qui doit leur revenir et descends au fleuve avec eux. Voilà qu'ils se mettent à grailler ! Ce qui n'est pas pour me déplaire car je n'ai pas été invité à manger dans le village. Du poisson au curry au menu qu'ils avaient préparé et emmené avec eux agrémenté de riz. Absolument extra ! Quand on connaît comment les orientaux (Pakistanais de l'est ou de l'ouest avant la partition) cuisinent le curry - que ce soit du mouton, du poisson ou du poulet - on adore si l'on aime les saveurs épicées. Je me régale avant d'embarquer avec eux.
Quatre hommes et leur matériel dans une barque de petite dimension rament à contre courant. Je me rends compte rapidement que nous sommes en surcharge et faisons du surplace du au poids de charge. Nous ne pouvons vaincre les effets du courant et notre futur proche risque d'être mouillé à moins que nous lâchions du lest. Ils ont beau souquer ferme, nous sommes entraînés par les eaux tumultueuses. Nous longeons la rive et je leur demande de me déposer. Ils acceptent. Quand je tente de rassembler mes effets sur la berge, je les vois croiser le cours et le remonter sur l'autre rive. Même sans moi (95 kg), la partie n'est pas aisée. Je noue mes lacets, charge le sac sur mes épaules et reste à hauteur du niveau d'eau. 20mn me suffisent pour atteindre et dépasser discrètement Sinké. Mes amis Urdus déchargent leur barque quand j'arrive. Je les salue et remercie d'un petit signe. Une personne m'interpelle du haut du village mais je n'y prête pas attention. Je suis concentré et déterminé: suivre la ligne d'eau. Elle passe par des jardins au bord de l'eau ou croissent des poids, haricots, du maïs et des curcubitacées. Un autre 20mn "on the run” (en fuite) et j'atteins un appentis en bambou où gît un vieil homme noir. Je marque une pause. Il m'offre du thé noir, une marque de Sittwe à laquelle je n'avais jamais prêté attention. Il me montre son genou légèrement infecté mais je ne peux rien faire pour lui. L'infection est bénigne et un traumatisme - un coup reçu -est venu se greffer dessus. Peine perdue. Le vieux se remettra avec le temps. Il est posté là pour surveiller le jardin et empêcher les cochons sauvages et autres oiseaux d'en amoindrir la récolte. Un bruit l'alerte et il jette un oeil. Au passage, il tâte mon imperméable en plastique dur qui assure la protection de l'ensemble du sac lorsqu'il pleut ou que je marche en jungle dans un couloir fermé comme hier. Il me demande un longyi. Je ne peux pas lui échanger le mien contre le sien complètement limé. J'ai du chemin à parcourir avant de rejoindre Rangoon. Je ne peux que m'éloigner tout contrit de ne pas avoir pu lui apporter un peu de bonheur sous quelque forme que ce soit. Il m'a fait comprendre que je ne suis pas tout à fait correct quant à ma direction. J'en déduis qu'il existe deux voies d'accès à Than Tang: l’une à l'intérieur qui vous y conduit en 2/3 heures de marche et l’autre plus longue du fleuve à cause des méandres qu'il semble affectionner dans cette partie de son cours. Je me souviens l'avoir noté quand j'ai jeté un coup d'oeil sur la carte de Birmanie. En longeant la Lémyo, je suis le second itinéraire. Le sentier se distingue à peine sur la roche ou dans la vase. Il est pénible et dangereux car les roches sont glissantes et à flanc. Je préfère à plusieurs reprises me déchausser afin d'avoir une meilleure prise avec la matière et éviter de chuter lourdement dans l'eau. Je n'ai pas voulu pénétrer Sinké, raison pour laquelle je me retrouve de temps en temps en progression délicate de ce côté. J'atteins une immense plage de sable et de pierres, terrain de transit pour les bateaux qui naviguent et ont besoin d'un havre de paix pour la nuit. Quelques gamelles sont sur le feu et des individus autour tentent de se réchauffer. J'avise un groupe dont un moine. Je suis étonné qu'il y ait un temple dans le coin. Il manque sincèrement d'ouverture d'esprit. Il se tient debout à l'écart du feu. Un couple discute et surveille une popote. L'homme m'invite à dormir. Je lui réponds que je préfère dîner et filer un peu plus loin. Un quart d’heure plus tard, je le suis jusqu'au village (à peine 10 maisons). Il réitère son invitation et je l'accepte. Je sais qu'une telle occasion ne se représentera pas. Il est prévenant. Je retourne chercher mes sacs et reviens m'installer au premier sur la véranda ouverte. Le couple mange sur la plage et m'apporte une part. L'homme me fait savoir qu'ils habitent Lay Nyin Taung et m'a vu traverser le village avant-hier, raison pour laquelle il se montre très familier et hospitalier. Les enfants se montrent intéressés devant cet étranger. La soirée est calme. Je profite d'une bonne nuit de repos. De bon matin, j'ai prévu un Thermos de thé de Ceylan dans cet endroit reculé - un