Le culte du taureau ...à Lectoure (Gers). Cette voie d'accès à Compostelle passe par Montpellier, St Guilhem du désert, l'hôtel Dieu St Jacques de Toulouse, Auch, Tarbes et franchit les Pyrénées au col du somport. Elle traverse des villages abandonnés de l'Aragonais avant de rejoindre le chemin en provenance de Roncevaux à Puente la Reina (Navarre). Ils étaient vraiment fous ces Romains ! Les gladiateurs mis à mort, les spectateurs se précipitaient dans l'arêne pour goûter le sang de ces vaillants combattants synonyme d'énergie renouvelée.
A Lectoure (Gers), on immolait un taureau au-dessus d’une fosse couverte d’un plancher à claire-voie et dans laquelle le fidèle, vêtu d’une robe de soie et la tête ceinte de bandelettes, était recouvert du sang de la victime. Quand il en ressortait, le peuple se prosternait devant lui, le jugeant devenu l’égal de la divinité (Cybèle ou Mithra). Les riches payaient pour ce sacrifice expiatoire et une pierre commémorative ornée d’une tête de taureau -tauroboles exposées dans les caves de la mairie- était dressée à leur nom. On a même connu des prêtres qui se sont émasculés pour honorer certains tribuns.

La feria - San Firmin - à Pampelune. Les fameuses fêtes de Pampelune ont lieu tous les ans du 06 au 14 juillet. Il suffit d’une bonne paire de baskets et d’un peu de cran pour faire face aux taureaux. Il faut mieux leur tourner le dos en vérité et détaler à leur approche. Ils sont lâchés dans la rue au milieu de la foule et gare à qui n’a pas les pieds sur terre ! Le risque de se faire encorner est évident et ce sont les bêtes qui serviront en soirée de faire-valoir au toréador dans l’aréne. Toutefois vu le nombre de milliers de fessiers qui prennent la poudre d’escampette à l’approche de la manade, il y a peu de risque que ce soit le vôtre qui soit écorné ! Si vous y tenez vraiment, les monstres de près d’une tonne neutralisés, de vaillantes vachettes vous servent de sparring-partners dans l’arêne. En dehors de ces encierros, un concours de magnifiques feux d’artifices réalisés par différentes compagnies étrangères donne lieu à un spectacle quotidien suivi de concerts aux quatre coins de la ville. Les bars sont ouverts toute la nuit et le matin, les gens dansent le verre à la main comme si ils venaient de commencer la soirée. Cela dure 7 jours et 7 nuits !!!
Un jour de repos pendant la féria, c’est-à-dire deux courtes nuits de 3 heures de sommeil auxquelles il faut ajouter un cycle de sommeil supplémentaire (1h30) en matinée sur la pelouse comme tous les fêtards et c’est reparti jusqu’à Santiago (692 km).

Histoire et légendes: En l'an 778, Charlemagne, genou à terre au col de Cize et contemplant les terres chrétiennes dévastées par les Sarrasins, bat en retraite. L'arrière-garde de son armée dont fait partie son neveu Roland jouant de l'olifant est taillée en pièce. Le rocher sur lequel il casse son épée Durandal est encore visible aujourd'hui au passage du col de Roncevaux.
Vers l'an 813, la sépulture de Jacques le Majeur, disciple du Christ et frère de Paul, est repérée grâce à une étoile par Pelayo, un ermite instruit par un songe. Il avertit Théodomir, évêque d'Ira Flavia, qui fait aussitôt dégager le tombeau.Ce champ de l'étoile prend le nom de Compostelle. En lieu et place du palais de la reine Lupa convertie, une chapelle est édifiée en même tant que se répand la nouvelle dans la chrétienté entière. Les foules accourent pour vénérer St Jacques mais la péninsule ibérique est toujours aux mains des "infidéles". Jacques le Matamore surgit des nuées sur son cheval blanc au-dessus des combattants de la bataille de Clavijo en 844 et repousse ainsi les Maures plus au sud libérant l'accès aux pélerins vers la Galice. Ce n'est toutefois qu'en 951 que Godescalc, évêque du Puy, ouvre le chemin de l'intérieur des terres vers le tombeau de l'apôtre. Ils le préférent à la côte cantabrique jugée périlleuse que les pillards écument et le pays basque guère hospitalier. Désormais, par volontés politique et religieuse confondues des rois du Béarn, le chemin de St Jacques est équipé et jalonné d'hospices, d'auberges et d'églises. Le chemin d'Espagne, pétiole d'une large feuille parcourue de quatre nervures principales est la continuité des voies hexagonales de Vezelay, Tours, Arles et Le Puy.

