05/08 : Passage de la frontière Sarawak (Tebedu)-Indonésie (Entikong). Rencontre avec le père Amir, prêtre de Sintang et nuit à la pastorale.
06/08 : Je reproduis sur une feuille la carte la plus détaillée de la région que je puisse trouver au diocèse. Journée de repos et infos TV.5 avant de quitter ce vaste monde civilisé.
07/08 : Je quitte avec mon remède antipaludéen – une herbe dont on tire une tisane (samiloto). Le père Amir me dépose à côté de l’atelier d’une de ses « brebis » sur la route de Putussibau (287 km et 12 à 14h00 de voyage suivant les conditions de la route en fonction de la saison). Un pick-up puis des camions-bennes m’emmènent mais cela ne suffira pas pour atteindre ma destination ce soir. Un bus s’arrête et accepte de m’embarquer pour finir le trajet prévu. A l’intérieur, Robert, 32 ans, Anglais originaire de Jersey donc francophone, a pour projet de rejoindre le côté Est de l’île. Je discute avec lui et il m’apparaît très vite comme un doux rêveur dans l’absolu. Il n’est pas du tout préparé et ne sais pas ce qu’il l’attend. Il ne dispose pas de réserves alimentaires, ne possède ni réchaud, ni boussole ! Il s’estime en bonne condition physique car il a pratiqué le surf sur l’île de Nias (située à l’Ouest de Sumatra). Il y est resté un mois complet et n’a pas beaucoup levé le pied. En bref, Robert est un touriste et loin d’être un voyageur. Alors, pourquoi je lui propose de l’embarquer avec moi ? Certainement parce que j’ai envie de partager ce moment de difficultés à venir avec une personne. Cela me serait tellement plus facile de partir seul en forêt. Rien dans sa personne ne m’attire mais il se trouve là au bon moment. Il est tombé comme un cheveu sur la soupe. Je chemine rarement avec des rencontres de hasard (cf. traversée du désert du Takla-Makan en 1999). Je veux me prouver parfois que je suis toujours capable de faire des choses avec les autres. Que je ne suis ni un sauvage, ni un asocial. Il ne dépassera pas Putussibau s’il reste seul.

08/08 : Après une nuit en ville, nous revenons légèrement sur nos pas et bifurquons vers Syut (12 km), village dont notre intérêt se porte sur la longhouse Nous prévoyons de laisser passer le coup de chaleur et continuer en fin d’après-midi. Nous sommes accueillis amicalement par tous les locataires qui nous demande de rester avec eux pour la nuit. Nous quittons les lieux vers 16h00 chargés de nos effets. J’ai un petit sac à dos pour les besoins de la traversée et un baluchon de vêtements à distribuer en cours de chemin. Une façon simple de remercier les gens qui m’accueille. Robert dépasse les 20 kg de poids avec un seul sac à dos contenant autant de choses inutiles qu’il est possible d’imaginer. Son sac le plombe et il aura du mal à lâcher du lest en cours de route, trop attaché qu’il est au matériel. Cela finira par le tuer. A commencer par 6 livres ou guides de voyages dont 2 pèsent chacun près de 2 livres ( 1 kg), un cahier de papier à dessiner, 2 statuettes et un masque en souvenir de son séjour à Nias…etc. Il dispose d’un phrase book (guide de conversation) qu’il n’ouvre pas. Il considère inconsciemment qu’il est de bon ton que les autres l’entretiennent en anglais, sorte de néocolonialisme linguistique qui lui permet d’imposer sa langue comme référence universelle. Ce sont les autres qui ont besoin du phrase book pour chercher un mot et communiquer avec lui. Je considère que ce devrait être l’inverse. Le seul élément utilisable dans cette zone inhospitalière, royaume des insectes où nous allons pénétrer est la moustiquaire.

Nous suivons la route étroite dont le ruban asphalté a été sévèrement mis à mal par le rythme des saisons sèches/humides. Nous venons de voir disparaître les derniers toits et un pick-up surchargé arrive derrière nous. Ce sont des commerçants chinois qui vont livrer des produits de consommation sur une base de logging (d’abattage d’arbres) située à 16 km. Nous espérons l’atteindre pour pouvoir y dormir mais allons déchanter. Il n’y a pas moyen de monter dans le véhicule «bourré jusqu’à la gueule». Je demande s’ils peuvent prendre nos sacs et les déposer à l’endroit où ils livreront les denrées. A notre charge de les récupérer plus tard, voir la nuit tombée lorsque nous atteindrons le camp. Le temps de les attacher sous la bâche qui protége de la pluie et c’est reparti à pied…
Survient une mobylette. Un seul d’entre nous peut être remorqué. Je pars devant et Robert continue à pied. J’ai confiance en ce qui concerne nos sacs mais je souhaite les avoir en main dès que possible. Raison pour laquelle je choisis de prendre les devants. Une piste de latérite a remplacé les bosses et creux du goudron. Le ciel gronde. Je pressens ce qui va se passer ; nous allons patiner dans la gadouille. Mon chauffeur accélère pour gagner en distance ce que nous risquons de perdre à cause du temps qui nous est compté. Il est frêle et a du mal à maîtriser son deux-roues. La roue arrière chasse des deux côtés et l’inévitable arrive. Nous chutons lourdement ; le fond de culotte se teinte d’ocre. Je me dégage rapidement. Je regrette de ne pas avoir mis pied à terre un peu plus tôt et d’une autre manière. De ne pas avoir su freiner les ardeurs de mon chauffeur qui au fur et à mesure que la pluie tombait plus fort s’emballait sans pouvoir contrôler son cheval fougueux. Pas franchement déshonorant pour un chevalier des Grieux de mettre genou à terre mais j’aurais aimé rester relativement propre. Les résidus de terre incrustés dans les crampons des pneumatiques et lancés en l’air quand les roues patinaient avait commencé une coloration intense de notre cuir chevelu étendu aux épaules. Comme dans la tête de mon ami, il fallait continuer peu importe, c’était gagner du terrain. Ce qui est parcouru n’est plus à faire. Je le laisse se désembourber et se dépatouiller seul. Pas besoin d’aller sous les tropiques pour imaginer une personne pousser une mobylette dans la boue. Je quitte la piste au pas de course et trouve refuge sous l’avancement d’une maison dont les habitants sont absents. Je fais signe que je continue à pied quand le cycle maculé arrive à ma hauteur. Un moment d’attente – la pluie cesse- en marche ! Cette voie d’accès vers un camp de base qui abrite les coupeurs longe le fleuve Kapuas (1240 km), le plus long du Kalimantan occidental. A partir de ce point, je pense qu’il est possible de continuer à pied par la forêt. En attendant, la dizaine de kilomètres parcourus dans la journée, j’atteins les chaussures boueuses une bifurcation à proximité du village de Lunsara. Sur ma gauche, le chemin mène au fleuve et j’avise une maison dans l’angle du croisement. Je demande combien il me reste à marcher jusqu’à ma destination finale. Je suis invité à rentrer et on me propose à boire et manger. Du riz, des légumes, de la biche et de l’eau, les hommes en demi cercle me font une place. Assis en tailleur, ils sont en train de finir leur assiette. Il fait nuit et je pense cueillir Robert à son passage. Pour me faire plaisir, la famille change de chaîne et je peux prendre connaissance de l’actualité sur T.V 5 Asie. Les paraboles pullulent dans toute l’Indonésie et après une journée de marche, je suis toujours surpris dans un village du bout du monde de pouvoir regarder le journal télévisé. Je patiente depuis 2h00 quand le bruit d’un moteur me fait bondir et jaillir hors des murs. Je saute dedans s’il va dans la bonne direction mais c’est le pick-up des Chinois sur le retour. Il n’ont pas croisé Robert. Je leur demande de lui signaler ma présence s’ils viennent à le rencontrer. Le halo des phares et l’éclat de nos voix suscitent la curiosité des voisins. Inévitablement attirés, des personnes s’approchent dont deux ravissantes jeunes filles qui m’adressent la parole et m’invitent à les suivre. Robert est chez elles et il attend. Elles n’habitent pas loin mais il a déjà un peu dépassé la maison où je me trouve. Saluant et remerciant la famille qui m’a accueillie, je les suis. Je retrouve Robert qui, par signe et par geste, essaye de faire passer des messages. 3 jeunes filles dont 2 sont sœurs, leur mère et une parente rient aux éclats et s’amusent follement de voir deux étrangers être venus se perdre dans cet endroit isolé. Nous hésitons à continuer – il nous reste 2 km d’après leurs dires - mais elles insistent pour que nous restions dormir. Ce sera sans moustiquaire rangée dans nos sacs. Il n’y a pas d’hommes dans la maison mais apparemment, cela ne pose aucun problème bien qu’elles soient de confession musulmane. Nous les amusons. Je surenchéris en jouant sur les mots. Dans ce genre de situation, le sujet de prédilection pour les locaux tourne autour de la famille, du mariage et des enfants. Tous deux célibataires, avec une différence d’âge de dix ans, il leur est difficile de comprendre pourquoi nous ne sommes pas mariés. L’opération « charme et séduction » commence. Elles sont irrésistibles. A nos petits soins, elles blaguent entre elles comme des gamines. C’est d’ailleurs à peu prés l’âge qu’elles ont ; entre 14 et 19 ans. Rompues aux travaux ménagers, on leur donnerait plus. Les aïeules entrent dans leur jeu. Elles ont toutes les 3 les atouts en main pour nous faire flancher. Leur seul défaut si je puis dire est leur taille. Robert, 1,82 m, paraît géant à leur côtés. Nous avons du mal à trouver le sommeil à cause des nombreux moustiques mais nous finissons par succomber.
Le matin, j’accompagne Sylvia au fleuve. Elle se jette dans l’eau fraîche à partir du ponton flottant sur lequel on lave la vaisselle et le linge. Décollé de la berge, celui-ci dispose à l’arrière d’une cabane de planches, de la taille d’une personne debout, utilisée comme toilettes ou pour changer de vêtements. En position accroupie, les pieds sur un plancher à claire-voie, on a l’impression de chevaucher un véhicule et de faire du surplace. Les yeux contemple l’eau courante sous nos pieds qui charrie les excréments vers l’aval. A l’aide d’un ustensile en plastique – manufacturé ou un simple récipient coupé au niveau du bec verseur – on s’asperge selon les besoins du moment, les toilettes ou la douche. Les locaux en slip préfèrent se savonner abondamment et se baigner dans le courant du fleuve imposant (300 m de large). De retour à la maison, avant de boire le thé, je leur offre deux maillots de bain une-pièce que je tire de mon petit sac à dos. Une Land-Rover vient à passer et je l’arrête. Elle a suffisamment de place pour nous embarquer. Nous grimpons à l’arrière avec les deux filles qui vont faire des affaires à Nanga Erak tandis que Sylvia part à l’école. Le véhicule se rend à Nanga Raun (PK 32) située sur la rivière Mandalai. Nous l’accompagnons dans sa course pour finalement rebrousser chemin car la seule voie d’accès pour poursuivre notre périple est fluviale. Nous mettons pied à terre là où nos «petites amies» sont descendues et les retrouvons.

