Envolée africaine à l'aube du troisième millénaire: Le nord de l’Ethiopie (4ème étape): L’Abyssinie et le Tigré.
Par Benoit Grieu, :: Ethiopie :: #13 :: rss
En transit à Djibouti, le meilleur moyen de rejoindre Addis-abeba est de sauter dans l’un des wagons de la ligne de chemin de fer qui relie cet ex-territoire des Afars et des Issas (1967 à 1977) – du nom des deux ethnies qui composent la République de Djibouti - jusqu’à la capitale éthiopienne. Construite par les Français, l’itinéraire initial délaisse Harar au profit de Dire-Dawa car le relief montagneux nécessite des travaux titanesques et onéreux. En 1912, la voie ferrée atteint la bourgade où Henri de Monfreid s’installe dans les années vingt. La connexion avec la capitale ne se réalise qu’en 1917.
Jusqu’à la chute du dernier empereur Haïlé Sélassié en 1974, des cheminots français administrent la ligne en collaboration avec les Ethiopiens qui suivent des stages de perfectionnement dans l’hexagone. De nos jours, c’est en français que les panneaux d’affichage indiquent les départs, les arrivées, les destinations et le personnel le parle couramment. Cependant, faute d’entretien et de moyens, les locomotives poussives s’essoufflent, les rails se détériorent et les wagons se dégradent.
De Djibouti à Dire-Dawa (311 km): Lorsque je visite le service pédiatrie de l’hôpital Peltier, deux nourrissons viennent de succomber l’un d’une épidémie de méningite, l’autre d’un état de déshydratation avancée. Des mères implorent de l’aide désespérément. Je laisse des flacons d’antibiotiques et du lactogène. Bercés par les clapotis, je dors dans la rade salué par une nuée d’anophèles. Je me réveille les bras truffés de minuscules points rouges, piqûres de rappel en prévision d’une première crise de paludisme (temps d’incubation : 3 semaines). J’ai l’idée d’acheminer à la gare mes 50 kg de bagages avec une brouette. Dans la chaleur étouffante de l’aube, les femmes, enfants sur le dos et paquets volumineux tirés à bout de bras, jouent des coudes et s’engouffrent dans les voitures. Des préposés essayent de réguler le flot des passagers et de mettre un peu d’ordre entre les banquettes. Le confort est relatif et les retardataires s’agglutinent à même le plancher. Cahin-caha, le colosse d’acier s’ébranle dans un tintamarre infernal pour ne jamais dépasser 40 km/h. Il serpente et s’élève à l’assaut du plateau (alt:1220 m) enjambant d’impressionnants précipices, lits de rivières, dont les falaises sont reliées par des viaducs métalliques attaqués par la rouille. Je pense que c’est peut-être le dernier que l’on passe. Les odeurs des toilettes souillées flattent mon odorat ; je suis toujours en vie. Des clandestins – des enfants surtout – s’accrochent aux barreaux extérieurs des fenêtres ou escaladent le toit des wagons pour échapper au contrôle. Quand le train ralentit, les resquilleurs mettent pied à terre, laissent passer plusieurs voitures et sautent de nouveau sur le marche-pied pour réintégrer le montre d’acier. Sur les hauteurs, la roche volcanique noire s’habille de vert, touffes végétales synonyme d’espérance de vie pour une multitude de bestioles. La nuit, les wagons sont plongés dans le noir. A chaque arrêt, une armée de femmes et d’enfants envahissent l’allée et proposent des denrées pour se restaurer. A Harroua, peu avant la frontière éthiopienne, des bidons (5l) d’huile de colza (don de la C.E.E) ou de palmier en provenance de Malaisie ainsi que de sacs de riz (50 kg) sont mis en vente. Cette aide humanitaire se retrouve en vente libre. L’argent difficile à gagner prime tout y compris la consommation de produits alimentaires distribués gratuitement aux populations. Voilà de quoi rendre perplexe un Européen !
A Ali-Sabieh, j’assiste à une véritable foire d’empoignade ; la voiture est littéralement prise d’assaut. Sacs et cartons éventrés sont hissés sur la plate-forme ; les têtes émergent au-dessus du lot tels des alpinistes au sommet d’une montagne de bagages.