luxe ! - Une gorgée de miel au préalable que j'arrose de thé noir (2 litres) suivi d'un peu de méditation Vipassana le temps que le petit-déjeuner se prépare, je suis sur le départ une fois finie mon assiette de riz. Je m'éloigne d'un pied ferme et continu sur la plage sans rencontrer d'obstacles ou de difficultés. Deux jeunes me suivent sur le côté car ils se dirigent dans la même direction. Ils veulent me parler et m'avertir d'une chose mais je ne tourne pas la tête. Après 25mn de marche tranquille, je rencontre un nouveau méandre. Je ne peux pas biaiser. La solution la plus simple pour éviter une nouvelle galère est de passer sur l'autre bord. La rivière forme un véritable lac où dans les profondeurs, le poisson doit pulluler. Un petit îlot au milieu d'où les hommes extraient des roches friables. Ils m'interpellent. A 30 mètres de l'eau, sous deux bâches en diagonale, des femmes et enfants patientent. Le temps est extensible ici et il leur appartient. Une journée - unité de temps - n'a pas de valeur propre. Ils donnent un sens à leur vie avec pour seul référent l'éternité qu'ils imaginent selon leurs origines. Les deux jeunes voulaient me signaler qu'il me faudrait nécessairement croiser le cours. Sans être rebuté, l'un d'eux me propose une barcasse dont le fond prend l'eau. Il suffit de voir ce qu'elle contient d'eau pour comprendre que quelques unes de ses planches sont disjointes. Il n'hésite pas à traverser et l'échanger contre une grosse avec laquelle il me passe de l'autre côté. Je m'aperçois que j'ai oublié mon T-shirt étendu sur les cailloux au soleil. Dukkavé ! (Vient du pali: dukka = douleur. Exclamation courante dans la bouche des Birmans). Je me sens tout idiot d'être la cause d'un effort physique qui aurait pu être évité. Je rassemble mes effets et observe 4 gars qui construisent une boutique en bambou à la limite de l'eau. Ayant pris un peu de répit, je continue sur la plage immense. Je ne me suis pas rendu compte qu'un village était établi sur les hauts de la rivière. Il doit être constitué de quelques familles seulement. Il y a des maisons en bambou bâties sur les cailloux. Je marque une pause à la première venue à cause de la chaleur. L'homme me fait un signe amical et me propose d'entrer. Ils finissent un repas frugal mais copieux en riz. Sur sa proposition, je finis les fonds de casserole: porc et riz auquel sa femme ajoute quelques menus poissons frits. Ce qu'il me faut pour tenir ma rive gauche ! Il y joint successivement des tasses de thé noir. Je m'interroge sur sa condition. Je reste 3h00 environ avec eux, le temps du coup de chaleur. Je soigne d'abord sa gamine (8 ans) avec un demi Paracétamol, le thermomètre indiquant 39°c. Ils n'ont pas l'air démuni et je l'ai même vu palper quelques billets de 1000 kyats qu'il a en poche. Il a deux fils - 25 et 23 ans - et deux gamines - 13 et 8 ans - que je ne soupçonne pas être du même lit. La mère s'est absentée avec la préadolescente pour acheter des boucles d'oreilles pour la petite. Cela me surprend. Les gamines sont sales et mal vêtues mais folles de joie à porter les boucles qu'elles échangent. La petite souffre un peu car ses trous se sont refermés mais ne faut-il pas savoir souffrir pour se faire belle ?
L'homme se lève un moment pour sortir et je le vois fragile sur une jambe. Il a des difficultés à se déplacer et il lui serait impossible d'assumer un travail pénible. Je ne pense pas qu'il a un pied-bot ou qu'il ait été amputé mais je pense à un blessé de guerre. Ce qui expliquerait sa relative aisance financière avec une pension et ses connaissances de l'anglais. Je n'insiste pas car je vois bien qu'il ne veut pas en parler. Il supporte mal cette situation de dépendance et sa mobilité réduite. Revenu sur sa couche, il me montre de l'autre côté de la rivière son fils cadet qui retourne un lopin de terre qui lui appartient. Il arrive plus tard. Ils sont forts et beaux. Tout comme le père auparavant, les deux fils marquent un intérêt marqué pour mon imperméable en plastique dont je n'ai finalement pas beaucoup besoin. Je crois savoir que la saison des pluies ici est impressionnante. Ça dégringole ! C'est effectivement l'imper impeccable pour ce genre de saison des pluies. Il ne permet pas de rester au sec si ça tombe en cascade mais au moins de conserver une partie de la chaleur corporelle. Ils seront 3 à l'utiliser à tour de rôle. Je leur laisse sans concession. Un vieux gilet de grand-mère assurera la protection de mon sac. Il a l'air d'être une référence ou quelqu'un de reconnu dans le coin. Il m'a demandé deux fois si je voulais continuer en bateau. Je finis par acquiescer quand survient un vieil homme seul sur sa barque. Les barques descendent des produits de la nature (fruits divers) sur le marché