Jeudi 04 septembre : Le vrai départ. Je quitte avec soulagement la maison de Bernardus et laisse Robert entre les mains de Surya, infirmier en poste originaire de Maumere (Flores). Je prends la route vers midi. Vers 15h00, je m’aperçois que le couvercle de la casserole manque. J’ai oublié au moment ou je paquetais de l’attacher au sac à dos. Robert en nettoyant la chambre l’a replacé à la cuisine. Il ne me reste plus qu’à faire demi-tour pour le récupérer, passer la nuit en compagnie des gars et revenir sur le terrain demain matin à l’aube.

Vendredi 05 septembre : Départ définitif vers 10h00. Je retrouve mes sacs intouchés que j’ai laissé à l’abri dans une grotte. Je passe à flanc de colline avant de découvrir une immense cavité, antre naturel comparable en volume à la basilique de Lisieux. Un espace grandiose aménagé dans un tel environnement dégage forcément un sentiment de religiosité ; l’Homme tout petit devant le Sacré. Il n’est pas tard mais je décide de m’abriter et d’y dormir. Afin de m’avancer, je pars en reconnaissance avec le sac saucissonné sur l’épaule et le dépose en haut d’une colline avant de rejoindre mon dôme protecteur pour la nuit. Je me suis arrêté parce que je suis persuadé qu’un orage va éclater. Je suis à peine revenu que les premières gouttes tombent. Des déferlantes s’abattent et rapidement le niveau d’eau monte ; c’est le déluge. Je m’éloigne et contemple à distance les trombes d’eau gifler les plantes vertes géantes qui courbent l’échine. Je tente d’allumer un feu mais devant mon manque de motivation, j’abandonne. J’ai prévu de finir ce qui reste de riz et de viande de chien. J’espère qu’elle me fournira suffisamment d’énergie pour ne pas avoir froid cette nuit car le sol de terre nue est très humide. Les Chinois racontent que le chien est un aliment qui chauffent le corps au même titre que le roi des fruits de la forêt, le durian. Je m’enroule à même le sol dans la bâche mais doit changer d’endroit à cause de minuscules fourmis particulièrement agressives.

Samedi 06 septembre : Deux jeunes sont de passage et je saisis l’occasion de faire un bout de chemin avec eux. Je prends mon sac caché dans le pied d’un tronc. Ce n’est pas tant les humains dont j’ai peur mais plutôt les animaux attirés par la nourriture. Ils sont équipés de bottes et ça m’a l’air d’être la meilleure solution pour marcher dans ces zones inhospitalières. Elles assurent une bonne protection contre les sangsues. Après que nous ayons descendus un lit de rivière, mes deux compagnons me lâchent. Ils sont arrivés à leur grotte. Je continue seul et repère un quart d’heure plus tard un nid d’aigle. Une bâche bleue de couleur identique à la mienne est accroché à flanc de falaise. De l’aire herbue où je dépose mes sacs, un sentier file entre les arbustes. Je bute rapidement contre la pierre blanche et m’élève rapidement, mes mains agrippant les racines. Cela ressemble à de la varappe. De menus tronc d’arbres rendus glissants par la moiteur du climat servent de passerelles et ont été intercalés entre les massifs rocheux calcaires. Mieux vaut garder son équilibre. Les arrêtes aiguisées des pierres coupantes sont meurtrières si l’on a besoin de s’y appuyer afin de conserver son équilibre. J’approche du lieu de vie et tombe nez à nez avec Yussouf, ex-étudiant lettré originaire de Pontianak, le seul rencontré avec un livre à son chevet. Je le sollicite pour cuisiner mon fricot ; nasi campur (riz mélangé aux légumes avec champignons) et préparer 1litre et demi de thé noir très concentré. Un voisin vient le visiter. Il retourne chercher une patte grillée de mouse deer (kancil) qu’il me tend. J’apprécie le geste. Elle a été prise au piège il y a deux jours. Bien qu’elle dégage une odeur forte, son goût sauvage incomparable me ravit le palais. Un moment d’écriture après le déjeuner tardif et l’après midi est morte. Yussouf ne voit pas d’inconvénients à ce que je lui tienne compagnie pour la nuit. Nous allons visiter les occupants d’une cavité qui nous domine. L’un d’eux est le fils d’un chef de village. Il loue la grotte deux millions de roupies (200 Euros) pour 2 mois, charge à lui de récolter les nids en quantité et les revendre pour en tirer profit. A Tanjung Lokang, le kilogramme de riz se vend 25 000 rps (2,5 Euros) soit plus de 5 fois le prix courant ! Je suis content d’en avoir autant en réserve (13 kg) Même si je dois le porter pour l’instant, c’est lui qui me mènera au bout du chemin.

Dimanche 07 septembre: Pas de repos dominical mais départ tardif. Réveil à l’aube comme d’habitude, je prépare un café mélangé avec de la farine de semoule vanillée enrichie en vitamine B, un aliment nutritif réservé aux nourrissons (0-6 mois). Je continue avec 2 l de thé et m’attarde devant mon journal de bord. Il est déjà 11h00 lorsque une petite fringale me saisit. J’ai fini ce matin les restes du daim avec le riz mais cela ne suffira pas pour me mettre en jambes et tenir jusqu’à ce soir. Je réponds à l’appel du ventre d’autant plus que je peux utiliser le petit coin cuisine et le feu. Yussuf m’a quitté ce matin et je suis seul. Il est parti visiter des amis nichés à 15 mn de flanc de falaise et revient dans la soirée. Repu, je quitte l’endroit vers 15h00, direction la dernière grotte «habitée» où je pense m’arrêter pour la nuit. Yussuf m’en a énumérées huit mais une de ses connaissances venu lui parler en a rajouter deux, donc dix au total. Je suis dans la troisième et la neuvième est la dernière qui soit occupée.

De nouveau dans la plaine, un raccourci permet de se rendre d’une grotte à l’autre. Un peu moins scabreux que de rester en équilibre sur celui qui suit le pied des falaises. Au fur et à mesure que je progresse, je croise des chasseurs de nids d’hirondelle.. Sur une distance aussi courte – quelques heures seulement – les approximations de la distance par les locaux sont des plus fantaisistes et varient selon l’un ou l’autre. Il n’y en pas deux qui se rapproche. Chacun donne la sienne, entre 1h1/2 et 5h de course. C’est ce qu’on appelle le «temps élastique» (karet). Je n’ai jamais compris qu’un peuple habitué à marcher soit autant à côté de ses pompes. Je reste dans le flou. Ce dont je suis sûr, c’est que je suis capable d’atteindre la septième du nom de Bobok. Le tracé encombré d’arbres tombés est facile à deviner, légèrement humide et traverse une belle forêt primaire. Au détour du chemin, un pan de falaise ou un énorme rocher surgit par la fenêtre, véritable ouverture sur le ciel dans la découpe de cet océan de verdure. Je devine quand je ne suis pas très loin d’une grotte à cause de l’activité des occupants. Je ne compte pas combien j’en passe car je ne peux rater Bobok qui se trouve en plein chemin. Les sacs me ralentissent et il me faut 2 heures à un rythme pépère pour l’atteindre. La bâche bleue qui la protège des intempéries jure avec la couleur grise de la roche et me sert encore une fois de point de repère. Je dois d’abord passer à gué la Nanga Bulit et j’évalue mes chances de la traverser en divers endroits. Je ne veux pas ni me déchausser, ni me mouiller les pieds ; cela me ralentit davantage dans mes tentatives. Je viens de choisir mon passage et m’avance sur l’eau un pied l’un après l’autre reposant sur des roches à fleur d’eau quand deux jeunes hommes surviennent sur la berge opposée avec une meute de six chiens à leur trousses. Accueil plutôt sauvage dans les circonstances actuelles mais ne suis-je pas en pleine nature ? Je n’ai pas encore vu de chiens dans les parages. Les deux personnes, les corps superbement sculptés par les courses et les conditions de vie en forêt, attendent que je finisse ma traversée pour me questionner. Le site est superbe. L’envie me prend d’y rester pour la nuit s’il n’y avait les chiens qui risquent d’aboyer toute la nuit à cause de ma présence. L’endroit perdrait de sa sérénité. J’aime goûter à la tranquillité quand je suis sous le charme des lieux. Les garçons rejoignent une bicoque en bois située sur un petit promontoire. Celle-ci domine la rivière qui forme un coude à cet endroit. Je demande la permission d’y faire halte pour souffler un moment. L’escalier branlant est complètement dépouillé de ses marches. Je réussis à poser mon sac sur le palier instable et réduit à trois chevrons. Les planches ont disparues. Ils me mettent en garde. Une seule personne à la fois dans la montée ou la descente, chacun son tour. Ils sont décidément habitués aux risques si l’on tient compte des conditions difficiles d’accès aux grottes. Sous des airs peu engageants, l’accueil est inamical. Malgré la nuit qui tombe, je décide de pousser plus loin mon chemin. Je rentre dans le bois déjà mangé par l’obscurité à l’heure qu’il est. 20 mn plus tard, je m’engage dans ce qui ressemble à un chemin d’accès à la grotte. L’un des locataires est d’ailleurs en contrebas à la rivière où il se baigne. Le second car ils sont souvent deux pour garder la grotte doit être rester à l’entrée de celle-ci. Guère plus accueillant, je me sens obligé de continuer plus en avant et lui demande où continue le chemin. Je sais pertinemment que je cours le risque de passer la nuit dehors tant les sous-bois sont sombres. Avant même d’avoir atteint mon but, je vais devoir m’arrêter et m’abriter. A mettre sur le compte de l’inconscience ou de l’entêtement, je continue et parviens tant bien que mal en amont de la Nanga Bulit où se trouve le camp de base de la neuvième grotte. Je ne vois rien quand j’atteins la rive. On m’a assuré à deux reprises qu’il y aurait du monde. Je viens de sortir du bois et voilà que gronde l’orage pour ne rien arranger à ma situation. Je remonte le cours sur quelques centaines de mètres et devant l’absence évidente de présence humaine et la menace de pluie imminente, je préfère faire demi-tour. Je me vois mal fixer la bâche et commencer un feu avant qu’il ne pleuve. Je dois traverser la Bulit et continuer vers l’amont sur la berge opposée pour arriver au lieu occupé mais je suis trop court dans le temps. Je positionne mon bagage à main sur la plage de galets. Afin de le protéger, je le recouvre de larges écorces sèches qui ont été charriées par la rivière. Je le cale et l’entoure de grosses pierres en cas de brusque montée des eaux. Et je retourne dans la forêt, mes yeux de chat devinant plus le chemin qu’ils ne le voient. Mes pieds rapidement viennent à leur secours et prennent le relais. Je sens s’ouvrir sous mes pas le tracé, ruban sur lequel semblent adhérer mes semelles. Avec tout mon corps à l’écoute, la lecture de ce code barre m’indique la voie à suivre. Je perçois le fil ténu où d’autres sont passés. De part et d’autre, des arbustes forment un rempart ou pire, je dois éviter des crevasses. L’itinéraire, légèrement vallonné, est difficile à reconnaître dans ces conditions. J’avance pas à pas doucement et prudemment, mon briquet allumé par intermittence pour m’éclairer. Il résiste à la chaleur et les coups de boutoir successifs du pouce. Comment puis-je faire autrement ? C’est irraisonnable. C’est le seul qui soit de bonne qualité – fabriqué à l’ouest – et je devrais le préserver car il peut me sauver la vie ultérieurement si je dois survivre en forêt. Ceux de fabrication indonésienne ne résistent pas longtemps à la pression du doigt sur la molette ou le poussoir à gaz. La pierre à peine entamée ou le gaz en réserve ne peut plus être utilisé. Il reste l’outil de référence pour allumer un feu, les allumettes s’humidifiant à cause du degré hygrométrique élevé Sans feu, impossible de cuisiner, les jours de survie sont comptés. Tenter un retour hypothétique et mettre en jeu l’unique objet susceptible de me nourrir pendant 3 semaines est irresponsable. C’est pourtant ce dont je fais preuve. Le bec brûlant, il va rendre l’âme sans que j’aie atteint mon but. Je n’aurais qu’à m’en prendre qu’à moi-même. Quel désarroi !