Des douanes éthiopiennes intraitables: A Dewele, côté éthiopien, mon carnet international de vaccination (fièvre jaune) est exigé tandis que les formalités côté djiboutien ont été rapides. Un agent de l’immigration détendu me demande de le suivre jusqu’à son bureau où il m’enregistre et tamponne mon visa valable 3 mois. Les passagers attendent assis alors qu’une armée de va-nu-pieds, bâton en main, fouillent et ratissent le train. Ces éclaireurs, sans respect pour les effets, débusquent l’ « affaire » qui peut intéresser les gradés restés à terre. Une tige de fer crocheté à son extrémité transperce les sacs de riz et autre colis fermés afin de vérifier leur contenu. Pour ma part, j’extrais des sweat-shirts (taille 10-16 ans) du sac à linge (20 kg) tandis que le carton de médicaments (20 kg) n’est pas ouvert. Le message est bien reçu et ma démonstration suffit. Erreur quand je les vois revenir 30 minutes plus tard et m’apostropher sur un ton violent ; je dois les suivre avec tous mes biens. Agressifs, plusieurs m’agrippent et déchirent le carton. J’essaie de les calmer tandis qu’ils tentent d’extraire le sac bloqué sous la banquette. Je me retourne et ne vois plus mon sac à dos dans les filets : le nécessaire vital (appareil photo, duvet…) pour mener à bien mon voyage. Marta m’a confié une montre pour passer la frontière. Je la lui rends car je ne pense pas pouvoir continuer. J’ai beau les persuader de faire l’inventaire à l’intérieur mais ils ont l’intention de tout ouvrir ; ce qui retarderait le train. Par expérience, je sais que je ne vais pas être à la fête mais devant la manière forte employée, je me résous à descendre. A terre, le sac est décousu et les vêtements sortis de leur gangue ; le tout pesé et notifié sur un reçu. Même scénario avec les médicaments qui sont triés et répertoriés avant d’être listés. Un jeune douanier parle un anglais approximatif et je suis soumis à un interrogatoire. Pour avoir enfreint la loi (trafic de produits illicites), je suis passible de prison. Un procès-verbal est dressé. La cour de justice de Diré-Dawa – terminus de ce tronçon ferroviaire qui me semble être au bout du monde – m’attend après ces longues heures éprouvantes. Je dois me considérer comme prisonnier et les hommes de main menacent et brandissent le gourdin au moindre de mes mouvements. Depuis 11h00 ce matin, une éternité, je commence à craquer sous la pression. La nuit tombe et il me faut imaginer un stratagème pour échapper aux griffes douanières. Pas même un verre d’eau ne m’a été proposé. A jeun depuis que j’ai quitté le train, je prétexte une faiblesse passagère et exhibe mes bras piquetés de points rouges. Je leur dis craindre une crise de paludisme imminente. Un train de marchandises est annoncé en gare et peut à l’occasion servir comme moyen de transport collectif. Je dois me dépêtrer de cet imbroglio et sauter dessus. Je menace de faire la grève de la faim jusqu’à la résolution de mes problèmes et la sortie des douanes. Cela manque d’efficacité et je risque de ne pas être entendu dans un pays où il est courant d’être carencé en nourriture. Je dois frapper plus fort. Je refuse le dialogue et fuis les gens.. Je fais les cent pas, m’impatiente et veux mettre fin à cette mascarade. Je n’ai aucune raison d’être traduit en justice et veux sortir ce soir de la zone douanière où je suis retenu. Pour arriver à mes fins, j’engage l’épreuve de force quitte à être refouler pour instabilité mentale. Dès que l’on m’approche, je chantonne en français coupant court à toute discussion. Dans les locaux, si la personne conciliatrice insiste, je me frappe la tête contre les murs. Je sors sur injonction d’un gradé. Je veux qu’ils m’expulsent. Je tourne sur moi-même emporté par mon sac à dos et m’étourdis tant et si bien que la toupie va s’écraser dans un tas de bidons plastiques. Le regard hagard et l’air hébété, j’en mords un qui a du contenir du miel. Ils sont confisqués aux passagers des trains pour éviter la contrebande (kérosène, huile...). Les autochtones ravis d’un tel spectacle à moindre frais s’accrochent aux grillages. Les officiels soucieux de préserver ma dignité d’étranger ne peuvent me laisser au vu de la foule qui grossit. Je suis coupé du monde et n’ai plus contact avec eux. Ils essayent de me raisonner et font jouer ma sensibilité d’être humain. Je suis devenu une bête et crie qu’ils me laissent en paix. Cette succession de petits événements fortuits les a effrayés car ils n’ont plus la situation en main. Ils ont l’idée d’appeler un cheminot éthiopien francophone sur la voie d’en face. Il s’approche, me confie qu’il est venu pour me sauver et me demande de le suivre. Flairant le piège, je reste muet et attends des gages de bonne volonté. J’émerge petit à petit et lui fais confiance car il ne dialogue pas avec les douaniers. Il propose de quitter l’endroit afin que je puisse me ressourcer dans leur quartier général ; une douche, me restaurer et le train de nuit jusqu’à Dire-Dawa. La fin du cauchemar, quoi ! je suis accueilli amicalement par tous les cheminots francophones. Ils me confient que même s’ils sont éthiopiens, ils ne traitent pas avec les douaniers car ce sont des gens trop durs. Pourtant, jusqu’au dernier moment, je les questionne pour savoir où se dirige le train qui vient d’entrer en gare. Je veux être certain de ne pas repartir d’où je viens et être refoulé même si l’histoire est un éternellement recommencement…
D’Addis Abeba jusqu’à Axoum (1250 km): la fête religieuse du Timkat: Après cette entrée en matière suivie d’une visite à Harar, lieu de prédilection du poète Arthur Rimbaud, trafiquant d’armes notoire qui y établit ses bases en 1880, j’arrive à Addis-Abeba (785 km depuis Djibouti). Sur la route historique, j’assiste aux fêtes somptueuses qui commémorent l’anniversaire du baptême de Jésus-christ par St Jean-Baptiste.