de M-rauk et remontent à contre courant à vide. Mon hôte hèle le batelier et lui demande d'approcher. Il lui signale qu'il a une faveur à lui demander. Le vieil homme s'exécute. L'arrangement se fait entre eux. Je comprends juste qu'il n'y a pas de question d'argent à mon sujet. Le vieil homme accepte de m'embarquer avec lui. Je n'ai aucune idée jusqu'où il va. Il propulse la barque avec une perche. Un auvent en bambou tressé en U retourné permet de se mettre à l'abri des pluies subites ou du soleil. Je suis assis à l'avant et juste derrière moi, un brasero avec une théière dessus. Je ne perds pas mon temps à contempler la nature. Les courbes naturelles dans lesquelles se languit le fleuve dégage une virginité, pureté liée au fait que la pollution n’existe pas. Seule la main de l'homme a opéré des dommages dans le cours naturel du temps. La rivière a aussi pu changer de lit plusieurs fois au cours des différentes ères. Dés que l'occasion se présente, je descends afin d'alléger la frêle embarcation. Je parcours à pied en ligne directe jusqu'au moment où je ne peux plus progresser. C'est comme si je marchais sur la corde d'un arc liquide formé par la courbe de la rivière. Nous nous fatiguons à tirer la barque dans des petits rapides successifs. Je me mets à ramer. Je ne tiens pas à ce que mon batelier s’épuise. Je ne supporte pas d'être transporté (tricycle, pirogue...) surtout si l'autre pédale ou rame pour moi. Je conçois mal que quelqu'un fasse un effort physique pour me transporter même s'il doit être rémunéré. ça me fait du bien de ramer, c'est bon pour les bras. Avec la marche, le vélo, je donne toujours priorité aux muscles des jambes. 2 heures à ramer pour atteindre un poste de police où les transitaires doivent se déclarer. Il me dépose à la cabane de garde et file sur un petit bras de rivière du nom du lieu-dit où nous nous venons d'accoster. L'unique policier qui s'appelle Sain Mying, un peu surpris de me voir débarquer, à l'air assez amical. Le point de vue sur la rivière est imprenable. Impossible de passer la Lémyo en catimini sans être vu. Depuis la cabane, vue sur le coude surplombé par un dénivelé. La rivière vient juste se diviser en V au pied du terre-plein. La Luchonwa vire à gauche et la Lémyo fière poursuit son ascension des collines Chin. Je remonte au village seul et m'élève d'un cran. Lorsque je me retourne, le paysage n'en est que démultiplié, multi vision en couleur entretenue par un clin d'oeil du soleil qui s'affaisse. Je pose mon sac et m'assieds contemplant le déclin de l'astre lumineux. Je suis heureux d'avoir atteint ce point sans conséquences. Lorsque Sain Mying me rejoint, je le suis jusqu'à la maison du chef du village. Nous passons l'école et entre quelques habitations Chin. Aucun reproche ne m'est fait. Personne ne me dit: "tu dois t'arrêter là. Demain, tu retournes à M-rauk". Mes papiers universitaires et ma bonhomie suffisent à les convaincre que je suis inoffensif. Soirée amicale où les quelques personnes éduquées - les fonctionnaires et enseignants - viennent s'entretenir tant bien que mal avec moi. Le lendemain matin, je déjeune et j’attends l'éventuel passage d'une barque qui pourrait m'embarquer. Je suis sous la bonne garde de mon ami. Quatre hommes arrivent. Le plus vieux d'entre eux monte au poste de garde et s'acquitte de leur droit de passage. Il me regarde misérablement comme s'il me tenait responsable de son malheur. En fait, Thein Thun le ponctionne à raison de 500 kyats par personne. Total:2000 kyats qu'il ne possède pas. Il a en poche seulement 1300 kyats. Il espère que ma présence va influencer le policier et faire baisser ses prétentions financières. Il a vraiment l'air pitoyable. Il faut vraiment être ripoux pour encaisser sans scrupules de l'argent racketté. Il versera 1000 kyats. Entre ses doigts, il contemple les 300 kyats. En contrepartie de sa minoration de taxe, Thein Thun lui demande de m'emmener. Je fais grise mine car vu de loin, je juge la barque suffisamment chargée. L'arrangement est conclu. Deux jeunes vigoureux sont aux commandes tandis que l'aïeul goûte au repos mérité. Avec le quatrième, quand l'occasion est propice, nous descendons pour alléger l'embarcation et parcourons à pied des distances relativement courtes. Nous marquons même une pause thé noir dans une gargote du bord de l'eau car nos raccourcis nécessitent moins de temps qu’il ne leur en faut pour nous retrouver. La plaine dans laquelle coule la Lémyo est dégagée sur les berges. On ne les aperçoit pas forcément à cause des herbes géantes qui les garnissent. Dés que le rideau d'herbes, de plantes et d'arbustes tombe, les traces de pieds ne s'impriment pas sur ce terrain sablonneux. Sortis du lit où les graviers le dispute à la roche mère, le pied