Le fait de me trouver en cet endroit incongru à cette heure de la nuit n’est-il pas prendre des risques inconsidérés ? Je prends une pointe de branche sur la clavicule et le choc est rude. Le bois cède et se casse. C’eût pu être l’inverse. La fourche laisse sa signature, la peau rougie écorchée à vif. Je surmonte la douleur localisée au point de contact de l’agression. Je marque une pause après une bonne heure de progression à l’aveuglette. Personne ne m’attend et j’ai la nuit devant moi ! Je devine que je suis très proche de la grotte. Je crie mais n’obtiens aucune réponse. S’ils m’entendent, les gardiens du lieu bien qu’armés, ne sont pas des plus téméraires. A deux reprises, je risque de me rompre le cou. J’atterris dans un lit asséché légèrement écarté de ma trajectoire et entouré de branches d’arbres morts pointées dans ma direction. Ceinturé d’épieux tels des lances menaçantes, je suis en position délicate pour me dépêtrer et continuer. A quoi bon me casser un membre et compromettre une situation déjà épineuse. Devant les risques encourus, je décide de lever le pied et bivouaquer dans sa forme la plus simple qui soit, à même le sol allongé sur la bâche. Il n’a pas commencé à pleuvoir et le roulement de tonnerre s’est éloigné. Je ne suis pas sans ignorer qu’il est pratiquement impossible de trouver le sommeil en forêt sans une protection tant le sol est infesté d’insectes divers et autres familiers des lieux. Je me rends compte que des fourmis rouges géantes ont colonisé la parcelle où j’ai choisi d’étaler la bâche. C’est avec elles que je vais passer la nuit et avoir fort à faire. N’aimant pas être envahies, elles occupent massivement le terrain, passent et repassent sur la largeur de la bâche où je suis allongé. Je ne peux le rester longtemps et me retrouve assis défendant le petit carré malhonnêtement investi. Après tout, c’est moi l’intrus. La forêt est leur domaine et leur appartient. Je suis l’envahisseur. De la taille d’un demi doigt (3.5 cm), je les pince entre le pouce et l’index et les écrase avant de sentir leurs mandibules impressionnantes se refermer sur le bout de mes doigts. C’est la guerre des fourmis ! Elle dure toute la nuit. Quand elles réussissent à s’accrocher, je les dégage d’une pichenette. Bien que non douloureuse, je sens la morsure pendant une vingtaine de minutes tellement leurs pinces sont puissantes. Par dizaines, elles m’attaquent sans relâche. Malgré leur nombre, je ne suis pas en danger. J’aimerais pouvoir m’en débarrasser sans avoir à les tuer mais c’est impossible. Je suis seul contre toutes et dois les éliminer au fur et à mesure que je repousse les assaillantes. Sans une minute de répit, je contre toute attaque. Mes mains à tour de rôle ratissent le plastique derrière mon dos et au niveau des hanches promptes à saisir les soldats. Quelques unes réussissent à sauter sur l’avant-bras avant de tenter une percée vers le tronc et la partie supérieure du corps. Aux plus audacieuses, je réserve un sort cruel, un mélange de sadisme et de perversité m’anime. Je m’amuse à faire éclater la poche d’acide formique de chacune d’entre elles. L’odeur est très forte et se répand dans l’air. J’en suis tout parfumé au petit matin quand mes victimes par centaines jonchent le sol du champ de bataille. Rester sur mes gardes et faire preuve de rapidité d’intervention sont les maîtres mots de cette guerre cruciale qui se déroule au sol. Je sors épuisé de l’épreuve.

Lundi 08 septembre : Défait par la nuit mais victorieux au vu du nombre de cadavres innombrables qui s’amoncellent, je paquette et retrouve mon fil d’Ariane qui mène à la grotte. J’en suis tout proche et 15 mn me suffisent pour la rejoindre. Le contact avec les deux jeunes n’est pas évident mais la confiance gagnée, ils acceptent ma présence. Je les avais prévenu que je reviendrai si je ne rencontrais personne. Encore à moitié endormi à cause de l’heure matinale, ils préparent le café qu’ils m’invitent à partager. En réalité, ils s’ennuient à longueur de journée. La récolte des nids se fait tous les 52éme jours des mois pairs. Entre deux saisons, lorsque les hirondelles le refont pour la nième fois, il faut les protéger des voleurs qui peuvent venir s’approvisionner à bon compte. Les relations de bon voisinage sont de bon augure entre les chasseurs qui se rendent visite mais ces deux-là sont particulièrement méfiants. Ils ont le fusil à portée de main. Le fait qu’ils soient un peu plus isolés augment leur suspicion. Surtout lorsque l’on connaît leurs proches, les deux jeunes esthètes, avec lesquels j’ai eu contact la veille. Je mesure combien leur espace vital est réduit. Deux lits style brancards – deux branches fixées à leurs extrémités sur lesquelles ont été cousues des sacs en plastique découpés – abrités d’une toile et à l’entrée duquel viennent butiner une multitude de mouches. Je procède à un léger nettoyage de printemps pour les faire fuir et qu’il y en ait moins. L’un d’eux vient de tuer un volatile qu’il s’efforce de plumer à sec avant de le découper en menus morceaux. Je les laisse préparer leur popote avant de mettre de l’eau à bouillir pour cuisiner (riz et thé). Je suis impatient et salive devant le repas en cours de cuisson. Le canard sauvage mijote. Au dessus du feu trône un plateau en fer dans lequel ont été entreposés pêle-mêle plusieurs poissons mis à griller. La tôle n’est pas percée. Une grille permet l’aération et facilite le séchage. Ils n’ont pas été salés non plus. Je les inspecte à l’œil et leur fais remarquer que des vers les habitent et se baladent sur les plus gros. Ils les déplacent et les mettent à sécher au soleil sur un tronc d’arbre. Ils me proposent d’en consommer quatre de suite. Je me posais la question de ce que j’allais pouvoir ajouter au riz. Là voilà résolue ! En les cuisant tous, je peux les manger aujourd’hui et les conserver plus facilement. J’en aurai probablement pour deux jours. Je leur emprunte un récipient plus grand que le mien. Une taille à la mesure de mon estomac mis en appétit par les relents de cuisson. Je les laisse se servir. Invité à les imiter, je ne peux résister à l’assiette de riz et aux morceaux de canard très tendre. Le jus de cuisson est exquis. J’y ajoute des cubes de viande de porc sauvage revenus dans de l’huile. Ca baigne dans la graisse mais je n’ai rien contre faire un peu de gras avant les heures difficiles de la forêt. Quel contraste entre la finesse du canard et la lourdeur du sanglier ! La légèreté du bouillon s’oppose aux graisses accumulées dans la poêle. Les deux ravissent mon palais et remplissent mon estomac affamé. J’ai cuit du riz en extra et mes poissons auxquels je goûte. Je ne veux pas limiter qui que ce soit, ni me rationner avant l’effort. Je sais aussi qu’il ne mangeront pas le riz cuit à ma façon. Je le jette dans un gros volume d’eau, tous les ingrédients mélangés. Avec l’amidon, une fois cuit, cela ressemble plus à de la soupe (aux poissons ou à la viande selon les ingrédients). Après l’avoir lavé, ils mesurent deux volumes d’eau pour un de riz. La casserole prend souvent le fond et se retrouve calottée d’une couche de riz blanc brûlée qu’ils ne mangent pas. Repu, je descends au bord de l’eau et me baigne. Les besoins primaires – manger et se laver – prennent un temps considérable lorsque l’on manque de commodités. Ils constituent l’occupation majeure de la journée. La vie citadine ou «moderne» vise à diminuer et éviter la perte de temps lié à ces contraintes pour permettre à l’être de se libérer et entreprendre d’autres activités plus créatives.
Devant l’étroitesse de leur tente, je pense aller dormir dans la maison en bois qui ne m’a pas quitté l’esprit ou repartir sur le sentier. Je leur dévoile mon idée et ils n’ont pas d’objection. La journée se déroule sur un rythme lent.
Dans l’après-midi, mon sac sous leur responsabilité, la casserole de riz au poisson à la main et mon couchage (rouleau de moquette et sac à viande) sous le bras, je quitte pour Bobok à 20 mn de marche. Je retrouve mes «jeunes loups». L’aîné toujours aussi rude dans son approche me confie qu’il avait l’intention de me garder hier soir. Il découpe de gros fruits de la forêt dont il tire des noix inconsommables dans l’immédiat. Il peut les cuire seulement après trois jours. Il me montre un container plastique dans lequel il conserve de menus morceaux de viande de porc salés. Je lui demande ce qu’il fait des petits bouts de jerrycan éparpillés un peu partout sur le sol. Il me fait la démonstration et le met sous la flamme d’un briquet. Celui-ci est inflammable et brûle facilement car il contient un agent pyrophore (polychlorure de vinyle ou PVC). La chimie a parfois du bon ! De petits copeaux ou brindilles de la taille d’une allumette sont posés délicatement un par un sur le carré animé par une minuscule flamme bleue persistante. Ils s’enflamment et d’autres plus imposants sont appuyés sur ceux déjà consumés. Voilà une façon alternative d’initier un feu en milieu humide à laquelle je n’aurais jamais pensé. Les retours en arrière sont pour moi synonyme de régression. Je viens d’apprendre cette nouvelle technique parce que je suis revenu sur mes pas.