"el camino frances": A Puente la Reina - Estefania fait construire un tablier en voûte surmontant cinq arches en plein cintre, merveilleuse oeuvre d'art sur lequel les pélerins quittent la ville- le chemin de l'intérieur devient unique jusqu'à Santiago. Pour fixer des colons, les fueros garantissent aux Francs des conditions d'établissement privilégiées et des marchés réservés au grand dan des autochtones. Les fueros d'Estella et Logrono peuplés de Normands, Allemands, Anglais, Lombards aux professions de boucher, tanneur, cordonnnier s'enrichissent et perpétuent leur traditions d'origine.Le chemin communément appelé "camino frances" égrène les bourgs au passage du jacquet. Au monastère d'Irache, je fais le plein de tinto (vin rouge) à la fontaine. Un écriteau autorise le pélerin à remplir une bouteille de vin pourvu que la quantité ne nuise pas à la bonne continuation de sa pérégrination. J'aperçois l'éperon et les ruines au pied desquelles semble reposer ce village au nom évocateur de Villamayor de mon jardim. Je fuis l'évangéliste hollandais responsable de l'auberge qui veut convertir les extra-terrestres, trop illuminé à mon goût En contrebas d'une parcelle de vigne, je m'installe dans un cabanon pour la nuit non sans avoir goûté au préalable le rouge du pays avec du munster. La qualité du breuvage est moyenne mais vu les difficultés surmontées dans la journée, il se mérite bien. S'il coulait du bordeaux, la fontaine serait tarie depuis longtemps. Sans vin, pas de pélerin. La Rioja, j'arrive !
A Logrono, je me vois refuser l'accès au refuge sous prétexte que ma credencial date de 1997. Deux Françaises avec une credencial initiée en 1997 sont acceptées tandis que deux jeunes Torontaises sont refoulées. Elles sont venues accompagner Alyson, Canadienne anglaise de 52 ans et mère de l'une d'entre elles. Brin de femme décolorée, elle en a vu de toutes les couleurs depuis qu'elle voyage. Depuis 1665, afin de protéger le jacquet des bandits et faux-pélerins appelés coquillards, un certificat de passage ou credencial est issu au candidat. Encore aujourd'hui, il permet de voyager et d'être reçu dans les auberges et hôpitaux pour les soins gratuits. Toute infraction à l'époque est punie du carcan, la récidive du fouet.
Au cours de ses haltes, Guilbert a tamponné un cahier d'écolier et ignore l'usage de la credencial. Pour l'obtenir, il lui faut décliner son identité et répondre à quelques questions qui l'indisposent très vite. Devant son refus de coopérer, il n'est pas autorisé à passer la porte et ira malgré le temps hivernal excécrable planter sa tente entre deux arbres à la sortie de la ville.
A la St Sylvestre, je suis le seul pélerin à l'albergue et a contrario de juillet, je suis reçu comme un prince par quatre hospitaleros. J'assiste en spectateur aux 3000 et 5000 m dans les rues de Logrono avant de regagner mon gîte vers 20h00. En tant que dernier pélerin de l'année, trois livres traitant du pélerinage dont une copie des meilleurs extraits du livre d'or- les pélerins y laissent leurs impressions quotidiennement- et une épinglette à l'effigie de l'association locale des amis de St Jacques me sont offerts. L'équipe d'hospitaliers se retire et me laisse un tinto épais et charpenté pour accompagner les crevettes et le saumon fumé. J'apprécie moins l'irruption de la femme de ménage à 8h00 précises le jour de l'an. Elle n'a pas pensé que c'était un jour férié !