lourd s'enfonce dans la mouvance lorsque nous mettons pied à terre au coeur de la courbe, terrain vaseux et moins ferme. Cela dure la journée alternant entre marche et "flâneries Lémyoniennes". Je suis guidé pour le dernier court-circuit par l'ancien. Nous pénétrons un carré de cultures diverses et pénétrons à l'intérieur d'une habitation. La femme résignée tatouée toute de noir attend que le fils ait fini son repas de brochette de sanglier. Mon batelier est chez lui. Je goûte un peu de porc grillé sur le feu avec des piments verts. Je vise le fusil qui repose au-dessus de nos têtes. Bienheureux qu'ils l'aient ! Ils ont au moins des protéines garanties avec ces collines boiseuses aux alentours. Nous ne nous attardons pas car il doit dépasser son habituel lieu d'ancrage pour aller chercher des biens qu'il rapportera à M-rauk. Nous sommes proche de Than Taung où je suis conduit au poste de police commandé par U. Thein Thun. Clôturé de hautes palissades, seul une herse faite de végétaux se lève et donne accès à un petit fortin entouré de tranchées. Avec une vue saisissante sur la vallée - le raccourci qui conduit à Sinké - et la rivière en contrebas, le poste, véritable camp militaire est adossé à la colline et marque la limite de Thang Taung. Quelques soldats sont de faction nuit et jour. Il est fortement conseillé de s'annoncer la nuit venue avant de soulever la porte. Celle-ci étant soutenue par deux pieux pendant la journée, l'entrée y est libre et ça va et vient comme dans un château. Il y a bien sûr les familiers de la cour - prérogatives obligent - et ceux qui tirent de menus avantages: fournir les rations alimentaires ou bien accès à l'eau... Autour d'une table, mes papiers sont épluchés sans trouver rien à redire. Le jeune commandant me garde avec lui pour la nuit. Il est malade. Son cuisinier (sergent) lui concocte de bons petits plats. J'ai droit aux "bouchées doubles". Père d'une fillette (1 an), sa femme vit à Moulmein (état Mon) dans l'extrême sud de la Birmanie. Il doit rester 3 ans ici avec la possibilité de 2 retours annuels (permission). Accompagné d'une aide de camp, Je parcours l'allée aménagée de Thang Taung. De part et d'autre, des maisons entretenues qui témoignent nécessairement du bon niveau de vie de leurs occupants. D'où tirent-ils l'argent de leurs revenus ? Une voie d'accès joliment travaillée permet de traverser le village jusqu'à l'autre bout. On passe l'école remarquable construite tout en bois et le bout du chemin bute sur l'église protestante. U. Phwe Thang, le pasteur m'accueille comme un frère. Je confonds sa femme très grande avec une Européenne à cause de son apparence anglo-saxonne. Elle est réservée et plus discrète avec un bébé dans les bras. Ils ont un garçon de 10 ans, sujet fréquent à des crises de paludisme. Un pensionnat pour quelques ados agrandit le cercle familial qui compte une dizaine de personnes. Samedi, le pasteur remonte la rivière jusqu'à l'embouchure de la Puchonwa et continue vers le parc national du Mont victoria (Natmadaw National Park). Il me propose de me joindre à lui pour faire le chemin ensemble. Voilà qui rassurerait le commandant du poste de police peu enclin à me laisser continuer seul. Je lui donne mon accord de principe et confirmerais demain. Je dois juste patienter une journée dans ce petit trou perdu. De retour à la caserne, l'instituteur depuis 12 ans en poste a été dépêché pour me convaincre de renoncer à mon aventure au-delà des limites de Thang Taung. Aucun occidental de passage n'a franchi cette frontière symbolique qu'ils jugent dangereuse et difficile à dépasser. En tant que représentant de la loi d'un état totalitaire, les autochtones considérés minoritaires nourrissent des rancunes à l'égard des autorités censées les protéger. Si ces uniformes nationaux de l'Union des Peuples du pays en question pénètre ce territoire indigène, ils seront considérés comme des ennemis et auront droit au ressentiment de la minorité. La minorité accepte difficilement qu'un élément de la majorité dominante vienne remettre de l'ordre dans une région dont il ne parle pas la langue. Je n'ai pas de mal à leur expliquer. Je me déplace sans préjugés, sans parti pris, à l'écoute de tous les courants religieux et politiques. Né catholique, devenu bouddhiste par affinités, je suis au-dessus de leurs querelles de "clocher". Je suis le bon apôtre, celui qui sème la bonne nouvelle. Je suis l'ami de coeur de tout être humain. De mémoire, l'instituteur me raconte que je suis le cinquième à parvenir à Thang Taung. Le premier était canadien, le second suisse et un couple franco malaisien pour compléter le quartet. La nuit porte conseille. Sur ces dernières paroles, je les mets dehors car je suis harassé. Je veux pouvoir me reposer.