Un vieil homme efflanqué apparaît sur le palier et fait irruption dans la pièce. Il me fait penser à ces vieux trappeurs du Grand Nord canadien, usés qu’ils sont pour avoir couru tous les recoins de la forêt. Amaigris par les longues marches et les nuits de veille à chasser, pêcher pour assurer leur subsistance. Ils sont ridés avant l’âge et le poids des ans leur courbent l’échine qu’ils veulent pourtant porter haut. La tête relevée, le cou altier se dégage d’un buste mince et musclé. Tels sont les traits du père qui vient d’entrer. Son domaine, c’est la forêt équatorienne, celle tropicale du Grand Sud. Frêle sur ses jambes, il marche naturellement nu-pieds. Il aurait aux dires de son fils 70 ans. Je tarde à le reconnaître mais à notre arrivée à Tanjung Lokang, un vieil homme nous avait proposé de cuisiner chez lui. Pétri de bonnes intentions, c’était sans compter sur sa femme, marâtre à l’allure de cerbère sur le palier devant sa porte d’entrée. Je le remerciais pour sa générosité et renonçais à cuisiner par moi-même. Son geste m’avait fait chaud au cœur et je ne l’avais pas oublié. Le fait que je le retrouve dans un autre lieu et une autre situation me désoriente et me fait hésiter. Son aîné présent ce jour-là se rappelle évidement. Il me connaissait quand il m’a abordé hier soir. J’ai déjeuné très tôt ce matin et la faim se fait sentir. Je pioche un peu dans ma gamelle de riz au poisson. Je m’assoupis sur une natte de rattan dans une petite pièce contiguë. En soirée, la nuit tombée, nous partageons du riz accompagné de viande de sanglier relevée avec des piments rouges. Absolument délicieux ! Je suis étonné de la tendresse de la chair si savoureuse. Le père et son cadet partent en forêt pour chasser et pêcher. Un feu sur la plage et ils dormiront à la belle étoile. Quel courage ! Je retourne finir ma nuit. Impossible de me rendormir tant je suis assailli par de minuscules insectes urticants. Ils sont les maîtres du lieu. En bahasa indonesia, on les appelle agass. Il n’y a pas de traduction car ils n’existent que dans ce pays. C’est une espèce endémique propre à l’archipel indonésien. Un feu allumé sous le plancher enfume la maison construite sur pilotis. Les moustiques n’apprécient pas la fumée et on obtient un peu de répit. Le feu n’est pas éternel. Vers 3h00 du matin, n’y tenant plus, je demande à l’aîné de rallumer le feu..L’effet de la fumée à raison de mes agresseurs et limite leur nombre Ma nuit est finie et je reste allongé près du foyer la tête en l’air dans les étoiles. Ici, ce n’est pas les moutons qu’il faut compter pour s’endormir. Le ciel dégagé est fabuleux et la lune croissante donne une clarté exceptionnelle à l’endroit. Le rocher à ma droite où se nichent les grottes exploitées se découpe dans la pénombre et accroche mon regard. Du haut de mon promontoire, un panorama grandiose – multivision à l’état naturel – s’ouvre devant moi. Dans la Bulit, des arbres morts gigantesques élèvent leurs branches vers la voûte étoilée et jettent des ombres qui se découpent sur les reflets scintillants de l’eau miroitante. D’énormes rocs épars sont couchés dans le lit du cours ensommeillé. J’éprouve une grande satisfaction. A partir du moment où j’ai mis le pied sur ce petit îlot de rêve, j’ai imaginé le contempler sous la pleine lune. Ce que j’ai souhaité est en train de se réaliser. C’est fantastique ! Observer ce cadre enchanteur sous les rayons lunaires. De mon point de vue, j’ai encore quelques heures pour l’apprécier. La casserole pleine d’eau est prête à poser sur les charbons ardents dès les premières lueurs de l’aube. Terrassé par la fatigue, je finis par sombrer corps et âme dans le sommeil. J’ai peu dormi et ne vais pas quitter les lieux dispos.

Mardi 09 septembre: Je suis résolu à quitter tôt. Les deux pêcheurs sont revenus bredouilles. Le drame couve. L’un des six chiens manque à l’appel depuis hier soir. Ils ont beau jouer les durs. Je découvre un brin d’émotion, de tendresse et de sensibilité dans leur comportement de gamins atermoyés. Dans ces cas-là, c’est souvent celui qui se veut le plus fort qui se révèle le plus faible. L’aîné se montre le plus abattu et vulnérable. Le père est soucieux et inquiet. Je réchauffe le reste de riz au porc qui me semble meilleur que la veille. Le thé bu, tandis que je retourne à Tahapon avec mon riz au poisson à peine entamé, ils partent en battue avec la meute. Un jeune les a visité hier après-midi et le chien l’a peut-être suivi ou bien il est retourné au village. Qui sait ! En venant, j’en ai croisé deux se baladant seul. Ils ont peut-être de bonnes raisons de se faire du mouron pour le canidé. Si c’était le mien, je ne m’en soucierais pas. Des cris sont poussés et des larmes sont versées. La tension est latente et l’inquiétude grandit. Ils se dirigent dans ma direction et je ne tarde pas à les croiser à deux reprises. Alors que je suis en train de récupérer mon sac, le père accroupi dans la plaine hèle ses voisins et leur demande s’ils n’ont pas aperçu un chien en divagation. Leurs relations teintées de méfiance font monter la pression d’un cran lorsque le vieil homme en contrebas leur pose la question. Le fusil est saisi par l’un des locataires de la grotte. Dans sa tête, il imagine que le père les distrait tandis que ses acolytes cherchent l’entrée du gouffre. Sur ses gardes, le fusil en bandoulière, il se retire et file surveiller la grotte. Je trouve cela parfaitement ridicule mais me garde bien d’intervenir. Je connais les uns et les autres. Pas de mauvais bougres sinon beaucoup d’incompréhension par défaut de communication. Ne retrouve-t-on pas cette attitude à l’égard de son voisin (pays ou personne)? On a toujours peur de ce que l’on ne connaît pas. Cet illustre inconnu suscite la suspicion jusqu’à ce qu’on lui adresse la parole. Voilà comment l’ignorance des uns et des autres engendrent la violence… Je le remercie avant qu’il ne s’éloigne et lui assure que j’aurais quitté la tente d’ici dix minutes. Interpellé par les grognements intempestifs de la meute en furie, son collègue est n’a pas pu résister à l’appel de la forêt. Probablement les chiens qui s’acharnaient sur un cochon sauvage ou tout autre gibier débusqué. Je quitte sans le revoir et rentre en forêt Je regagne rapidement la plage où je me suis retrouvé isolé à la nuit. J’aperçois mon sac toujours à la même place. Je décide de traverser la Bulit et partir en éclaireur pour reconnaître le chemin. Il ne m’est pas difficile de localiser le sentier sur l’autre berge. Au moment de revenir sur mes pas pour reprendre mes effets, j’entends des voix et des aboiements descendre le cours. Quelle surprise de voir patauger dans l’eau les deux frères halant le produit de leur chasse ; un vieux sanglier barbu qui m’apparaît énorme (60 kg environ). Ils sont complètement lessivés et vidés. Une liane passée dans le groin derrière les babines suffit pour le tirer avec l’aide du léger courant. Ils ont quitté en même temps que moi leur maison mais à jeun. Sans rien dans le ventre, ils en sont à leur troisième cochon sauvage tué à la lance. Deux marcassins reposent et sont à récupérer plus tard. Les chiens repèrent les sangliers. Ils les coursent jusqu'à ce que les bêtes soient essoufflées et épuisées. Il suffit alors de les harponner rapidement en empêchant la meute en furie de les déchiqueter. Je les rejoins au niveau de mon passage à gué. Le père suit à la traîne. Ils m’en proposent une épaule. J’accepte volontiers car je ne suis pas très loin du camp de base où je veux bivouaquer une dernière fois en bonne compagnie avant de me retrouver seul en forêt pour plusieurs semaines. Avec mon appareil photo, je les immortalise, debout, fiers, la lance à la main, leur trophée à leurs pieds, avec en fond le rocher aux grottes près duquel ils vivent. Lorsqu’ils découpent l’épaule au niveau du poitrail , un bouillon de sang jaillit du corps de l’animal et colore le cours. Le sang se répand par litres dans l’eau qui assure la flottabilité de la carcasse. L’animal amputé, ils continuent vers l’aval aidé par le courant comme force motrice pour le transport. Cela leur permet d’éviter la forêt et d’avoir à le porter. C’est le plus court chemin de toute façon vu qu’ils logent à côté de la Bulit. En les regardant s’éloigner, je dévore à pleine dents la viande sanguinolente et mâche les lambeaux de chair pendouillant pour égaliser le cuissot. J’aime la viande crue et je me régale.
En deux temps, deux mouvements, l’épaule pesant une dizaine de kilos, j’atteins le bivouac. Une seule personne s’y trouve. Son camarade s’est rendu à Tanjung Lokang pour faire des achats (riz et légumes) et se changer les idées. Il m’apparaît bien esseulé depuis une semaine. Un poste radio collé à l’oreille, il est content de voir arriver un peu de vie. Les Dayak croisés depuis début août excepté Yussouf sont essentiellement chrétiens à dominante catholique. Pas d’interdit au niveau de la viande de porc. Je sais déjà, les deux frères me l’ont dit, qu’Omar est musulman. Je dois prendre mes précautions et établir un feu à distance du camp. Il ne m’est pas possible non plus d’utiliser leur couteau ou tout autre ustensile qui leur appartient en contact avec la viande de sanglier jugé impure. Je n’ai besoin d’emprunter quoi que ce soit mais je ne dois pas oublier de faire attention à ne pas commettre d’impair. J’emprunte du bois enflammé pour démarrer mon BBQ dès que possible. Les insectes sont très présents et je veux éviter que les mouches ne viennent se coller à la viande. J’opte pour une fumaison et suspend l’épaule à un trépied qu’Omar m’aide à mettre en place. Je veux manger un maximum de viande pour minimiser la charge. Je me déplaçais en deux temps et j’alourdis encore la charge. Je n’attends pas longtemps. En bon carnivore que je suis, je la ronge là où la cuisson est la plus avancée. Comment résister ? J’oublie volontairement le riz au poisson. Je lui demande si cela ne le gêne pas de m’avoir pendant deux nuits à ses côtés. Je veux procéder de la même manière. A savoir reconnaître l’itinéraire et pousser mon paquetage un peu plus loin avant de revenir dormir et le quitter. Je visualise mieux le parcours avec une quinzaine de kilos seulement. Equipé des deux sacs, je suis trop chargé pour lever la tête et avoir une vision large du champ visuel qui peut s’ouvrir à moi. Si j’hésite sur le tracé à suivre, je n’ai pas besoin de déposer ma charge. Je peux aller et revenir plus facilement sur une cinquantaine de mètres avec 15 kg ; c’est moins pénible. J’emmagasine de l’énergie avant de rejoindre l’enfer vert. En restant près des chasseurs de nid toutes ces nuits, je me préserve. Je n’ai pas besoin de monter la bâche, ni allumer un feu. Un gain de temps non négligeable. J’apprends d’eux sur la façon de survivre en forêt comme eux peuvent s’amuser et s’entretenir avec moi. Ils ne sont pas vraiment actifs. Quand la nuit tombe, elle dure11h00 depuis 18h00 jusqu’à 05h00 du matin à cause de la proximité de l’équateur, ils n’ont pas vraiment sommeil. Omar, radio toujours collée à l’oreille, boit son dernier café vers 22h00. Dans tout le pays, les Indonésiens en consomment énormément. Je voulais quitter la dernière grotte frais et dispos. C’est le contraire qui est en train de se passer. Je n’arrive pas à m’endormir à cause de la radio et les agass font irruption sur la scène. Manger autant de viande rouge ne favorise pas le sommeil non plus. Je continue à la croquer au fur et à mesure qu’elle rôtit. Quand je fais le compte de mes heures de sommeil les nuits précédentes, j’ai de quoi m’affoler. Je ne sais pas si j’ai bien fait de suivre mon idée.