Le pendu dépendu de Sto Domingo : Najera, au pied des falaises rouges où Du Guesclin se fit battre par le Prince Noir et Pierre le cruel en 1367 renferme le tombeau de Blanche de Castille, mère de St Louis. A Azofra, je quitte Paula, Argentino-péruvienne de 24 ans, après le déjeuner. Elle vient d'apprendre qu'un ami de la famille est son géniteur réel et son père ne le sait pas.
Un certain Dominique, cantonnier de son métier, consacra sa vie à faire et refaire charitablement et inlassablement la chaussée qui conduisait à Santiago. A sa mort, il fut canonisé. Autour de son sanctuaire qui abritait ses restes, une ville poussa:St Dominique de la Chaussée (de la Calzada).
Vers l'an 1090, un couple d'Allemands et leur fils Hugonell passent la nuit dans une auberge de Sto Domingo. La serveuse tombe amoureuse du jeune garçon qui se montre indifférent à ses avances. Pour se venger, elle cache dans son sac une tasse d'argent et le dénonce. La justice s'empare d'Hugonell et le voleur est pendu. A leur retour de St Jacques, le père va voir le corps de son fils pendu qui lui dit :"le bienheureux Sto Domingo me soutient de ses mains". Il retrouve le juge et afirme que son fils est vivant. Le juriste réfute : "il est mort comme le sont le coq et la poule rôtis prêts à servir sur ma table". Les volatiles se redressent et le coq se met à chanter. On dépend Hugonell et l'aubergiste est pendu à sa place. Depuis ce temps, un coq et une poule vivants, blancs tous deux, sont visibles dans une niche de la cathédrale, en regard du tombeau du saint. la coutume veut que l'on emporte une plume souvenir à son chapeau.

De la Castille à la Galice (540 km): Des groupes de scouts d’Europe ou de France, d’Espagne et des sportifs chevauchant des V.T.T aux couleurs criantes forment le plus gros de la troupe des pélerins. Des Espagnols à la recherche de vacances pas chères qui oublient que ce sont les pays de la Communauté Européenne qui subventionnent les infrastructures d'hébergement et la rénovation de l'antique chemin. Sans égards pour les véritables jacquaires, ils remplissent dès l'ouverture à 13h30 les refuges. Un plan d’occupation des sols s’organise en soirée pour occuper le moindre recoin, cuisine et réfectoire compris. L’exubérance dont font preuve les Espagnols bruyants ainsi que la promiscuité - les groupes écrasent les individuels- empêchent la réflexion et le partage que le cheminement intérieur doit induire.C'est lui qui fait le pélerin. L’espace spirituel n’existe plus.Il est bien loin l'accueil personalisé que l'on reçoit en France dans les lieux monastiques. L'hospitalier en Espagne est parfois synonyme de portier et il enregistre les mouvements, entrées et sorties des vacanciers. On "fait" St Jacques. Pendant l'été, le chemin de Compostelle représente un terrain de jeu foulé par une caravane publicitaire. On pense au tour de France...
Autre nouveauté au début d'un nouveau siècle: l'émergence des portables sans aucun respect pour l'intimité de l'autre. Ils servent à localiser les personnes dans l'espace géographique -un village parfois-même si celles-ci sont distantes de deux pâtés de maison ! Incapable de se déconnecter -"se dépouiller"serait le terme exact- afin d'écouter leur voix intérieur, les pénitent(e)s se font appeler de l'au-delà. Les déchets sont les traces immuables laissés par les milliers de Jacobipèdes qui forment les wagons de cette vaste entreprise culturo-religieuse patronnée par l’U.N.E.SC.O en 1999, année jubilaire et baptisée « itinéraire culturel de l’Europe ».