D’Adi Arkay jusqu’à Sekota: traversée de l’Abyssinie (15jours à pied). De puissants fleuves (Nil bleu, Tekkeze) et leur affluents ont ciselé des canyons vertigineux et fractionné le plateau en véritables belvédères. C’est la région la plus élevée du pays avec le Ras Dashan (4620 m), point culminant du massif du Simien. Je longe les frontières naturelles du parc national du même nom et contourne les gorges impressionnantes qui délimitent les terres arides et difficile à cultiver (orge, tef). Je trace mon itinéraire et questionne les locaux car aucune carte d’Ethiopie ne s’avère exacte quand on les recoupe toutes. Ça grimpe dur et je suis étonné de voir combien de petites mains me tirent vers le plus haut sommet d’Ethiopie. Tant de condescendance me surprend ; les gamins d’ordinaire infernaux et irrespectueux et les adultes, le buste légèrement courbés, me tendent la main. La croix chrétienne en argent massif, signe religieux ostentatoire, orne le cou de toutes les femmes enveloppées dans leur shamma et parées de bijoux – boucles d’oreilles et diadème. A Awasa, des enfants me conduisent auprès de l’institutrice qui me reçoit en chemise de nuit à une heure déjà bien avancée de la journée. Nullement gênée, jeune et jolie, elle me sert un café avec beaucoup de concupiscence. Je continue et en soirée trouve refuge dans un hameau de fermettes isolées. Il m’est offert de goûter à l’enjera, immense crêpe à base de tef, céréale locale dont les grains sont riches en fer. On la consomme avec une sauce de haricots et selon ses moyens, de la viande cuite prédécoupée en dehors des jeûnes (le lundi, mercredi et vendredi et 52 j avant pâques). Dans les toucouls, maisons traditionnelles, des braises incandescentes assurent une source de chaleur continue pendant la nuit et protégent du froid. Creusés en fosse, des boxes abritent et séparent les animaux domestiques, moutons, chèvres et vaches. Même en bon Normand, essayer de dormir avec une vache qui rumine toute la nuit à côté de moi, m’est impossible.
Sur les perchoirs repose la volaille. Sur les paillasses, les puces s’invitent et vous laissent des souvenirs ; elles s’accrochent et font un bout de chemin avec vous au petit matin. Je dois faire face à l’incompréhension des paysans, mes hôtes, pour qui la nuit est rigoureuse alors qu’elle est fraîche si l’on se situe en Europe. Autant de raisons qui me poussent à dormir dehors dans mon duvet. En guise d’un «hôtel 5 étoiles», j’ai pendant mon séjour un ciel éthiopien super étoilé qui me sert de toit.
Comment un prêtre me fait payer l’Arkwaze: Je pose mon sac devant l’église fermée et en fait le tour. Je m’éloigne pour mieux apprécier l’édifice religieux si haut perché et le photographier. Un individu m’aperçoit lorsque je reprends mes effets et confie au prêtre que j’ai dormi dans l’église. Celui-ci en chemin vers le marché me réclame une contribution. Je refuse et déclenche son courroux. Une flopée de paysans, araire sur l’épaule, se rendent aux champs et acceptent l’idée d’une photo. Dans le viseur, je remarque le prêtre toujours présent. Point de passage obligé, c’est le jour de marché à Arkwaze et l’effervescence règne. Je m’éclipse quand je vois l’homme d’église en conversation avec de vieux miliciens armés. D’un air conspirateur et vengeur, je devine ses intentions et son visage le trahit ; il manigance et me dénonce. Ceux-ci me retiennent sans aucun prétexte et je suis en garde à vue. Suscitant la curiosité, des centaines de têtes s’agglutinent autour de moi ; les responsables de la sécurité sont débordés. Etouffant au milieu de centaines de spectateurs, je grimpe sur une colline pour émerger de la foule. Je dois menacer avec des pierres si je veux garder le contrôle et les curieux à distance. Le prêtre au lieu de rassembler a semé la pagaille. Un compromis est trouvé ; grâce à Mesafin, boutiquier et Irga, étudiant, on m’éloigne du centre des manifestations et je passe la nuit dans un village voisin chez un soldat, membre d’une association de cultivateurs. Je grignote des céréales grillées et bois la bière d’orge locale. Sous bonne escorte, je suis extradé au réveil vers le chef-lieu de canton (10h de marche pour l’atteindre). Avec deux jeunes recrues, responsables de mon transfert, j’ai l’opportunité d’observer des babouins gelada et un bouquetin walia, animaux endémiques du parc national. Au passage du col, je refuse de continuer. Une piste conduit à Zanamora et je souhaite attendre un véhicule. Les deux troufions prennent peur à l’idée que je veuille dormir sur place car des shiftas –bandits de grands chemins – rodent dans les parages. Bokat me met en joue et me somme de continuer ; je les devance sur la piste damée, prêt à effectuer d’une traite la trentaine de kilomètre. Des hommes armés en treillis nous accueillent alors que mes bras saisis par le froid s’engourdissent. Je fais le plein d’énergie avec l’enjera et me réchauffe le corps avec une soupe. Devant l’exiguïté et l’inconfort sous les tentes, je m’allonge à l’extérieur dans mon duvet enroulé dans une bâche plastique bleue. Un centimètre de gel la recouvre à l’aube. Mes compagnons de galère sont persuadés que l’on va me mettre les menottes et m’emprisonner dès mon arrivée. Une partie sur l’aile d’un tracteur et l’autre à pied pour arriver à Zanamora, je demande tout de suite si une personne parle l’anglais et peut m’aider avant de pénétrer dans le cercle administratif. Je trouve écho en la personne de Bellaï, docteur vétérinaire, qui répond présent et me sert d’intermédiaire. Un message radio est envoyé à Gonder, dont dépend la région. Je soupçonne le radio-émetteur de partialité et vouloir me retenir plusieurs jours mais la réponse à l’heure de fermeture des bureaux est claire : " laissez-le partir ".