Mercredi 10 septembre : Départ vers 8h00 pour reconnaître et avancer mon sac sur les berges de la rivière Bungan qu’il me faudra traverser. Un itinéraire semée d’embûches car il faut constamment naviguer à la boussole. Il passe par le lit de petits cours qu’il faut remonter. Virer à droite ou à gauche direction Nord-Est. Les pieds n’apprécient pas d’être toute la journée mouillés. 100 m avant de déboucher sur la berge, j’entends un grondement et devine les flots tumultueux. Un pantalon multipoches de fabrication chinoise gagné par les mousses et lichens, accroché à un pieu me confirme que je suis sur la bonne voie. Je suis surpris par la largeur de la Bungan – signifie fleur en bahasa indonesia- et elle m’impressionne même si elle n’occupe que la moitié de son lit. Je ne m’attendais pas à voir autant de gros rochers la parsemer. En saison des pluies, 2 mètres d’eau en supplément, elle est navigable jusqu’à ce lieu-dit : Brakal. Je ne m’attarde pas. Je camoufle mon sac et l’abrite de la pluie sous un pan de rocher. Je ne pense pas que le niveau d’eau puisse en cas de pluie violente le happer. A mon retour vers 14h00, je rencontre le collègue d’Omar, revenu au bercail avec tout un panier de sardines pêchées le matin même au filet. Lui aussi me signifie qu’il veut se tenir éloigné de la viande de porc sauvage. Il commence à fumer ses poissons, début d’un long processus qui prend fin avec l’endormissement. Conséquence de leurs retrouvailles, ils conversent jusque tard dans la nuit. Je suis allongée sur ma moquette près de «mon» feu, les moustiques se montrent particulièrement agressifs malgré la fumée censée les faire fuir. Au moment ou mes deux lascars s’éteignent, voilà qu’il se met à pleuvoir. Je suis dans l’obligation de réintégrer la tente à contrecœur et m’allonger sur le brancard non occupé. Difficile d’y reposer sur le ventre. Au contraire d’eux, je ne dispose pas de moustiquaire. A 5 m du foyer, la fumée n’a aucune efficacité. Quand il pleut, les insectes sont plus nombreux.

Jeudi 11 septembre : Au petit matin, je suis impatient de quitter l’endroit. Les choses ne vont pas bon train. Alors qu’ils finissent leur riz aux poissons grillés et boivent leur café, j’en suis encore à attiser mon feu, incapable de lui redonner toute sa vigueur. Mes bûches sont humides, les leurs sont sèches. Heureusement que l’un d’eux vient me secourir tant je suis désespéré. Il lui suffit de modifier la pyramide de bûchettes et d’en ajouter des sèches pour qu’il reparte avec force. Je finalise ma cuisson tandis qu’ils déjeunent. Je casse l’épaule en deux et nettoie l’os. Je conserve le pied et l’emporte dans mon sac. Il est trop tard pour échapper aux insectes venus saluer mon départ. Mes deux amis me regardent battre en retraite devant la multitude d’intrus. Je les remercie et les quitte précipitamment emmenant avec moi un essaim impressionnant de guêpes accrochés à mes guêtres.

Cette fois-ci, je suis seul pour une période que j’estime à 3 semaines. Je dispose de réserves de nourriture pour un mois. Avec Robert, nous avions une autonomie de quinze jours chacun mais je suis seul. Je quitte le monde humain pour celui du végétal et minéral. Un désert dans lequel l’eau, élément liquide sera omniprésent. Pas de soucis à ce niveau là. Un monde où les bêtes, peu importe la taille, de la fourmi géante à celle d’un ours ou d’un léopard clouté, vont rythmer mes jours et mes nuits. Vivre à l’heure solaire en totale équilibre avec mon rythme biologique. A l’écoute de mon corps. Il est le meilleur guide qui soit. Je pars sans montre mais avec une boussole, ce qui est préférable. Je marque la date sur mon journal de route, point de repère au cas où je disparaîtrais. Si je ne le fais pas, je vais perdre mes repères dans le temps. Autant prendre mes précautions dès le début de mon isolement. Raymond Maufrais en Guyane Française et le Suisse, Bruno Manser au Sarawak –la partie Malaise de Bornéo- ont disparu sans laisser de traces et n’ont jamais été retrouvé. Chemin faisant, j’atteins mon point de chute près de la rivière et m’y établis pour deux nuits.

Vendredi 12 septembre : La nuit a été excellente débarrassé de mes oiseaux babilleurs nocturnes. Dormi comme un loir. J’aime cet endroit qui la domine dans le fond de son lit. Je finis le pied de porc au petit-déjeuner avant de me risquer à l’eau. En fait, je me suis déjà baigné pour échapper aux insectes, la sueur perlant sur mes épaules à cause des calories absorbées. Je croise le cours en sautant d’un rocher à l’autre. Je tâtonne, le corps dans l’eau et parviens à le franchir bien que le courant soit fort. J’imagine la puissance qu’il peut avoir en hautes eaux. Sur la rive opposée, un lieu de bivouac moins intéressant que celui où je me suis établi. Il est moins exposé au soleil donc plus humide. Il n’y a pas de bois sec de réserve et apparemment nulle part où il est facile de s’en procurer. Après une marche en forêt sur une portion relativement plate et un bout sur la plage de cailloux, le chemin prend de l’élan et de la hauteur surplombant une Bungan rétrécie qui prend des allures de torrent alpin. Un à-pic d’une trentaine de mètres, ce qui rend la progression plus risquée et dangereuse du à l’escarpement de terrain. Le ruban de terre sur lequel je pose les pieds l’un devant l’autre ressemble à un fil suspendu dans les airs. Profession : funambule. Le fil ténu est humide et glissant. Il est cassé par endroit à cause de glissements de terrain. Avec beaucoup de précautions, je n’y pose que la pointe du pied ou le talon à l’instar des petits rats d’opéra. Un seul sac à porter facilite mes opérations de repérage. J’imagine mal emporter plus sur ce tronçon. Je ne m’attendais pas à regarder la Bungan de si haut. Impressionnant ce petit sentier muletier qui domine le cours rugissant. Les rochers épars sur les berges se sont resserrés jusqu’à former un goulot d’étranglement dans lequel s’engouffre l’eau. Empilés les uns sur les autres, ils s’érigent en rempart et dévient le cours du lit. En aval, la rivière étale paresse mollement dans l’attente des pluies pour faire le plein. J’ai sous mes pieds un torrent impétueux que rien ne pourrait retenir. Furieux, il ne garde pas en bouche le corps étranger mais le rejette et l’éjecte avec violence sur les parois où il se fracasse. Ondulant légèrement, le ruban cède parfois le passage à un affluent. Petit cours afférent calme et tranquille ou petit monstre déchaîné faisant preuve de mécontentement. Habitués à franchir les obstacles, il bondit de roche en roche et offre le spectacle de mini cascades. Ces petites chutes digne d’un décor de conte de fée sont prêtes à vous accueillir pour un moment de détente fabuleux. A vous de saisir l’opportunité le temps d’une douche rapide ou d’un bain, les fesses posées dans une cuvette naturelle polie dans la roche. Je suis simplement vêtu d’un bermuda gris à rayures et d’un boxer-short (sorte de caleçon), héritage de Robert mis à l’épreuve de la forêt. Les deux sous-vêtement usés jusqu’à la trame présentent les mêmes défaillance vu du dessous. J’en garde deux propres en réserve pour les enfiler le soir après le bain et éviter les irritations. Chaque fois que j’enjambe des feuillus ou des petits arbustes, c’est un jeu d’enfants pour les «petites suceuses» de s’accrocher et viser les parties sensibles à peine couvertes. Je me fais bouffer par les sangsues qui arrivent à passer à travers les fibres du tissus. Pas étonnant quand on sait qu’elles sont capables de traverser le cuir des chaussures. Une légère brûlure au point de succion m’avertit qu’une intruse s’est immiscée dans l’entrejambe qu’elles remontent jusqu’aux testicules. La peau des parties intimes est plus sensible que celles des jambes. Ce n’est pas le fait de me faire sucer qui me gêne mais il y a d’autres façons de s’annoncer. Je suis obligé à chaque fois que cela se produit de m’arrêter. Après avoir déshabillé l’organe visé, je la pince si fort entre le pouce et l’index qu’elle lâche prise. Victorieux, je l’écrase du doigt sur l’écorce d’un arbre ou une pierre. Le bourreau commence par presser la tête sur la surface dure et glisse lentement le long du corps gorgé qui se gonfle sous la pression et éclate éclaboussant tout autour. C’est mon sang après tout et je suis libre d’en faire ce que je veux ! Voleuse. Autre mode d’emploi : Je tire sur la queue très élastique qui se rétracte jusqu’à ce qu’elle cède. Je la retrouve faisant la belle sur l’annulaire. Je profite du moment ou elle fait le dos rond et prend son élan pour l’envoyer dans les airs d’une pichenette du pouce. Je les détache et le sang coule le long de la jambe. J’en écrase tellement au niveau du pelvis que j’en ai les cuisses souillées comme si j’étais en période de menstruations. On se sent un homme un peu différent en faisant ce genre d’expérience. On compatit au malheur de la gente féminine. Les autres parties du corps les attirent moins. Elles s’agglutinent de préférence s’il y a une plaie ouverte non cicatrisée. Je repense au pantalon déposé sur un tronc étêté. Il n’a pas été placé là par hasard. Je suis décidé à m’en servir pour me protéger des sangsues. Je donne d’habitude mes effets au cours de mes périples mais cette fois-ci, j’hérite et je reçois. Je remercie mon bienfaiteur anonyme. L’idée de marcher les jambes couvertes me déplait à cause de la chaleur mais l’excuse n’est pas valable. Je dois respecter et préserver celles qui me portent. Leur état de santé est en jeu.

