Envolée africaine à l'aube du troisième millénaire: Le Kenya (1ére étape).
Par Benoit Grieu, :: Kenya :: #12 :: rss
Jambo ! Bonjour dans la langue swahili, un mélange d’idiomes africains et arabes.
Si certains se rendent au Kenya pour des safaris – approcher les animaux et tirer des portraits – mon but est d’y rencontrer des « hominidés » !
Le troisième millénaire commence et le ciel aérien s’ouvre à nous avec l’ère Internet. Un numéro de carte bleue enregistré suivi d’un « clic » - le bruit caractéristique qu’émet la souris – et le billet bon marché à retirer à l’aéroport est en poche.
Un billet tour du monde aux enchères d’une valeur de moins de 2000 fr. me passe sous le nez et je me retourne vers le Kenya mis à prix 1000 fr. Mon offre à 1220 fr. est acceptée et j’ai une semaine pour me préparer au départ.
A but humanitaire: Alarmé par la situation précaire que connaissent 680 000 enfants dans le district de Nairobi – 135 000 vivent dans la rue – c’est par le Kenya que je choisis de débuter mon périple en terre africaine.
Avec le concours de la section fauvillaise du secours catholique et la pharmacie Curci de Yébleron, je prépare trois sacs de vêtements, jouets et médicaments soit au total 55 kilos. Le monde est petit et les coïncidences étonnantes ; la voiture qui m’emmène à Orly est celle d’Alain Dutot, inspecteur Jeunesse et Sports qui m’a remis la bourse Défi Jeune en 1988 dont je fus lauréat.
A l’enregistrement, la compagnie aérienne ne tient pas compte de mon excédent de bagages quand je lui explique les raisons du dépassement. Le petit matin me cueille à l’aéroport de Nairobi. Le vol a duré 7 h 15 et la nuit dans l’avion a été écourtée. Je n’ai aucun contact dans la capitale mais l’idée d’attraper un annuaire et consulter les pages jaunes me vient à l’esprit. La multitude d’églises répertoriées me donne le tournis tandis que la rubrique orphelinat se limite à quatre maisons d’enfants. Voilà qui me convient mieux et simplifie les choses ! j’en élimine un car aucune adresse n’est indiquée sinon une poste restante. Avec les employés d’un organisme de location de véhicule, je situe sur le plan les trois autres dont deux sont desservis par le bus n° 34. Il est le seul à desservir l’aéroport et tout simplement déconseillé de le prendre à cause des vols à la tire. En guise de bienvenue lorsqu’on l’emprunte, on peut y lire des placards « be aware of pickpockets » qui mettent en garde le passager distrait et l’incite à la méfiance. Je pars à l’assaut du monstre pétaradant et entasse mes sacs en pyramide sur une banquette à l’arrière. Je souris en imaginant un voleur empoigner l’un de mes bagages et s’enfuir en courant. Son poids le clouerait au sol. Installé sur mon siège, j’oublie mon superbe parapluie de marque à la canne dorée dont le bouton éjecteur noir vif tranche sur le plaqué or. Un passager du bus me le remet en main propre de façon très courtoise. Où sont donc les détrousseurs de la ligne 34 à éviter selon les guides ? Au diable les préjugés …
La tournée des maisons d'enfants. A ma descente de l’autobus, l’anse d’un sac (15 kg) lâche tandis que celui en toile de jute (25kg) bien harnaché me colle toujours aux épaules. Il me reste une centaine de mètres à parcourir jusqu’à l’institution Thomas Barnardos avec une possibilité d’accueil de 150 orphelins. Un couple de pasteur britannique responsable de la maison d’enfants, avec toute la froideur caractéristique des habitants de la perfide Albion, me réserve un accueil mitigé. La femme se met à trier les effets pièce par pièce et conserve les 2/3 du contenu des sacs. Le contact avec l’infirmière est d’une toute autre nature. Naturelle, spontanée et charismatique, elle me demande d’abord si je veux m’asseoir et boire une tasse de thé. Attentions élémentaires de sa part mais que j’apprécie car je n’ai effectivement pas pris de repos depuis mon départ la veille. Ses connaissances en pharmacologie dépassent habituellement le seuil acceptable dans les pays en voie de développement et lui permettent de sélectionner instantanément les produits pharmaceutiques par leur dénomination internationale ; antibiotiques, antalgiques, anti-inflammatoires…
Je ramasse les miettes et, accompagné d’un adolescent, je me rends dans une seconde institution où je rencontre Masami Ito, jeune volontaire japonaise. Arrivée il y a 9 mois, elle se demande si elle peut retourner vivre et étudier au Japon. Son rythme de vie est tout autre ici et la communication par le contact et l’échange avec les autochtones contraste singulièrement avec le rigorisme nippon. Radieuses, deux sœurs mauricienne et malgache de la congrégation de la charité – ordre de Mère Térésa – viennent retirer ce qui me reste de mes volumineux bagages. Essentiellement des médicaments dont les notices sont en français car elles le comprennent. Il est 13h20 et je me retire.