Au bout du chemin :Monte de Gozo et Finisterre. Ce Montjoie est le point de vue privilégié d'où les jacquots apercoivent pour la première fois le but de leur voyage sacré; Jérusalem, Rome et Compostelle. Les floppées de pélérins se jettaient dans la montée en courant; le premier au sommet de la butte sera le roi du pélérinage et pouvait ainsi se faire appeler Roy ou Leroy. Les petits monticules de pierres entassées au hasard du chemin pour éviter que l'on s'égare sont aussi des monts de la joie qui préfigurent la colline. Le rituel imposait à Lavacolla - traduisible par Lave-Queue ou Lave-Couille- non seulement de s'y laver le sexe mais le corps tout entier après s'être dépouillés de ses vêtements. Avant d'entrer en ville, cette purification par l'eau, sorte de baptême, symbolisait une nouvelle naissance. Quant aux effets vestimentaires, ils étaient emmenés et jetés dans l'océan "là où finit la terre". La plage du Padron, lieu d'échouage de la barque dans laquelle avait été embarqué le tombeau de l'apôtre, est située à une cinquantaine de km de St Jacques et regorge de coquille. On accolla la coquille au saint et c'est là que se finalise cette voie spirituelle- une expérience chargée d'énergie positive, riche, valorisante et unique en son genre.

Personnages del camino:"On y rencontre de tout;des gens super qui ressemblent à des zonars et des bouffons qui se font passer pour des gens biens". A celui d’un gourou à la barbe blanche (71 ans) co-fondateur avec Claude Vorillon de l’ordre des Raëliens se succèdent Alain, Belge «piercé» et tatoué sur toutes les parties du visage et du corps, Brigitte, une astrologue niçoise qui cherche sa bonne étoile, Anne du genre cool et planante vient de finir son premier long métrage en tant que monteuse et est convertie depuis 4 ans à la foi catholique alors qu’elle avait toujours pesté contre.Le Japon a ses représentants et pas mal de Brésiliens le sillonent ainsi que des Québecoises dont Hélène, cousine de Linda Lemey. Une certitude pour tou(te)s au bout du chemin : les cloques sont au pélerin ce que les puces sont au chien; l'un ne va pas sans l'autre ! Le pélerin, comme un voyageur qui se réveille dans un train, sait d'où il vient mais où va-t-il ? Et si, des hypothéses l'avancent, la sépulture était celle de l'hérésiarque Priscillien ? Une nécropole antique serait le point de départ de la quête de chacun qui s'interroge dans la culture forgée autour de la dévotion à l'apôtre. A quoi rime alors cette dévotion faite de joie et de peine ? Combattre ses démons, prendre sur soi et aller au bout du chemin: une victoire personnelle. Suite à l’embrasement de la cathédrale à Santiago, il faut penser au retour en auto-stop à travers l’Espagne. Je retrouve Gilbert, moine dominicain croisé en cours de pèlerinage, à l’arrêt dans un bouchon à Santander. Il m’aide à regagner la France et me propose de passer la nuit au couvent avant de continuer vers la Normandie.C’est finalement la dernière nuit de mon voyage à Bordeaux, la plus calme et propice au recueillement, qui m’apporte ce que je recherche depuis mon départ ; la paix de l’âme et la tranquillité de l’esprit.

Compostelle est un chemin « magique » et si l’on se souvient que magique vient de Mages – les Rois Mages Balthazar, Melchior et Gaspard l’Ethiopien furent les premiers pélerins à venir adorer Dieu fait Homme – il est naturel que B. Grieu se soit rendu dans ces contrées à l’approche de l’Epiphanie.
Prochaine étape : Djibouti et l’Ethiopie (sur les traces de Rimbaud).