Vendredi 25 novembre : jour de l'indépendance (à Than Taung). L'instituteur abandonne petit à petit son idée de me convaincre de faire demi-tour. U. Thein Thun se réfugie dans sa maladie et me signale qu'il est inadéquat pour moi de dormir au poste de police. Son hospitalité et sa gentillesse lui ont fait oublier qu'il m'hébergeait dans un bâtiment officiel réservé aux serviteurs de l'état. Le chef du village va m'accueillir pour la nuit. la communication est plus difficile car il remplit juste sa tâche. Sa famille manque de savoir-faire et m'accueille à contre coeur. Il y avait bien l'instituteur ou le pasteur mais je suis les recommandations et ne veux pas contrarier le chef de la police. Il sait que rien ne m'arrêtera et je passerai par derrière les collines s'il ne m'autorisait pas à poursuivre mon périple. Je ne veux pas le mettre dans l'embarras mais je partirai, accompagné demain avec U. Phwe Thang. Je l'ai poussé à rencontrer le pasteur mais il n'y tient pas. Ce n'est pas sa ligne officielle. Il est tenant du bouddhisme. Il y a d'ailleurs un jeune moine missionnaire juste à côté du poste de police. De part et d'autre du village, les âmes sont bien gardées. Le bouddhisme leur permet de migrer tandis que l'église les range au Paradis ou en Enfer. Selon l'Union de la République du Myanmar, le bouddhisme habituellement tolérant envers les autres religions est érigé en religion d'état. Etre musulman dans l'Arakan ne permet pas de voyager à Rangoon. Où que l'on soit dans le pays, les discriminations pleuvent. Pourquoi ne pas venir parler avec le pasteur et me recommander auprès de lui. Je comprends les réticences du policier. L'instituteur lui-même n'a pas de contact avec U. Phwe Thang. J'apprécie l'homme d'église. Il communique, est ouvert aux influences extérieures et fait preuve de générosité. Je lui donne une tablette de Chloroquine 250 mg soit 10 cachets. Il a une notice d'emploi et peut soigner 3 crises de paludisme dont son fil est regulierement sujet. Samedi matin après une nuit comme ci comme ça, le chef abat un jeune poulet et agrémente le riz du petit-déjeuner. Le pasteur doit courir après sa barque que des pêcheurs lui ont emprunter. Le bien personnel peut être utilisé à des fins publiques. Ce genre de petit contre temps qui énerverait un occidental est coutume courante dans des sociétés où la propriété individuelle est inconnue et le matérialisme non figé. Nous sommes 7 passagers à bord. Nous quittons avec un peu de retard après 9h00. En pleine fleur de l'âge, 3 jeunes vigoureux du pensionnat qui rejoignent leur famille/village. Leur tâche est propulser la barque le long de la berge avec de longues perches. Le principe est identique comme pour arriver à Than Taung; nous utilisons seulement le bateau pour les traversées d'un méandre à l'autre. Le reste du temps, nous coupons à travers champs herbus ou terrains caillouteux et attendons que la barque nous emmène de nouveau. Aux 3 étudiants, se sont ajoutés un aide pasteur, une femme qui m'a sérieusement l'air d'être la petite amie de U. Phwe Thang, le pasteur lui-même et moi-même. Dans les passages difficiles, il n'hésite pas à lui donner la main. Je ne pense pas qu'il y ait anguille sous roche. Je crois savoir que le libertinage est condamné par la moralité Chin et religieuse. Il est passible d'homicide soit par l'époux trompé ou le frère de la femme adultère. On le connaît sous le nom de crime d'honneur. Je remarque mais ne me mêle pas ce qui ne me regarde pas. Nous avançons à bonne allure sans relâche si ce n'est une pause déjeuner. L'arrivée est prévue vers 18h00 après la nuit tombée. Je me plains de devoir avancer sous les étoiles et de ne pas avoir prévu un départ plus matinal. La vallée dans laquelle s'étale la rivière est verdoyante, infestée d'herbes rustiques géantes et se resserre parfois autour de la Lémyo comme pour mieux l'étreindre et l'apprivoiser. Ce sont les endroits les plus beaux où la roche tombe à pic dans l'eau, ceux aussi ou il est temps de remonter dans la barque pour pousser plus en amont. Le troisième homme au cours d'une de nos virées pédestres s'est approché d'une tente sur laquelle séchaient des brochettes de petits poissons noircis à la flamme. Sans s'enquérir de quoi que ce soit, il s'en emparé comme s'il était le roi et que ses sujets lui soient redevable de tout. Je ne l'ai pas vu déposer un billet. L’argent n’est d'aucune utilité dans ce coin nature. Les gens sont autonomes avec leurs cultures/élevage domestique et les échanges pratiquement nuls. Marchant côte à côte avec l'aide pasteur, il ne s'est pas tourné vers moi pour m'en offrir un. Ce n'est pas le genre de nourriture dont je raffole. L'intention est dans le geste. Arrivé à la barque, je peux penser qu'il en proposera aux 3 jeunes qui n'économisent pas leur énergie. Rien n'en est ainsi. Il la garde et la grappille un peu plus avec son collègue. Une conduite que j'accepte difficilement. A la pause déjeuner, les petits poissons sont suffisamment nombreux pour satisfaire les 7 passagers. Je me contente d'un seul à des fins gustatives et gastronomiques. Le pasteur m'a glissé 2 oeufs dans mon tupperware birman et des os de poule à sucer. La pause est brève. Il faut repartir. La journée est agréable. La chaleur se supporte bien. Nous glissons à contre courant dans le lit de la Lémyo. D'autres utilisent sa force motrice pour descendre des trains entiers de wagons de bambous de grande taille (jusqu' à 5 m de long ou plus). Ils les coupent sur les hauteurs, les laissent glisser ou les tirent jusqu'au niveau de l'eau où ils les assemblent en épis. Par gros paquets flottants, ils en font un train de plusieurs dizaines de mètres (jusqu'à 100 m) selon le nombre d'hommes à la tâche pour les faire dériver jusqu'à Ninja voir Sittwe. Pour chaque "wagon" arrivé au but, ils reçoivent 1000 kyats (0, 80cts d'Euros) à la vente. Les hommes jeunes, téméraires, costauds vivent sur leur radeau sautant d'une "voiture" à l'autre en cas de problèmes dans les rapides. C'est un boulot de titan peu rétribué. Je me mouille complètement une fois. Je n'ai pas à me soucier de la douche, ce soir. Kopesche et Kubichi sont deux villages que nous croisons. Ils ont la particularité de parler un dialecte Chin qui leur est particulier. A Kopesche (20 foyers), nous faisons halte et nous désaltérons d'eau bouillante chez le pasteur que nous sommes venus chercher. Le physique de ces villageois m'impressionne. Les hommes comme les femmes sont beaux, les traits fins, la peau colorée. Les corps bien proportionnés dégagent de l'aisance dans le geste, une façon de se mouvoir comparable à ces danseurs de ballet. Bien que démunie, l'intérieur de la case concentre toute l'harmonie, les relations d'amour entretenues sous ce toit. Sa femme a un visage angélique, ses quatre gamines sont irrésistibles, son frère a tout du félin. Il nous faut pourtant quitter ce havre de paix. Nous finissons à la torche électrique. J'ai peur de chavirer. Le portable et l'appareil digital sont dans mon sac à dos, ma ceinture avec mes valeurs + papiers dans le sac plastique. Je porte juste un maillot de bain. Une fois accosté au village de Puchonwa, la maison du pasteur est à 20mn de marche. Il faut se mouiller les pieds plusieurs fois avant de l'atteindre. La caravane s'ébranle, véritable expédition nocturne, maillons de chaîne humaine en file indienne remontant la petite rivière Puchaungwa d'où le village tire son nom. La maison du pasteur jouxte l'église devant la rivière. Une vingtaine de foyer sont établis à flanc de colline.