La situation des enfants au Kenya. Un garçon sur trois travaille dans les plantations de thé - second producteur mondial après l’Inde mais avant Ceylan et la Chine !-, café, canne à sucre, sisal avec un seul repas quotidien. Introduite par les Anglais, le sisal est une plante à bulbe originaire du Mexique. Ses feuilles, larges, grasses et charnues, contiennent des fibres d’une grande solidité et sont utilisées dans la confection textile ou la corderie.
Des fillettes à partir de 9 ans sont embauchées comme employées de maison pour un salaire mensuel de 30 fr. Un tiers des Kenyans vivent au-dessous du seuil de pauvreté c’est-à-dire avec moins d’une dizaine de francs par jour !
La loi donne l’entière responsabilité à la mère quand le couple n’est pas marié. Le père s’il veut contribuer à l’entretien et l’éducation de l’enfant doit s’adresser au tribunal ou conclure une entente à l’amiable avec la mère. Ils préfèrent démissionner et les mères ne peuvent faire face au minimum que requiert l’enfant. D’autres sont violés et abusés sexuellement, abandonnés ou poussés à la rue sans aucun espoir de réhabilitation.
Ma première nuit au temple sikh. Une quarantaine d’ethnies – Somalis, Yéménites, Massaïs…- font du Kenya une mosaïque de cultures. Parmi celles non africaines, la communauté indienne, et plus particulièrement les Sikhs, est nombreuse sur la côte. Venus au Kenya pour la construction du chemin de fer à la fin du 19éme siècle, ils se sont installés et érigés en classe marchande intermédiaire entre colons britanniques et Africains. Le secteur des travaux publics et de l’hôtellerie est celui où ils sont le plus présents aujourd’hui.
Pris entre les musulmans et les hindous, les Sikhs ont cultivés une identité forte héritée de leur dixième et dernier prophète Guru Govind Singh. Guru Nanak est le fondateur de ce schisme de l’hindouisme qui s’est constitué à la réponse moghole et à l’égalité de tous les hommes devant leur créateur : un Dieu d’amour et de bonté. L’amour du prochain, la prise en charge de son propre destin par le travail et la défense des faibles y sont érigés en vertus cardinales. La réincarnation, considérée comme un châtiment, ne concerne que les êtres malfaisants.
Je rappelle à Jagdish, responsable du temple la réputation terrible et sulfureuse de guerriers qu’ont les Sikhs à travers le monde. Je le questionne à propos des turbans de couleur qui n’ont d’autre but que de chanter un louange à la création. Il m’explique. Guru Govind Singh, chef militaire et religieux, déclare qu’il n’y aura plus de prophètes après lui mais un livre afin de ne plus susciter de guerres ou de persécutions car on ne peut pas exterminer ni se battre contre un livre ! C’est pourquoi nos traditions guerrières et nos armes ne servent qu’à nous défendre. Il nous a laissé en héritage nos signes distinctifs ; les cinq K.
Nous devons toujours avoir sur nous un couteau ( kirpan ) et un bracelet d’acier symbole de l’égalité (kara ), porter une culotte large ( kacheh ) et surtout ne pas nous couper les cheveux, ni la barbe (kesh ). Pour avoir l’air propre, chaque Sikh se doit d’avoir un peigne (kangua ) sur lui. Les turbans sont à l’origine une protection contre les coups de sabre et maintenant un signe de distinction.
Je partage avec la communauté un déjeuner composé de chapatis épicés -crêpe de farine de blé – et un thé au lait avant de reprendre la route.
La vallée du Rift : le berceau de la civilisation (East side story). La dépression est tapissée d’acacias nains et d’arbustes malgré les pauvres ressources en eau du sol. De chaque côté du lit asséché, les montagnes à l’horizon, témoins d’un mouvement tectonique, surplombent l’escarpement.
Il y a très longtemps que les singes vivent en Afrique. Vers 8 millions d’années avant notre ère, la terre se déchire du nord au sud sur plus de 3000 km, de l’Erythrée jusqu’au Malawi. Cette grande fissure – rift en langue swahili – perturbe la circulation des masses d’air et provoque un changement climatique. A l’ouest, les singes continuent à vivre dans les arbres dans une forêt tropicale toujours arrosée par les pluies du golfe de Guinée. A l’est, derrière la faille géologique, les pluies se font rare ; la sécheresse s’installe et petit à petit, la savane remplace la forêt. Ces conditions climatiques différentes obligent les singes à évoluer pour s’adapter à leur nouvel environnement (théorie de Darwin). Plus d’arbres donc plus de fruits à portée de main et de pied, et adieu la belle vie de singe oisif. Soumis au régime sec de la savane, le besoin de chasser et de voir le gibier au-delà des herbes hautes entraîne l’adoption de la position debout, étape essentielle de la naissance de l’homme. Les plus vieux ossements connus sont ceux de Millennium ancestor (6 millions d’années) déterré au Kenya qui enlève le titre de doyen de l’humanité à Lucy l’Ethiopienne (3,2 millions d’années). On s’attend un jour à trouver des spécimens de l’âge de la faille du Rift.