Insécurité et symbiose avec la nature: Je poursuis ma randonnée avec un agent du ministère de l’agriculture qui va régler des différends entre paysans à propos de retenues d’eau. Il chevauche une mule et est accompagné d’un conseiller agricole armé d’un fusil pour assurer sa protection en cas de conflit. Difficile d’argumenter contre l’avis d’une population analphabète. L’ange gardien refuse que je les suive et je bifurque vers l’est en longeant les murets de pierres volcaniques entassées par des mains fatiguées. A Selamgui, village entièrement musulman, le gardien de l’école me réserve un accueil chaleureux. Plus loin, le conseil des anciens n’apprécie pas ma présence et me force à quitter accompagné par un vieil homme. Je ne l’épargne pas et chemine à vive allure. A Atelem, la halte nocturne, véritable nid d’aigle juché sur la falaise, les habitants font tout pour me rendre la soirée agréable ; une veillée musicale avec instruments traditionnels (krar, massicot..). A Barni, je suis stupéfait devant le cercle de pierres et les branchages qui protégent du soleil ; c’est l’école et Abebe le directeur me montre les cours en plein air qu’il dispense à la cinquantaine d’élèves (4 niveaux scolaires). Avec ses collègues, il rejoint ses pénates et m’invite à les suivre à travers un dédale de gorges tel un labyrinthe sans fin. Des journées éreintantes où les dénivelés se succèdent, des panoramas à couper le souffle qu’ils nous faut pourtant franchir du lever au coucher du soleil. Une source d’eau chaude naturelle étanche notre soif pour la nuit. A l’aube, la rivière Tekkeze infestée de crocodiles pendant la saison des pluies et véritable sanctuaire pour un ornithologue nous offre un passage à gué. Je les quitte et continue en direction de Lalibela.
Rififi chez les Amharas : battu, mis à nu et sequestré. Avec Djerba, village à l’origine de la guérilla qui porta au pouvoir l’actuel gouvernement tigréen, un monde de guerrier s’ouvre à moi. Malgré une suspicion de paludisme, je pars et prends congé de l’infirmière qui m’a hébergé. Chemin faisant, j’avise quatre paysans et ils me montrent le raccourci à travers champs vers Asketama. Je distingue un brouhaha de voix qui communiquent entre elles dans les coteaux. Conscient que mes indicateurs ont alerté les villageois, je continue néanmoins ma progression. Je croise une femme qui, d’un signe de main m’invite à me retourner et feins de ne pas la comprendre. Je devine ce que peuvent signifier les cris dévalant le plateau sur lequel est implanté le lieu de vie : « arrêtez-le ! ».
Je suis forcé de marquer une pause lorsqu’un trio de retour des champs me menace de leurs outils de travail. Une vingtaine de personnes surgissent dans mon dos dont trois armées de fusil. En colère, des bras m’empoignent, des mains vigoureuses me secouent et tirent sur les bretelles du sac à dos. Tous exigent que je le pose à terre et veulent savoir ce qu’il contient. Agrippé sauvagement de tous côtés, je suis dans l’incapacité de me libérer de ma charge qui commence à craquer sous l’effet des forces contraires ; ce qui augmente encore leur courroux. Le sac à main, deux instruments de musique et ma gourde, suscite l’étonnement et m’est retiré. Mon passeport qu’ils ne peuvent lire, n’a aucun sens pour eux. Je déballe le contenu de mon sac et en fait l’inventaire devant une trentaine de paysans courroucés. On dirait des fauves prêts à fondre sur leur proie. Je ne tarde pas à remballer et jeter le sac sur mes épaules. Une pluie de bâtons et pioches s’abat sur moi ; le premier coup violent sur le rein droit et deux autres sur la tête. J’ai la présence d’esprit de me coucher et hurler de douleur. Si je ne feins pas la douleur, fais face et résiste, ils vont me défigurer et tabasser à mort. Mes sacs m’échappent et je tente de sauver ma peau à l’heure qu’il est. Ils veulent visiblement à me délester. Une détonation de fusil ramène mes agresseurs à la raison. Le tireur n’apprécie pas visiblement la tournure que prennent les évènements et joue un rôle modérateur. Je cherche à l’approcher car il peut me protéger. Le seul à faire preuve d’un peu d’humanité, il va vite faire fi de ses sentiments et être débordé par la meute en furie. Nous délaissons le sentier muletier pour un champ à la terre meuble où reposent mes deux sacs. Je suis obligé de vider mes poches ; dans l’une, un flacon d’ambre solaire, dans l’autre un appareil photo jetable. Ils remarquent l’excroissance causée par ma banane sous mon bermuda et exigent que je la leur remettre. Devant mon refus d’obtempérer, un tireur agenouillé à 8 m me met en joue et me somme de donner mes valeurs. La foule s’est naturellement écartée consciente du danger. L’objet visé est la pochette dont je dois à l’évidence me défaire. Son contenu est placé soigneusement avec les soupes en sachet. Mes effets étalés sur une veste de survêtement sont minutieusement inspectés. Je pense abandonner mes biens et fuir. Toujours visé, je m’approche de la fouille et la conduit de telle façon à ce qu’ils ne tombent pas sur les croix en argent légalement achetées à Axoum. Une rumeur circule que les étrangers visiteraient les églises pour voler les objets religieux . C’est la raison de mon arrestation pour laquelle je suis mis en accusation. Tout est caché dans et autour du duvet dont ils se désintéressent. Par inadvertance, une petite croix en bois tombe à terre. C’est un signe du destin ; elle apaisent les conscience survoltées. L’un d’eux désireux de se l’approprier la ramasse puis se ravise conscient du vol et du regard collectif. Je les culpabilise : je suis chrétien et comment peuvent-ils me traiter ainsi ? Des dissensions se font jour au sein du groupe d’assaillants. De loups enragés prêts à tuer, ils s’assagissent et se transforment en brebis innocentes. Mes affaires rassemblées, je les suis jusqu’au village où je suis enfermé dans une case qui sert de grenier à grain. Un lit métallique recouvert d’une paillasse s’y trouve et une calebasse me sert d’urinoir pour la nuit. J’entends le cliquetis de la chaîne et le cadenas condamner la porte. Je suis seul dans l’obscurité mais toujours vivant après toutes ces frayeurs.