Dimanche 27 novembre Repos dominical à Puchonwa: Les repas sont accompagnés de haricots verts (20 cm de long) de la maison excellents. Il n'y a rien d'autre dans l'assiette mais le jus des légumes verts me ravit le palais. Dans l'église, des fillettes chantent gracieusement, leurs mains levees ondulant délicatement, leurs voix douces bercent et calment les âmes réceptives. La langue Chin est mélodieuse. 3 gamins d'une même fratrie, un air de débilité dans l'air se baladent cul nul entre les fidèles. A l'occasion, un chien pénètre l'allée centrale et s'invite au grand plaisir des enfants. Après l'office du matin, tous les curieux montent à l'étage où nous restons. Je dispose d'un fauteuil pliable de plage - comment est-il arrivé là ?. Les Chin observent le seul occidental qu'ils n'aient jamais vu sous les commentaires de U. phwe Thang. Les pasteurs ont un séminaire de deux jours à Kenzanu. Autant que je fasse route avec eux, ils connaissent le chemin. Puchonwa est un des villages les plus traditionnel et pauvre qu'il m'ait été donné de traverser. Le pasteur claudicant de l'église méthodiste m'invite à le visiter. Je me rends chez la famille du maître d'école prés de laquelle il habite. Sa petite maison en bambou n'est pas finie. L'instituteur a quatre enfants dont un autiste et beaucoup de misère a assumer. Nombre de femmes du village sont tatouées à commencer par celle du pasteur âgé d'une cinquantaine d'années. Je dévisage leurs faces défigurées, il n'y a pas d'autre mot pour considérer cet acte qui tranche avec l'esthétisme. Quand nous quittons "après avoir consommé le poulet de l'amitié", je les vois partir en groupe, hotte sur le dos. Une belle image où transparaît la solidarité collective. Je suis en même temps plein de compassion pour ces êtres qui sont toujours à la tâche. Le petit-déjeuner est pris habituellement vers 8h30 dans quelque village que ce soit. Cela permet de prendre seulement deux repas quotidien mais retarde le départ en cas d'excursion à l'extérieur du village. Le dîner est généralement pris après 16h00 d'où un laps de temps de 8h00 entre les deux repas. La diète est pauvre et du riz de gros calibre cultivé à proximité est l'élément de base de la nourriture. Des légumes viennent s'y ajouter. Selon la période, un peu de poisson ou du cochon, poulet, sambal... Les fruits sont rares (manque de vitamines). ça suffit ! C'était mon quart d’heure diététique. Nous nous élevons rapidement à flanc de colline au milieu de bambouseraies impressionnantes. Certaines ont été élaguées et la vue s'étend absolument superbe jusqu'à la plaine de Palewa où coule nord-sud la rivière Kaladan qui se jette dans le golfe du Bengal à Sittwe. Je reste coi. Les Chins ont peut-être du mal à atteindre cet etat contemplatif mais c'est magnifique. Je monte devant à vive allure; ce qui me permet de faire des pauses là où bon me semble. Je choisis les vues panoramiques pour me poser. Une longue journée de marche nous attend si nous atteignons Kenzanu aujourd'hui. Ils ont prévus deux jours mais cela ne m'intéresse pas beaucoup. Je veux progresser rapidement et je donne le ton, mon repos dominical m'a permit d'emmagasiner de l'énergie. Le décor est génial. Sur 360° C, les lignes de crêtes courent jusqu'à l'horizon enserrant les rivières (Lémyo, Puchonwa) dans leurs bras. J'ai appris à Puchonwa qu'aucun occidental n'avait marché sur ces terres. Je m'en étonne et ne le crois pas mais au cours du périple, je vais avoir des témoignages concordant qui prouve la véracité de l'assertion. A l'époque des Britanniques (Carey & Tuck, Chin gazette, 1895), les Chins étaient des sauvages complets. La seule coutume qui les rendaient plutôt sympathiques; ils réglaient leur compte en s'empoignant et se mordant le nez, l'oreille plutôt qu'à l'arme blanche. Les Britanniques conquirent les villages les uns après les autres dans la partie nord de l'état Chin (région d'Haka, Falam, Tiddim). Les Chin étaient de fiers guerriers, connaissaient les techniques de l'attaque surprise et ce ne fut pas sans douleur que l'Etat-major Britannique finit par s'établir. Les terres du sud ne furent pas visitées.