Voilà plus de deux heures que je remonte la Bungan et j’aurais déjà du atteindre un lieu-dit : Batu abang (signifie pierre rouge). Au lieu d’un rocher, c’est un arbre rouge gigantesque qui s’offre à ma vue. Je suis impressionné par l’énormité du tronc. L’écorce couleur bois se détache par lambeaux et plaques imposantes laissant à nu le cœur rougeâtre. Il est couché en travers du fleuve. Je l’utilise comme pont pour aller d’une rive à l’autre. Debout, les mains écartant les branches qui obstruent le passage, je ne vois rien venir devant depuis mon point d’observation. Entourant la souche gît un amoncellement d’arbres mineurs abattus ou entraînés par le géant dans sa chute. Je dois ouvrir une fenêtre pour pouvoir rejoindre le chemin de l’autre côté. Je tords et casse les branches inutiles sur mon passage. Personne n’est pas passé depuis longtemps ou bien l’arbre est tombé récemment. La première hypothèse me semble la bonne. Après avoir évité les pointes de bois, chevauché, marché ou sauté sur les troncs, je retombe sur mon fil conducteur. Je dois encore faire un aller-retour pour reprendre mes sacs car je les ai laissé derrière moi. Bien plus facile de jouer les Robin des bois les bras libres. De nouveau en pleine possession de mes moyens, j’avance et longe l’eau vers l’amont. La berge est une suite de petites criques de sable entrecoupée d’avancées rocheuses, la plupart facilement franchissables. J’aperçois une pile remarquable à sa couleur bleue, de celles utilisées par les locaux pour leurs transistors, preuve que d’autres m’ont précédés. Un peu plus loin, je bute sur un tuyau qui a du servir à aspirer le limon pour l’orpaillage. Je ne suis pas dupe. La prochaine halte est proche mais les deux indices ont pu être portés, charriés et déposés par les eaux. J’ai l’impression d’avoir perdu le fil d’Ariane. Je dois penser à revenir si je veux dormir au sec. J’avise une paroi de rocher dans lequel je peux nicher mon sac. Je joins l’acte à la parole. Le mur surplombe un bassin naturel d’eau douce dans lequel foisonnent à fleur d’eau des poissons énormes. Des centaines dont la taille varient de la longueur d’un avant-bras doigts pointés au bras complet épaule inclus. Un lieu idéal pour une partie de pêche lorsque je repêcherai mon sac demain. Je ne peux pas laisser passer une telle chance sans tenter une prise. Je ne dois pas être loin du prochain bivouac mais fais aussitôt demi-tour. Je ne veux pas être pris de court par la nuit et je rejoins la rive opposée de mon pied à terre à temps. Gracias a Dios. J’ai reconnu le chemin et avancé d’un bon bout depuis ce matin. Debout sur les bords de la Bungan, le carnage continue au fur et à mesure que je me dévêts. Je retire une sangsue collée sous l’aisselle droite mais ce sont les guibolles rougies, leur terrain de prédilection. J’en détache plusieurs ancrées au même point de succion. Elles sont regroupées là où la peau, après une piqûre d’insecte, s’est effacé au profit d’une légère infection. Je constate les pertes en sang, les pieds dans l’eau pour la décoloration. Je me baigne entièrement. La toilette finie, je dois passer de l’autre côté en prenant toutes mes précautions. Pour que cela soit plus facile, j’abrite mes brodequins et chaussettes mouillés contre un rocher et chausse mes tongs déposées ce matin sur un autre. Ce serait idiot que je chute en fin de journée. Malgré l’obscurité, j’avance pas à pas. Je n’hésite pas à courber le dos et poser les mains sur les roches pour consolider ma position. Nullement envie d’aller à la baille mais plutôt celle de rentrer «sain et sauf à la maison».
Ce soir, ce sera du riz au poisson. Cinq autres de taille moyenne m’ont été donnés. J’en prépare seulement trois bien que je ne puisse pas garder les deux autres longtemps à cause de leur mauvais état de conservation. A la lueur du feu, je trie les arrêtes, les poissons ayant été jetés dans le riz qui cuisait. Je mange très lentement. J’ai le temps.
Avant de m’allonger, je revigore le feu et le fournit en bois humide qui séchera pendant la nuit. A proximité, un placet utilisé pour sécher les bûches éclatées lorsque l’on allume le feu dessous. J’y accroche ce que je portais aujourd’hui. Si je n’avais pas nettoyé les vêtements souillés de sang, j’attirerais encore plus les insectes prédateurs et carnassiers avides de sucer de nouvelles saveurs. Le sang et l’urine sont très appréciés. Tous les liquides endogènes sont des priorités. Je ne donnerais pas chair de ma peau si je venais à chuter et tomber dans l’inconscience quelques heures. Le corps à peine refroidi, les orifices sont envahis et nettoyés de toute chair.
Mon bermuda, une matière inflammable, prend feu. Avant que cela ne s’étende à la serviette de toilette et T-shirt, je l’attrape par le cordon et l’éteins en le piétinant. Il était déchiré au niveau des fesses mais c’était le seul dont je disposais. Dans le feuilleton «Au Panthéon des Grands Brûlés», il est la première victime d’une longue série. Le pantalon long chinois mis à sécher sur un rocher constitue ma seule solution de rechange. Conscient qu’il est une pièce maîtresse pour préserver l’état de mes jambes, cela me conforte dans l’idée que c’est un cadeau de la providence. Le bermuda se consume très vite et je réussis tout juste à conserver le cordon dont je peux me servir pour attacher une bretelle défaillante de mon sac.

Samedi 13 septembre: Il pleut toute la nuit et encore ce matin. Le chemin sera plus glissant. Il y a deux jours, lorsque je faisais chemin vers Brakal, j’ai repéré un os à moelle que j’ai mis dans mon sac dans le but de le cuisiner. Il est tout sec et date peut-être du précambrien mais va donner du goût à ma potée. A l’aide d’un caillou, je le brise sur un rocher, en extrait la substance vitale commune à toute charpente osseuse et la jette dans l’eau bouillante. Je n’oublie pas d’y ajouter de l’ail et des piments. Bien que hors d’âge – plusieurs années ? – et solidifiée – pas encore pétrifiée ! – je me régale véritablement avec cet ingrédient fourni par la providence. J’avale maintenant en quantité ce que j’avais l’habitude de cuisiner pour deux. Une tasse à café me sert de mesure et j’en consomme entre trois et cinq par jour étalé sur deux repas. Tant que je n’ai pas besoin d’ouvrir mes conserves de poisson, je les garde en cas d’urgence ou pour la fin du voyage.
Le ciel s’éclaircit. Le temps de sécher la bâche, je quitte toujours plus tard que prévu. Les mouches me harcèlent dès les premières heures. Innombrables, elles sont agressives. Je suis obligé d’éloigner le sac et les chaussures puis dans un deuxième mouvement la bâche que j’attache sur le dessus. C’est le même scénario tous les matins. Un seul leitmotiv : rester Zen. Ne pas s’énerver, ni tenter de les chasser, l’envahisseur est supérieur en nombre. Ne pas faire de gestes brusques qui puissent les effrayer. Se déplacer lentement, faire des mouvements amples. Ne pas baisser les bras soudainement, ni s’agenouiller rapidement car elles se retrouvent prisonnières sous l’aisselle ou dans le creux poplité. Affolées par l’étau qui se resserre, elles piquent pour se défendre. Mes épaules et le haut du dos, les parties les plus sudorifères, sont les plus appréciées. J’en suis victime une vingtaine de fois quotidiennement. Je supporte bien le traitement mais une centaine de ces piqûres pourrait m’être fatal. Mon sac reste ma propriété même si elles l’occupent pacifiquement. Les bretelles et le dos du sac sont ce qu’il y a de meilleur et de plus prisé car elles exhalent la sueur. Je dois les en chasser lorsque je veux paqueter. Je le secoue d’abord du bout du pied. Lorsqu’il y a moins de prédateurs, dans le cas ou ce sont des fourmis, je l’empoigne et le déplace d’un mètre pour le débarrasser des intruses.
Je quitte enfin sous les rayons du soleil qui commence à pointer et gagne rapidement l’antre où j’ai abrité mon sac. Je lance le fil dans la piscine, un morceau de couenne grillé accroché à l’hameçon. Je dispose de deux lignes, l’une montée avec un gros flotteur blanc et l’autre plombée. Des pierres les retiennent à la berge. Une heure plus tard, je déchante de pouvoir attraper les gros poissons vivaces et fugaces qui me narguent. Au moindre mouvement, un coup de queue puissant les propulse hors d’atteinte de l’autre côté du bassin. Ils disparaissent aussi dans les eaux profondes.
J’ai marché trois heures ce matin et je ne dois pas être bien loin d’une point de confluence. Je choisis de quitter comme je suis arrivé. Je ne doute pas de ne plus être très loin d’un bivouac. Je ne remets pas le sac à l’abri, là où la roche forme une concavité surplombant le cours. Je le coince tout simplement entre deux rochers, le cul dépassant sur la petite plage de sable fin. J’oublie de ranger le short en jeans, la bouteille vide de solvant et le papier journal que je dépose et glisse sous la roche au-dessus du paquet ficelé. Je laisse les appâts en place espérant qu’avec le temps, les poissons mordront à l’hameçon.
Bien que mon état de fatigue commence à se faire sentir, je poursuis ma progression vers l’amont de crique en crique. Le véritable chemin doit se trouver sans nul doute plus à l’intérieur des bois mais je ne veux pas escalader la roche. Je rencontre pourtant un os. La rivière capricieuse se resserre en entonnoir et la paroi abrupte à la verticale ne me laisse aucun choix ; soit demi-tour et contourner, soit mouiller les chaussures en cuir, traverser les flots tumultueux et reprendre pied sur l’autre rive plus accessible. Le crépuscule n’est pas loin. Dans l’empressement, je plonge les pieds dans l’eau impatient de rencontrer un endroit décent pour la nuit. Je veux pourtant les garder secs pour les préserver ainsi que le cuir. Je m’agrippe aux rochers effleurant l’eau pour ne pas céder au courant puissant. Je passe devant plutôt que derrière ; ce qui permet de m’asseoir et faire une pause éventuellement si j’en ai marre de lutter pour garder l’équilibre. Je continue rive droite vers l’amont. Un fracas assourdissant de chutes d’eau me parvient à l’oreille. Je crains le pire. Me retrouver entre deux eaux quand j’avise un passage qui me permettrait de retrouver l’autre rive. Je n’hésite pas bien qu’il y ait de la profondeur. L’eau jusqu’à la taille, je m’avance et m’élance pour attraper et chevaucher une tête de rocher. J’en oublie ma boussole qui craint l’humidité dans ma poche gousset. Plus de peur que de mal car j’ai fait un bref passage dans l’eau. Elle est sauve. 50 mètres avant les rapides, je préfère biaiser et couper court à travers bois. Il n’y a plus de falaise mais un versant pentu ombragé de frêles arbustes. Je démêle les fils inextricables qui jonchent le sol et suit intuitivement celui qui me mènera vers l’écheveau. Le bruit des chutes d’une hauteur d’un mètre avec un faible débit aide à l’orientation. Deux filets d’eau ont érodé la roche et déroulent leur ruban argenté dans un bouillon d’écume. En saison des pluies, les remparts que forment les roches doivent se transformer en rapides. Sans répit, en haut de la cascade, je persévère et vais de l’avant sans atteindre mon but. Pris par la nuit, je dois m’arrêter. Je choisis le chapeau d’un énorme rocher barrière sur lequel je dois transiter pour continuer. Je fais le pari qu’il ne pleuvra pas mais ai-je le choix ? J’ai tout juste le temps de collecter dans la noirceur suffisamment de bois humide que je lance au pied du rocher puis ensuite dessus. Je n’ai pas dans l’idée de cuisiner tellement je suis épuisé mais le feu peut me protéger des moustiques. Je réussis à l’allumer mais il ne s’affirme pas à cause de l’humidité. Etalé sur la bâche plastique pour meubler les uniformités de la roche, la moquette tente d’égaliser et modeler une plate-forme de sommeil à ma taille. Le corps recroquevillé légèrement tourné sur le côté, je suis étonné de trouver le sommeil. Réveillé à deux ou trois reprises comme d’habitude pour initier du haut de mon repaire une petite chute temporaire, je me lève frais et dispos au regard de mes conditions d’hébergement.