Quand la police s’en mêle : arrestations et jugement. A l’aube, le chef du village met en accusation les miliciens pour m’avoir traité de la sorte. Deux se récusent et ne souhaitent plus m’accompagner au poste de police. Mon paludisme déclaré, j’attends un moyen de transport dans un compound dès que nous atteignons la piste. Getachew, responsable d’un projet d’adduction d’eau pour une O.N.G hollandaise a tancé mes anges gardiens. Ils m’abandonnent et retournent dans leurs montagnes. Le samedi en fin d’après-midi, je peux porter plainte. La police me donne rendez-vous le dimanche matin à 8h00 pour retourner sur les lieux ; ce qui ne m’enchante guère. Je dois reconnaître mes agresseurs. Nous cueillons l’un des tireurs à la sortie de la messe ; il a échangé son fusil contre une bible. Je lui conseille de mettre à profit le temps passé en cellule pour la lire. J’avais complètement oublié le physique ingrat de l’un d’eux mais le cauchemar ressurgit lorsque je suis confronté à celui qui fut le pire de tous. Je sors psychologiquement ébranlé par l’attaque dont j’ai été victime. Cinq hommes sont placés en garde à vue tandis que deux autres dont les noms sont pointés sont mis en cause. Ils sont passibles de prison et le tribunal les jugera et condamnera. Malgré les réticences de l’officier de police inquiet pour ma sécurité, je prends le pas sur mon angoisse et retourne voir celle que je n’aurais jamais du quitter ce matin-là…
L’Ethiopie du sud: Un retour aux sources et une mosaïque de tribus. Après les difficultés rencontrées dans le nord du pays, je prends la route du sud pour rejoindre les tribus de la vallée de l’Omo, riche lieu de fouilles concernant la découverte d’hominidés (Leakey, 1961). Le nord à la topographie accidentée et au climat tempéré et subalpin nécessite de se vêtir chaudement ; dans le sud tropical, de nombreuses ethnies semi nomades – rites et croyances préservés depuis des temps immémoriaux – vivent nus en harmonie avec la nature hostile.
Peuples nilotiques à Gambela: A l’aube, sous le pont qui enjambe le fleuve Baro, qui se baigne, qui fait la vaisselle, qui se lave ; la vie fourmille et rappelle l’activité trépidante sur les bords des fleuves d’Afrique noire (Niger, Congo..). Impressions d’avoir quitté L’Ethiopie avec tous ces physiques négroïdes (Nuer, Anuak). Plein sud à travers la savane, je bute sur un barrage construit par les Soviétiques. Les employés de l’équipement réfectionnent la piste et ont investis les bungalows russes. J’y passe la nuit et démarre avec eux le matin jusqu’à la limite de leur chantier (P.K72). La forêt primaire s’ouvre devant moi – 4 h de marche – avant d’atteindre un pont suspendu. Toute proche, un lit confortable dans une ancienne mission protestante me permet d’enrayer ma seconde crise de paludisme. Loin de me ménager, le lendemain, je parcours une cinquantaine de kilomètres au milieu d’une végétation luxuriante et traverse des villages Magenda. Les autochtones, vieilles femmes parées d’un labret sublabial fumant la pipe et les enfants nus accourent vers moi pour me saluer et m’appeler « père ». D’autres quittent les lieux impeccablement vêtus – chemises et pantalons sans un pli, chaussures cirées – un fourre-tout dans les épaules et une casquette sur la tête. Le puritanisme de l’église protestante américaine exige que les fidèles cachent leur nudité devant le seigneur. Je suis chichement habillé à côté de ces gentlemen en tenue de ville. Dois-je mettre leur politesse et élégance sur le compte de leur spontanéité naturelle ou bien sur le fait qu’ils aient été « évangélisés » ? J’atterris en soirée dans une ferme d’état productrice de café et Jonas, l’administrateur francophone, me réserve un accueil chaleureux. A cause de la surproduction (Brésil, Colombie), les cours du café ont chuté au niveau mondial ; Il se vend 2 birrs (monnaie locale équivalent à 0,25 Euro) le kilo au lieu de 12 (1,80 Euro) en 2001. En matinée, tape-cul sur l’aile d’un tracteur et virée dans l’ambulance, j’évite le centre de Tepi où des manifestations sanglantes ont fait plusieurs morts il y a plusieurs jours. Au clair de lune, je parcours 12 km parmi les caféiers et traverse un village dortoir d’ouvriers supposé être un nid de brigands. Je les entends chuchoter farandj (étranger) mais ne suis pas mis en danger. A Biftou, je m’annonce en amharique et anglais à un poste de police. Deux hommes armés s’avancent vers moi. L’un armé d’un fusil m’a vu alors que le second, kalachnikov au point et caché par un taillis, n’a pas du comprendre mes paroles. Emporté par son élan, ma voix couverte par son cri de guerre, il enclenche son PM, se précipite et se cambre, bien campé sur ses jambes, prêt à faire feu. Je suis pétrifié sur place ; un dixième de seconde m’apparaît une éternité et je revois le film de ma vie. Il suffit de peu qu’il ne m’envoie en l’air. Comment se rend-il compte de son erreur ? Ma vie n’a tenu qu’à quelques balles. Tandis que je suis conscient d’avoir eu chaud, ils m’invitent à boire du miel dilué légèrement alcoolisé et s’excusent pendant toute la soirée pour le malentendu dont j’ai été l’objet. Ils se sont vraiment fait peur.