Installation des Missions Etrangères de Paris (M.E.P) dans l’état Chin: Le 01 janvier 1934, les Missions Etrangères de Paris s'établirent à Mindat avec l'arrivée du Père Audrain envoyé par l'évêque de Mandalay, Monseigneur Falliéres. Ils envoyèrent des émissaires dans les terres, la région étant jugée dangereuse et sauvage par les Missionnaires Catholiques. Ils formèrent des prêtres locaux et des catéchumènes qui firent le travail d'évangélisation dans ce qui est actuellement le Parc National du Mont Victoria (10 200 pieds). Nous marquons des pauses brèves régulièrement. Nous arrivons à Natwé, village sans prétentions puisque inoccupé et déserté par ses habitants. Il était prévu que l'équipe de pasteur bivouaque ici mais il n'est que 11h15 a.m. Deux possibilités me sont offertes. Soit continuer vers Kenzanu, M'kui Imno (traversée du Parc difficile) puis Mindat, soit un chemin avec moins de dénivelés vers Mondonou, Kindvé et sortir à Langshé (district de Kampelet). Mes amis poursuivant vers leur lieu de séminaire où 16 pasteurs sont attendus, je les accompagne de gaîté de coeur. Nous gardons le même rythme soutenu jusqu'à la nuit tombée. Les corps commencent à se plaindre. Je suis sujet aux crampes. Si la journée à été difficile pour moi, je comprends la douleur des autres marcheurs. Deux pasteurs - ceux de Kubitschek et Puchaungwa - sont à la traîne derrière. Il est convenu que nous ne les attendons pas dans notre effort à atteindre Chenzanu. Ils dormiront sur le chemin bien que nous croisions peu d'habitations. La seule dont je me souvienne est celle où nous avons mangé de la cuisine typique Chin avec une espèce de bouillie couleur compote (byak bya). J'ai continué avec du riz collant fermenté de couleur noir (buhlezu en Chin ou lhausa en birman). De préférence avoir l'estomac solide pour le buhlezu. Les pasteurs n'ont pas voulu y goûter. J'en ferais bien mon dessert quotidien. Ce n'est pas tant le côté gustatif - plutôt doux et agréable - qui fait reculer les invités mais la fermentation qui peut provoquer des ballonnements et flatulences. Un vieil homme est étendu quand nous sommes entrés. Il n'a pas bougé, ni mangé depuis 3 jours à cause d'une gastrite. Je lui donne des médicaments pour 3 jours. Sa femme voit que je m'intéresse à une hotte. Elle me l'offre avec une cucurbitacée faisant fonction de gourde. Elle est coupée à son extrémité pour pouvoir s'en servir comme récipient. Dans toutes les maisons Chin, une dizaine trônent ainsi sur la terrasse. Les locaux vont à la source - rivière ou puits - puiser l'eau et les entrepose au retour dans l'attente de les utiliser. Objet usuel en terre Chin, objet d'art dans un salon en France. Je laisse au couple une paire de chaussettes montantes en laine. Une photo finale et nous allons de l'avant ! Nos deux traînards doivent connaître l'existence de foyers situés à proximité du sentier. Nous débouchons sur une zone essartée en instance d'être mise en culture. En contrebas, niché dans le val, un joli village ne répond pas aux appels des pasteurs. Ce soir, il n'y a pas âme qui vive. Les feux sont éteints. Ils avaient pensé s'y réfugier pour la nuit. Nous sommes juste à la bifurcation qui conduit au village mais nous poursuivons les jambes lessivées. Ça monte encore ! Nous apercevons cinq barking deer s'enfuyant les uns après les autres. Un soleil couchant rouge vif se cache derrière les arbres. Nous quittons temporairement les bambous pour de belles forêts de bois dur. Un rideau pourpre s'étire sur plusieurs centaines de mètres. Au fur et à mesure que nous progressons, il semble se dérouler magique, féerique, enchanteur à l'oeil nu. Je m'en veux de ne pas avoir mis un stop à la journée afin de contempler le spectacle. L'acteur est le même tous les jours mais le producteur dirige différemment chaque session. Ce soir, je m'en veux de ne pas être au premier rang. Toujours courir ! Etre là où l'on ne doit pas être. Coupez les moteurs ! Arrêtez de tourner ! Les feux de la rampe s'éteignent. La nuit va nous porter jusqu'aux zones cultivées de Chenzanu avec l'aide d'une torche. Les foyers sont allumés. Nous frappons à la première porte. Tout pasteur est bienvenu et connu à 1,5 mile de son lieu de naissance. Nous sommes fourbus mais heureux. La nuit s'annonce fraîche. Le ciel largement étoilé en est il une preuve ? Sur d'autres terres, on regarde le ciel et on cherche les étoiles parsemées. Sous le ciel Chin, mieux vaut ne pas s'évertuer à les compter sous peine de passer la nuit dehors. On raconte aux enfants qu'il faut compter les moutons pour s'endormir. En terre Chin, on regarde les étoiles et on cherche le ciel. Inutile d'attraper un mal de tête ou un torticolis à essayer de les dénombrer. Le ciel est chargé de constellations jusqu'à une heure