Dimanche 14 septembre: Rencontre avec un solitaire. J’ai du dormir tard car il fait déjà jour lorsque j’ouvre les yeux. Je rallume le feu qui n’en finit pas de mourir et prépare mon petit-déjeuner. J’ai hésité à partir à jeun mais je n’ai pas souper hier soir. Autant cuisiner dans l’endroit où je vais passer la nuit que je suppose proche. Je ne peux pas me tromper deux jours de suite ! Je me rafraîchis le corps et le plonge dans l’eau pour me débarrasser des mouches. Je me savonne et me tiens assis sur le bord de la Bungan sans me rincer. Le savon agit comme répulsif et tient les insectes à distance. Je finis ma potée de riz au sanglier tandis qu’une colonne de mouches s’élèvent depuis la rivière jusqu’au point où j’ai uriné à trois reprises cette nuit. Les unes sur les autres, elles butinent la roche, leur présence étant provoquée par la prospection du liquide uréique. Elles aspirent les sels et minéraux, principaux constituants de l’urine, lesquels ont coulés tel un ruisseau du point d’émission vers le bas jusqu’à se jeter dans la Bungan. Les grosses mouches noires agglutinées en colonne sont si bien ordonnées du haut vers le bas qu’elles me donnent l’impression de voir un immense bâton de pèlerin (3 m de hauteur) accolé au rocher. Je suis nu lorsque je bouge mes affaires le corps entier –surtout le torse – envahis par une multitude de mouches. Les bretelles de mon sac à dos ne sont plus visibles tant elles sont nombreuses. Je les dérange. Elles déplacent leur centre d’intérêt et m’assaillent par milliers. Si elles se retournaient contre moi et se vengeaient, je serais voué à une mort certaine. Je m’habille par précaution plus que par nécessité avant d’attacher mon baluchon sur le haut du sac. Chaque matin quand j’arrache mon sac du sol, j’ai l’impression que je leur vole quelque chose qui leur appartient. Leur suis-je redevable de quelque chose sinon de leur avoir mis l’eau –mon urine en l’occurrence – à la bouche ? Comme si je présentais un biscuit à un animal sauvage et que je lui retirais dans l’instant. Je l’ai fait saliver, mis en appétit ses sens et n’ai fait qu’augmenter son désir pour la gâterie. Je finis par m’éloigner suffisamment pour me retrouver seul. La rivière devient familière et facilite ma progression comme si je l’avais apprivoisée. J’ai le sentiment d’avoir bien entamé l’après-midi lorsque je décide de faire une pause sur la plage de galets. Le sac décroché de mes épaules pour les reposer, je suis assis sur un rocher dos au fleuve et tourné vers la forêt. Je viens de remplir ma timbale d’eau courante pour étancher ma soif et développe délicatement le papier d’un bonbon, histoire de reprendre un peu d’énergie en assimilant du sucré. Quand, soudain sur ma gauche, à une cinquantaine de mètres de distance, un vieux sanglier barbu sort nonchalamment du bois et descend sur la plage. Je suis arrivé de la même façon. Je suis en communion avec la nature et ma première pensée est pacifique. Sans remarquer ma présence, il s’avance lentement dans ma direction, le groin baissé à la recherche d’une nourriture providentielle. Qu’il serait merveilleux qu’il suive son chemin sans crainte et continue sa ballade exploratoire comme si je n’existais pas ! L’ordre naturel des choses ; simple osmose ou fusion totale avec la nature. Je viens de quitter un milieu de chasseurs et l’image du dernier sanglier abattu s’impose dans mon esprit. Par association d’idée, en référence au sacrifice de l’agneau d’Abraham, je prie le bon Dieu de m’envoyer un morceau de viande. Je réitère souvent cette demande de nourriture providentielle et miraculeuse lorsque je suis isolé dans certaines régions reculées et inhospitalières du globe. Au moment ou m’effleure cette pensée négative – celle de tuer pour manger – l’animal visé lève la tête et flaire le danger. M’a-t-il senti ou mon intention de l’abattre a-t-elle mis ses sens en alerte ? Il ramasse dans sa gueule un fruit de la forêt et s’en retourne calmement sans s’affoler. Je suis déçu qu’il n’ait pas osé se risquer devant moi. Déçu d’avoir donné libre cours à ma pensée et laisser mes impulsions d’être sauvage et sanguinaire émerger et m’occuper l’esprit. L’irruption du sanglier a été brève et il est temps de mettre un terme à ma pause. Je remonte dans les sous-bois en marge du cours. Je traverse deux petits confluents difficiles à dompter aux débits important vu l’étroitesse de leur lit. Le second offre le spectacle d’une petite chute au pied de laquelle ont été érodés des rochers en forme de baignoire. Un peu plus loin, ma chaussure cède. En fait, c’est la ficelle qui retient la semelle qui vient de casser. Je m’assois pour la rafistoler. Face à la Bungan qui forme à cet endroit une poche d’eau profonde, j’aperçois les pieds dans l’eau sur l’autre rive un perchoir. Je m’interroge sur l’utilité d’un tel échafaudage et le confond même avec un plongeoir. Je n’en crois pas mes yeux quand je baisse la tête. Des centaines de poissons impressionnants par leur taille folâtrent et se côtoient dans le bassin. Le promontoire sert à lancer la mouche ou le filet. Dire qu’un seul de ces poissons dans mon assiette ne dépeuplerait pas le vivier et me nourrirait pendant deux jours ! Après une centaine de mètres, j’aperçois la Bungan capricieuse qui déboule dans une gerbe d’écume. Des encoches dans la terre détrempée me permettent de passer deux petits escarpements dus à des glissements de terrain. Avant le second, le cours forme un Y dont le cœur m’apparaît comme un bel endroit sauvage pour me poser. Il m’attire irrésistiblement et je veux l’explorer. Pour le reconnaître, je dois traverser la Bungan plus en amont, là où elle est plus calme. Contrariée d’être muselée et limitée par une succession de roches, elle s’élance et force avec puissance le passage vers l’aval. Cela contraste singulièrement avec la nonchalance qui émane de l’autre branche étalée dans son lit. D’égal débit et largeur, je ne suis pas absolument certain laquelle je dois remonter vers l’est. Un peu plus loin, je saute de pierre en pierre, traverse le faible niveau d’eau et inspecte la pointe de l’îlot. Pris entre les mâchoires d’une tenaille prête à se refermer sur moi, l’endroit surélevé m’apparaît comme un havre de paix et de tranquillité après ces deux derniers jours de crapahutage. Du fait de sa position, il m’offre une protection contre les animaux. Le caractère violent de la Bungan qui se révolte n’est pas pour me déplaire. Si nous étions deux, il faudrait élever la voix pour s’entendre. Libéré de mes chaussures, je cherche mon sac déposé sur la rive et reviens m’installer pour deux nuits. Je sais en avance que c’est un lieu qu’il me sera difficile de quitter. Je jète la bâche sur la faîtière et l’ajuste avant de ramasser du bois. Elle abrite le foyer et le protége des intempéries. L’espace vital est idéal pour une personne seule. On peut presque se tenir debout sous l’abri. Placée un peu trop haute à mon goût, la faîtière laisse les flancs latéraux ouverts. Une haie de branchages à chaque bout empêche la pluie de pénétrer et mouiller les effets. Fricot rapide et dodo. L’orage qui menace finit par éclater.