Les guerriers : Surma, Bume et Nyangatom. A Dima l’éclectique, un camp H.C.R.N.U regroupe des réfugiés soudanais et des Surma, pieds et torse nus, une simple étoffe de coton autour de la taille, remontent l’unique rue. Eleveurs nomades, ils sont venus acheter de l’éthyllium pour soigner leur troupeau victime de la mouche tsé-tsé responsable de la maladie du sommeil (trypanosomiase). De l’or en cachet pour le pharmacien qui les vend 7 birrs le comprimé. De grande taille et élancés, parfois plus de 2 m, les corps imposants marqués de scarifications figuratives ou de cicatrices, je me sens petit au milieu de ces redoutables guerriers peu vêtus. Je les regarde déambuler assis en différents endroits de Dima mais je ne suis pas certain de savoir qui, des Surma, Anuak ou du farandj, est objet de curiosité de l’autre…
Je continue vers Kibbish en camion derrière lequel courent et s’accrochent les Surmas comme si c’étaient des enfants. A ma descente, la police indifférente ne s’immisce pas, deux membres du conseil essaient de me racketter. Je leur fais savoir que je ne demande ni à être loger, ni à photographier la population. David, militaire en faction me sert d’interprète et plaide en ma faveur. Avec Karamaj commerçant local habillé en treillis accompagné d’un milicien en arme, je rejoins Adikas sur le plateau. C’est bien la seule fois que j’accepte de mon gré d’être encadré. Je me retourne. L’astre solaire se pose sur cet océan de végétation luxuriante. Eden tout en nuance de vert qu’il est préférable de dominer. Je reviens à la réalité lorsque je vois Karamaj remercier le soldat et le rémunérer pour ses services. Est-ce donc si dangereux qu’il faille se faire escorter ?
Les peuples omotiques: Centre administratif et carrefour où se croisent les Hamar et les Aris, Jinka est située dans une région désolée où de nombreuses ethnies différentes les unes des autres échappent à la civilisation. Détachées et oubliées du monde civilisé, elles n’ont pas de liens entre elles – chacune parle sa propre langue – et entretiennent des querelles ataviques qui, autrefois se réglaient à la lance mais aujourd’hui dégénèrent parfois en conflit armé depuis que des armes à feu leur sont vendues ou échangées contre du bétail. J’accompagne une équipe MSF en territoire Mursi, pasteurs rebelles apparenté aux Surma et dont les femmes de caste élevée portent des plateaux labiaux. Des troupeaux de tiang, des gazelles esseulées, une laie et ses marcassins détalent dans la savane herbue. Après une nuit chez les Bodi – un dispensaire est en construction, nous rendons visite aux Dime. Les grossesses se succèdent chez les femmes et la mortalité infantile atteint un nourrisson sur deux. Première cause de mortalité dans le monde, le paludisme endémique sévit durement. Je laisse Elisabeth médecin autrichien et Corina, sage-femme suisse à leur vocation pour m’enfoncer dans les hautes herbes. Je remonte un cours d’eau sulfureuse. Dans une faille de la roche, un boa constrictor (5 m) paresse dans l’eau tandis que les crocodiles se jettent au bain à mon approche. J’atteins la source en fin de journée mais elle est tellement bouillante que je n’y trempe même pas le doigt.. Avec un bâtonnet, je repêche dans l’eau fumante un serpenteau et une grenouille totalement cuits et décomposés qui se sont trop aventurés. Je prépare une soupe en sachet et installe mon bivouac. Je viens de m’allonger quand j’entends des roulements de tonnerre. Connaissant la violence des orages sous ces cieux, je sors du duvet, me déshabille complètement et emballe mes effets dans des sacs plastiques pour les protéger. Aucun abri naturel à vue d’œil n’existe dans les environs.. La pluie me touche en douceur. Il est bon de la sentir se mélanger à l’eau chaude quand elle coule par filets des cheveux aux épaules et glisse le long du dos et des jambes. Pendant deux heures, je m’asperge d’eau chaude que je réussis à saisir par pincée du bout des doigts et maintiens le corps à température constante évitant le refroidissement. Entre les grondements du monstre qui se déverse, on devine avec les éclairs fugitifs un ciel féerique. L’orage passé, je me recouche épuisé malgré les gouttes qui tombent. Le soleil pointe dans le ciel azur quand je me réveille tout mouillé. Le thé infuse et j’étale toutes mes affaires à sécher.