avancée de la nuit. Elles doivent être moins visibles mais toujours aussi innombrables. Est-ce du à notre niveau de pollution que nous n'ayons plus droit à ce spectacle nocturne ? Nous sommes à tour de rôle autour du feu. La maison jouit d'une magnifique esplanade en bambou dominant la vallee - un balcon version Chin. Je pensais dormir en plein air mais je suis à la limite grelottant prés des flammes. Branle-bas de cuisine. L'eau est mise à bouillir. Les invités auront leur repas constitué de riz/citrouille. U. Phwe Thang va dormir dans le riz avec un des garçons de la famille sous le prétexte que le riz conserve la chaleur. Un plastique leur sert de couche et leur évite "l'en-riz-ement”. Je blague en leur disant qu'il aura un autre goût mélangé à la sueur de la journée de marche. Les 3 garçonnets sont pauvrement vêtus mais la famille à l'air d'avoir des revenus réguliers. Productrice de cucurbitacées, à l'occasion vente de nattes tressées, elle occupe cette nuit une maison non achevée mais qui n'est que leur "résidence de campagne". Une natte (5m x 2.50m) est étalée et en partie sert à calfeutrer les cloisons que le vent réussit à pénétrer. Je garde la porte dans mon duvet. A cause de l'effort, les corps tendus et contractés, ont du mal à trouver le sommeil. Au réveil, je propose un café à l'équipe. Tout le monde y compris les enfants est autour du feu mais à l'extérieur dans un décor feerique. Une crête en arrondi part de notre refuge et nous encercle. Le fond de la vallée est noyé dans une mer de nuages. Ce qu'il m'a semblé être un lac de montagne sous le ciel étoilé est en fait une illusion de l'esprit. Le soleil franchit la ligne de crête et doucement remplace notre source d'énergie: le feu. Le poulet - rituel marquant le départ des invités - est plumé et consommé par tous. Les invités mangent d'abord et la famille, enfants compris, finit les restes. Sous d'autres cieux, on aurait tendance à honorer les invités à leur arrivée mais un manque de moyens limite la population locale. Difficile de se servir avant les autres dans mon cas. Je préférerais récupérer les miettes plutôt que manger avant les enfants. Petit souci de culpabilité que tout bon occidental qui se respecte doit se poser. La clef sous la porte - en fait, 2 vulgaires bâtons la retienne pour empêcher d'éventuels rôdeurs (à 4 pattes) d'avoir accès au grain (riz) - nous gagnons tous Chenzanu. Un petit panneau à l'entrée du village indique que tous les participants au séminaire se donnent rendez-vous à la maison de l'organisateur située à côté de l'église. U. Phwe Thang m'avait proposé de prendre un jour de repos à Chenzanu. Le lieu en plein milieu du parc national est propice à la méditation. Après une journée de dur labeur, comment ne pas résister à l'appel du contemplateur qui sommeille en moi. Au programme de la matinee, toilette et lessivage au tuyau d'arrivée d'eau public sous les yeux des curieux. Un seul homme d'âge moyen est coiffé selon la coutume, les cheveux noués en noeud au-dessus du front (bangshé). Il est jovial, charismatique, père de famille nombreuse car je l'ai vu venir avec ses rejetons. Je ne remarque pas de boutiques à Chenzanu. Les conditions de vie des habitants sont assurément meilleures que dans la vallée de la Lémyo. Nous sommes à 3 jours de marche de Mindat, la principale localité. Je visite avec le pasteur quelques foyers où les gens paraissent jouir de revenus acceptables si l'on considère l'isolement de l'endroit. Ces gens vivent en autarcie mais il faut faire de l'argent pour satisfaire les besoins vestimentaires et éducatifs des jeunes pousses. Ce n'est pas l'église qui leur apporte cette prodigalité. Au fur et à mesure que je me suis élevé, je suis passé de la pauvreté extrême à celui de bien-être. La vallée de la Lémyo trouve ses débouchés avec M-rauk qui n'est qu'un village pauvre parmi tant d'autres. Les charters de touristes n'apportent aucune manne sur le plan local. Ceux qui tirent les cordons de la bourse et à qui profite la manne pécuniaire sont un cercle fermé dont les connexions remontent jusque dans la capitale. Tout est sous contrôle. Il faut faire preuve d'allégeance au régime pour pouvoir bénéficier de licence et avoir le droit à une part du gâteau. La salle dans laquelle ils se réunissent, discutent, allument la radio est annexe à un débarras où sont disposés deux lits. Je veux me réserver une bonne nuit au calme. Je demande à dormir ailleurs. La proposition de me transférer dans une maison habitée mais inoccupée pour la nuit me convient parfaitement. Je m'y installe pour une nuit des plus récupératrice après avoir assisté à office dans le temple. Sermons et chants identiques à ceux de la vallée étaient au programme avec toujours cette même douceur Chin qui n'a pas de frontières.