Du lac Victoria à l'océan Indien (832 km): Je quitte le marché de Kisumu – troisième ville du pays (185 000 habitants) – sur les bords du lac Victoria avec un camion. Avec Sham le chauffeur et Anton son cousin qui l’accompagne, nous parcourons 120 km jusqu’à la petite ville d’Eldoret. En cours de route, il recueille du lait de vache frisonne qu’il laissera fermenté car il n’a aucun moyen de le conserver. Des poissons du lac - appelés tilapia en swahili – prennent le frais suspendus au rétroviseur extérieur. Afin de les préserver, ils sont précuits à l’arrivée et seront servis au déjeuner du lendemain. Au menu du souper figure l’ugali, sorte de porridge de maïs concassé, qui accompagne un plat de viande en sauce. C’est l’aliment de prédilection de tout le pays et les luos – ethnie dont mon hôte fait partie – revendiquent le titre de meilleurs cuisiniers d’ugali !
Au petit jour, après un détour pour voir les girafes, je continue en Land-Rover avec 4 jeunes Kenyans qui se rendent d’une seule traite sur l’île de Mombasa après avoir découvert une famille d’accueil pas comme les autres…
Lieu de vie exemplaire . "un endroit ou les enfants ne sont plus orphelins mais poussent dans leur jardin". A la sortie de Nakuru, Becky, Américaine au grand cœur, s’arrête et m’invite chez elle. Elle se consacre à réhabiliter des enfants de la rue qui lui sont confiés par des éducateurs. Lourde tâche à laquelle elle est confrontée, 22 jeunes – de 7 à 17 ans – font de sa maison une ruche en effervescence. Scolarisés à domicile, ils suivent les cours de professeurs agréés et rattrapent leurs retards avec une quinzaine d’enfants du voisinage. Becky exige qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes et impose des règles strictes quant à la vie collective et cela afin de favoriser l’épanouissement de chacun. La majorité comprend des garçons (8-12 ans) ; 2 bébés et 6 filles plus âgées complètent le groupe. Un moment d’autorégulation improvisé doit être tenu suite aux comportements mensongers de certains pendant l’absence de leur mère adoptive. La droiture est le mot d’ordre et le mensonge doit être combattu. Que de prénoms à mettre sur des visages joviaux qui respirent le naturel et l’honnêteté malgré des chemins de vie déjà durement éprouvés dès leurs plus jeunes années.
Une note d'optimisme: A Mombasa et Nairobi, je visite deux maisons de retraite tenues par les petites sœurs des pauvres. Les infirmières britanniques dans l’une et l’autre des résidences se plaignent du prix exorbitant des médicaments inhérents à la vieillesse. Les cardio-vasculaires oscillent entre 5 et 10 fr. le cachet tandis que les anti-parkinsoniens dépassent la dizaine de fr. à l’unité. Les patients en consomment plusieurs quotidiennement et les donations en argent ne suffisent pas à couvrir leurs besoins pharmaceutiques. Il n’existe ni lit pliant, ni fauteuil à dossier réglable. A ma demande, je reçois une liste dactylographiée de six pages de produits pharmaceutiques aussi dispendieux que rarissimes. Ce pourrait être l’objet d’un prochain voyage… Je l’ajoute à celle d’un centre adulte handicapé qui héberge 280 pensionnaires dont 180 hommes. Centre d’aide par le travail (C.A.T), il comprend plusieurs ateliers dont les produits artisanaux sont proposés aux étrangers de passage. L’atelier d’aide à la mobilité fabrique des fauteuils roulants dont le prix de revient à l’unité est d’environ 1000 fr. Entièrement conçu avec des matériaux à prix coûtant, ce tricycle pliable avance à l’aide d’un pédalier manuel fixé au guidon et qui entraîne la roue avant. Bien qu’il soit exporté, cela ne suffit pas à assurer un revenu minimum à chacun des ouvriers.
Deux appareils photos jetables et un numérique ont servis à couvrir mon séjour au Kenya. Au bout de la pellicule, je souhaite la retirer et offrir l’appareil aux enfants afin qu’ils puissent jouer aux petits photographes. Déception car je me rends à l’évidence ; il n’y a aucun film à l’intérieur ! C’est moi qui ai joué au photographe en herbe ! Défaut de fabrication ou tricherie du vendeur ? Allez savoir ! Je dois faire face à la fatalité. C’est l’Afrique ! Patron. Kwa heri Au revoir en langue swahili