Passage à gué sous surveillance: A 500 mètres en contrebas, le fleuve Omo majestueux contrarie ma progression et je repère les lieux où foisonne la vie animale. Je dois le traverser à gué et hésite car je découvre un sentier vers l’amont. Je repousse le danger et remonte le long du fleuve pendant toute la journée. Sous la futaie ombragée, les arbres géants rivalisent de magnificence. Je décèle des abris de fortune faits de branchages – preuves épisodiques de présence humaine – qui ont du servir à des pêcheurs ou chasseurs de passage. Je pense profiter de l’occasion pour croiser l’Omo si certains viennent à se montrer. De la berge où je pique-nique, j’aperçois 4 hippopotames nager à contre courant et jouer les sous-marins au milieu du fleuve, une façon de se rafraîchir et supporter la chaleur assommante. Le fleuve est large et puissant ; je suis étonné par leur rapidité à le remonter. Je n’ai pas pausé plus d’une demie-heure et ils sont déjà hors de ma vue. Je me demande comment un animal si lourd, ventru et court sur pattes peut tenir en surface. La veille, j’avais remarqué les empreintes énormes imprimées dans le sol argileux mais je les ai confondues avec celles d’éléphants. Deux possibilités de passage à gué s’offrent à moi avant la nuit. Je repère d’énormes crocodiles qui prennent le soleil sur des îlots parsemés au milieu du courant mais je dois passer sur l’autre rive. Je me suis déjà trop déporté vers l’est. Je choisis un passage en eau peu profonde et j’harnache solidement sur le dos mon sac que j’imperméabilise au maximum. Si je tombe à l’eau, je risque de me relever difficilement à cause du poids des affaires mouillées et de la puissance du courant. Face au fleuve large de 400 m, je m’assure avec deux bâtons et les plante vigoureusement dans le fond caillouteux invisible au fur et à mesure de ma progression. Pour offrir moins de résistance au courant, je m’arque boute et recule en crabe. J’avance dans le vacarme de l’eau. A trois reprises, le bouillonnement m’enveloppe soudainement le bassin avec une force surprenante contre laquelle je dois résister avec les cuisses. 40 minutes d’un effort intense et soutenu et je prends pied sur l’autre bord. Sans répit, j’escalade le versant qui surplombe le cours quand la nuit me surprend. En cours de sommeil, l’orage éclate. Scénario identique à la veille et je me protége du déluge à demi-nu sous un arbuste. Je m’agenouille et reste recroquevillé pour éviter une trop grande déperdition d’énergie et un risque d’hypothermie. Transi, je me recouche las d’attendre pointer l’aube.
Plein nord à la boussole: Je dois tracer mon itinéraire. Pour pénétrer une faille, je croise le cours d’un torrent impétueux entravé par une suite de roches affleurantes qui retiennent troncs, racines et branches. A l’heure du petit déjeuner, je me jette dans le bain couvert d’écume. Ce n’est pas difficile de mettre les pieds dedans car je suis encore trempé de la nuit. Je contourne des collines qui n’en finissent pas. Le terrain accidenté est difficile ; la progression lente et laborieuse. J’ai décidé de mettre le cap sur un piton rocheux qui me sert de repère. J’atteins mon but à la nuit tombante et décide de m’y ancrer. Je m’incruste le long de la paroi rocheuse surplombant un à-pic impressionnant et découvre une excavation où j’étale mon sac de couchage. Véritable niche dont doivent raffoler les serpents et rongeurs, je suis au pied d’un énorme cube que l’on aurait posé sur une falaise. Je dispose d’une marge de mouvement réduite à 1,50 m. En cas de faux-pas, c’est le saut dans le vide. Aucune lueur n’est visible à la ronde ; il n’y a ni piste, ni habitation. Je suis seul dans l’immense forêt. C’est bien la peine d’être protégé car il ne pleuvra pas. Au réveil, allongé dans mon nid d’aigle, je domine la vallée et la jungle s’étend à perte de vue. J’assiste au lever du soleil et attends qu’il dépasse la ligne de crête avant de bouger. J’entame mon troisième jour de marche et mes provisions s’amenuisent. Sous la canopée, la forêt pluviale fait son apparition avec un fouillis inextricable de mousses et lianes entremêlées. Des épineux, une variété de cycas, entravent ma marche et ma présence fait fuir les colonies de colobes. Je ramasse l’un de leur mets préférés qui ressemble à une balle de tennis jaune. Je l’écrase du pied pour l’ouvrir tellement il est dur. De saveur douce, la pulpe finit par laisser un goût d’amertume dans la bouche. Si mes réserves s’épuisent, je dois me nourrir avec ce que la nature m’offre. Je consomme par petite dose un champignon type russule charbonnière avant d’être certain qu’il soit comestible. J’apprécie des oreilles de porc gélatineuses qui poussent sur les souches. Il n’y a guère qu’un porc-épic que je puisse attraper. Je perds le nord une seule fois. En m’orientant, je devine un layon. Je décide de suivre ce fil d’Ariane qui tout en se déroulant me sortira peut-être du labyrinthe. Je suis optimiste quand je reconnais des ruches oblongues abandonnées accrochées aux branches des arbres. Une fenêtre me permet d’avoir accès à une vue panoramique. Entre trois mamelons verdoyants, la zone déboisée où se pratique la culture sur brûlis se prolonge par une plaine couverte d’herbes. Mon fil conducteur rejoint un chemin visiblement plus transité. Quelle belle frayeur quand à la croisée des sentiers, je rencontre un autochtone tellement surpris qu’il manque de laisser choir sa charge. Il m’invite à le suivre. Un couple chacun d’eux une ruche sur la tête vient en face. Le mari de taille imposante porte en bandoulière une kalachnikov, symbole de virilité tandis que le nourrisson dort dans le dos de la femme, symbole de fécondité. Un peu plus loin, deux chasseurs font une pause et tentent d’allumer un feu en frottant deux bâtonnets posés sur la roche. Suite à l’échauffement du bois, la flamme doit jaillir. Je pose mon sac, fouille dans le fond où mes allumettes sont au sec et leur vient en aide. C’est si facile d’en gratter une. Je suis dans la province de Kaffa qui a donné son nom à ce fameux breuvage qui fait la renommée de l’Ethiopie.
La cérémonie du café: En l’an 850, un berger de la province de Kaffa remarque que ses chèvres sont particulièrement exubérantes lorsqu’elles broutent les baies rouges d’un buisson. Il les goûte et devient tout excité. Il court aussitôt retrouver sa femme. Méfiante, elle le presse d’aller consulter les moines du monastère voisin. « C’est une œuvre du diable » tempête le supérieur qui jette immédiatement les graines au feu. Il s’en exhale un arôme délicieux. Tous les moines accourent. Le supérieur de plus en plus furieux ordonne que l’on écrase le foyer et les graines et pour s’assurer que le feu est bien éteint, il verse lui-même de l’eau dessus. Sans le vouloir, il a inventé le café que l’on boit aujourd’hui. De fait, ce furent les moines qui le consommèrent les premiers pour combattre la fatigue pendant les prières de la nuit. Ce ne sont pourtant pas les Ethiopiens qui le firent connaître au monde mais les caravaniers arabes qui le transportèrent de la province de Kaffa au port de Moka (Yémen) puis assurèrent sa diffusion en Occident. Il atteignit Paris en 1650 et mit donc 800 ans pour parvenir jusqu’à nous.
Symbole de l’hospitalité, le café est dégusté en famille, entre amis ou pour honorer un étranger. Les fèves de café sont lavées, grillées sur un petit brasero métallique et pilées. Un parterre de fleurs des plus odorantes et de l’encens vous transportent dans un autre monde. Puis le café est infusé à trois reprises dans une carafe en terre cuite et versé dans de petites tasses. Dans certaines régions reculées où le sucre reste un luxe, on le boit salé ou parfumé de clous de girofle et de cardamome. On le mesure en tasse tellement les moyens techniques pour le peser font défaut ; 2 birrs (0.25 Euro) les 7 tasses. Des intermédiaires – parfois les instituteurs du village pour améliorer leurs revenus – l’achètent au producteur et en tirent un bénéfice substantiel.
Le commerce équitable: un choix utile. Le café est cultivé à 90 % par des petits propriétaires qui vendent eux-mêmes leurs récoltes. Les fortes variations des cours mondiaux les rendent très vulnérables. Suite à une surproduction brésilienne, le kilogramme qui se vendait 12 à 15 birrs (environ 2 Euros/kg) en 2001 est aujourd’hui bradé à 3 birrs soit 5 fois moins. Comment résister à une telle chute des revenus surtout lorsqu’ils sont les seuls gains pour plusieurs millions de personnes des pays en développement ? Depuis une dizaine d’années, le label Max Havelaar apposé sur toute une gamme de produits (café, cacao, thé, riz et bananes…) permet à des petits producteurs de pays pauvres de vivre décemment en leur assurant un revenu minimum. En instaurant un système d’échanges entre le nord et le sud respectueux des Droits de l’Homme et de l’environnement, le commerce équitable garantit une plus juste répartition des richesses. C’est une manière d’acheter en étant conscient de la portée de son acte. Le prix plancher offert aux producteurs regroupés en coopératives aide au développement et la sauvegarde de la culture, favorise la vie sociale, la création d’écoles et de dispensaires dans les pays du sud. Acheter équitable, c’est exprimer sa solidarité.
Le rastafarisme: un culte original. Marcus Garvey (Jamaïque) en jette les premières bases. Le culte, déification de l’empereur d’Ethiopie Haîlé Sélasssié, est né en 1930 et le « messie noir » leur accorde une concession sur la commune de Shashamené en 1955. Le rastafarisme prône le retour en Afrique et édicte les règles de vie ; pas de viande, rejet de la saleté, port des dreadlocks, consommation de marijuana destiné à la méditation. Des Jamaïquains ont migrés en masse vers la Terre promise et forment une communauté à Shashamené ; rien d’étonnant à ce qu’ils aient choisi les couleurs nationales vert et jaune du drapeau éthiopien comme emblème de leur mouvement.
Le calendrier éthiopien: 13 mois de soleil. La religion orthodoxe suit le calendrier julien, initié 7 ans et 113 jours après le début de notre ère chrétienne grégorienne. L’année commence le 11 septembre et se divise en 12 mois lunaires plus un mois de cinq jours. Jusqu’au 10 septembre 2002, les Ethiopiens sont donc en l’an 1994. Quant à l’heure quotidienne, elle est divisée en 4 périodes de 6 heures avec, en toute logique, le jour et la nuit comme repère. Ainsi, quand il est midi chez nous, il est 6 h à l’heure éthiopienne et à 18 h 00, il est 12 h 00. Un nouveau cycle reprend en comptant de 1 à 12 les heures jusqu’au matin. ex :3 h 00 pour 21 h 00 et 10 h 00 pour 4 h 00 du matin.
Bien que ce fut un voyage difficile, l’Ethiopie n’en reste pas moins un pays fabuleux à mes yeux. Sa grande richesse est dans la variété des peuples qui la composent, des paysages qui s’étendent de la jungle au désert en passant par la haute montagne. Une telle diversité culturelle surprend ; un nouvel habitat et une population différente tous les 100 km. Faune et flore varient d’une région à l’autre. Je n’ai jamais vu autant d’animaux en liberté dans aucun autre pays d’Afrique. Des paysages à rester béat d’admiration et devant lesquels on voudrait s’installer ermite ou faire venir tous ceux que l’on aime.