Lundi 15 septembre: la vie des animaux. Il a beaucoup plu pendant la nuit. La bungan, dont le niveau d’eau a monté, bouillonne et les moutons franchissent les roches garde-fou. Il fait très frais du à ma position toujours plus en amont du cours et l’eau brassée augmente le degré d’humidité. Sous ciel couvert, je ne reste pas longtemps dans l’eau. Il y a moins d’insectes ; ce dont je ne me plains pas. J’avale un petit déjeuner consistant avant de retourner chercher mon sac. Un vilain pressentiment me parcourt. Les pluies n’ont-elles pas inondé la plage et emporté mes effets. De fil en aiguille, je repasse les deux glissements de terrain et les rus bondissants que je laisse sur ma droite. Je quitte la plage de galets et remonte le sentier emprunté par le sanglier hier soir. J’ai parcouru 800 mètres et je m’arrête net, stupéfait. Au pied d’un arbre, dépasse l’arrière-train d’un cochon sauvage qui ne m’a pas entendu approcher. J’en suis distant de 3m et je n’ose bouger par peur d’éveiller ses sens et le mettre en alerte. Il y a peu de vent dans la forêt et je suis peut-être à contre-vent. Le voilà mon morceau de viande dont j’ai fait la demande expresse à l’autorité divine ! Mon vœux est presque exaucé. A moi d’avoir le courage de le tuer pour me l’approprier. Je cherche à proximité un bout de bois pour l’assommer. Je n’ose à peine bouger. Comme si cela ne suffisait pas, je saisis de la main droite une pierre et tient ouvert, entre mes lèvres, mon petit canif de marin à la pointe recourbée. Inutile de vouloir lui trouer la peau ou trancher la jugulaire avec cet instrument insignifiant. Je me sens léger pour m’attaquer aussi peu armé à la peau coriace d’un solitaire. J’escompte l’effet de surprise et mon poids (80 kg) pour le neutraliser. Un petit problème technique se pose pourtant. Le corps gît allongé sur ma gauche masqué en partie par un arbre qu’il me faut contourner pour le frapper de la main droite. Or je suis gaucher. Je m’accorde un court temps de réflexion pour changer de stratégie. Je laisse tomber la pierre, le couteau toujours dans la bouche, et empoigne à deux mains la massue pourrie par l’humidité. Je peux frapper plus fort mais je crains le canif ouvert car il peut me blesser si l’animal venait à gigoter et que je perde le contrôle de la situation. Ce serait dramatique car l’infection serait certaine et mortelle tant le milieu tropical inhospitalier ne favorise pas la cicatrisation. Je suis impatient d’en finir et passe à l’action. D’un bond sur le côté, j’abats ma massue de fortune qui cède au contact du groin de l’animal qui ne bronche pas. Il n’a pas cherché à s’enfuir ou s’échapper. Il a à peine bougé ou esquissé un mouvement. Il m’a plus l’air endormi qu’assommé. Je le contemple et reconnais le vieux porc croisé la veille au soir sur les bords de la Bungan. Notre lieu de rencontre est tout proche. J’inspecte l’animal au cas ou il y aurait des traces de blessures. Aucune n’est visible. Pas d’écoulement suite à une balle perdue, un coup de lance mal assuré ou des morsures de chiens à ses trousses. Il n’a pas été pourchassé et n’est pas venu mourir à bout de souffle après une course poursuite. Je suis à plusieurs jours de marche d’éventuels chasseurs hormis les prédateurs naturels du sanglier. Encore vivant bien qu’inerte, il n’apparaît pas malade, ni infesté de parasites. Je ne trouve pas d’explication rationnelle. A-t-il goûté la noix, celle qu’il a ramassée dans sa gueule, celle qu’il ne faut pas consommer dans les trois jours sous peine de devenir «fou» ! Ou bien un autre fruit ou végétal de la forêt qui anesthésie les sens, endort le cerveau et «drogue» pendant quelques heures avant de revenir à la réalité. Je n’ai pas de réponses. Après notre rencontre est-il venu mourir sur le chemin ? S’est-il «sacrifié» pour exaucer ma requête divine ? Je ne sais pas quoi penser. Comment meurent les vieux sangliers ? Je décide de lui donner une chance et lui propose un marché. Puisque je vais chercher mon sac, je dois repasser dans l’après-midi. Je verrais bien en tant voulu dans quel état sera mon protégé. Dans la même position ou peut-être aura-t-il décampé après avoir repris ses esprits. Je conclus et lui avoue que s’il a rendu l’âme, je découperais une épaule et l’emporterais pour la rôtir.
Mon sac est plus loin que je ne le pense. J’ai du marché toute la journée hier pour atteindre le bivouac où je suis installé. Je n’ai pas intérêt à lézarder et suis inquiet pour mes affaires. Sous le couvert végétal de la canopée, les singes nombreux notent ma présence et poussent des cris. Ils m’accueillent et saluent mon passage en me jetant des branches. Ce sont d’excellents viseurs et je dois prendre garde à moi. Je les devine mais ils demeurent invisibles et hors d’atteinte. Dans un coude de la rivière, j’entrevois deux civettes qui filent dans les bois l’une derrière l’autre. Quand j’atteins l’endroit inondé, le gros flotteur blanc qui porte bien son nom me saute aux yeux. Réussissant à se maintenir en surface dans une zone de tourbillons, il émerge au milieu de branchages qui le retiennent prisonnier. Le fil de pêche les a stoppé dans leur course et empêtré, sa blancheur détonne sur celles couleur ocre des eaux boueuses charriant le limon vers l’aval. Les deux pierres qui le retiennent sont sous une cinquantaine de centimètres d’eau. Idem pour la bobine de 120 km de fil de pêche complètement noyée sous le déluge. Je la relève bredouille. J’ai perdu l’hameçon. J’enroule mes lignes et cherche le sac au dessous du niveau d’eau entre les rochers. Je me suis déjà fait une raison et ne compte pas le retrouver. Il a disparu. Je respire car c’est autant d’énergie économisée qui me servira autrement. Dommage d’en avoir gaspillée tant pour l’apporter jusqu’ici et le perdre. Quel soulagement de pouvoir continuer plus léger ! Je pense qu’après quinze mois de voyage – parti depuis juin 2002 – je n’étais plus suffisamment frais pour entreprendre cette traversée. Je peux effectivement considérer que je suis au bout du rouleau. Seul point négatif et raison valable qui aurait pu m’empêcher de commencer ce périple. Les autres paramètres – préparation minutieuse et la période idéale (fin de la saison sèche, moment ou les rivières sont à leur plus bas niveau) – m’incitaient à la marche et ne pouvaient plus me faire reculer. De décembre à mars, il est impossible de se déplacer.

Un rapide coup d’œil autour de moi et je l’aperçois gorgé d’eau, ballotté derrière une retenue d’eau. Des roches ont délimité un périmètre et l’ont empêché de partir à la dérive. J’étais persuadé qu’il avait été emporté par les eaux. Je suis sidéré car je le retrouve quelques mètres en amont de la niche où je l’avais placé et 80 cm plus en hauteur. Le fait qu’il ait reculé peut s’expliquer par la zone de tourbillons mais difficile de comprendre comment il a pu intégrer ce petit concile de pierres. Je le tire de l’eau. Tout mouillé, il pèse plus du double (13 kg au départ), véritable fardeau. Je me suis réjouis trop vite de sa disparition. Sur le parcours en venant le récupérer, j’avais pris la résolution de me séparer de certains effets que je comptais brûler et déposer les cendres au Panthéon. Avec ses coutures à toute épreuve, le short en jeans malgré ses poches profondes jugé trop lourd à porter figurait au premier rang des victimes. La perte est douloureuse car je ne peux pas faire le deuil du disparu. Une disparition est toujours plus douloureuse qu’une crémation. On ne sait pas ce qu’il advient du sujet. Cela suscite des inquiétudes et les questionnements restent sans réponses. Il peut par exemple être arrêté dans sa course vers l’aval et rencontrer un obstacle. Il peut croiser un bras curieux qui le repêche et vide ses poches. On comprendra qu’il appartenait au Français qui a quitté le village il y a quelques jours. Qu’est-il advenu de lui ? Comme il n’est pas prévu que je repasse par mon point de départ, des inquiétudes naîtront. Je ne me rappelle pas avoir laissé dans les poches des objets vitaux qui me soient indispensable pour le bon déroulement de ma traversée et dont ma survie pourrait dépendre. Je me souviens de la série de carré plastique découpé dans du jerrycan et tenus par un élastique ainsi qu’un tube de vitamine C contenant 6 à 8 cachets à croquer et un antidiarrhéïque, propriété évidente d’un occidental. Certains se souviendront peut-être m’avoir vu le porter. Les deux quotidiens dont le titre évocateur porte le nom de la rivière Kapuas dans laquelle se jette la Bungan, sont retournés à leur point d’impression Pontianak quelques mille kilomètres en aval. Vive la liberté de la presse ! A moins qu’ils n’aient été saisis par une main avide de lecture. Ils donneront une bonne excuse à quelqu’un de les lire. C’est rare quand je vois les Indonésiens feuilleter le journal et encore moins d’avoir un livre sous les yeux. Quant à la bouteille, elle rejoindra anonyme la multitude d’immondices à la dérive sur le fleuve et dont est couverte toute l’Indonésie. Elle ne se distinguera pas des autres car aucun S.O.S n’a été glissé à l’intérieur. La conscience écologique chez les Indonésiens est absente. Pour avoir couvert une bonne partie de cet immense archipel, je dois avouer que leur attitude est vraiment irresponsable. Je doute et désespère de les voir changer de comportement vis-à-vis de leur pays magnifique. Je suis sans espoir de les voir prendre conscience de la beauté des paysages dans lesquels ils évoluent et dont ils encouragent et participent à la destruction lente. Est-ce du à une carence dans l’éducation scolaire ? Leur grand nombre d’habitants au km2 n’excuse rien au contraire. Si l’on compare le Sarawak (Malaisie) et le Kalimantan (Indonésie), elle tient en deux mots : propreté/saleté. Maladie incurable, les causes de la malpropreté ne peuvent être éradiquées.

Je dois réduire le contenu de mon sac afin de diminuer le poids. Je l’ouvre. Je dépose le bois et les livres scolaires mouillés ramassés à Tanjung Lokang et garde les vêtements trempés. Je le ficèle et demi tour marche. Je retrouve mon solitaire dans la même position où je l’avais placé. Il était en travers de mon passage. Je l’ai tiré par la patte pour l’allonger et le coucher plus confortablement. Sans doute mon côté compassionnel m’a-t-il poussé à agir ? Il est toujours vivant. Les mouches commencent déjà à lui pondre dans la bouche et donneront naissance à des vers qui ne tarderont pas à l’envahir de l’intérieur. Les fourmis ne restent pas inactives. Elles l’envahiront dès qu’il sera éteint et qu’il commencera à refroidir. Je suis prêt à passer à l’acte – lui découper une épaule - mais la nuit est proche. Je ne veux pas me retrouver coincé dans l’obscurité. Je reviendrai demain matin voir ce qu’il en est. Non loin du point de rencontre avec le solitaire, je tombe sur un babouin male adulte. Est-ce un lieu de rendez-vous, un parc animalier ou une réserve naturelle ? J’atteins tout juste la berge au niveau du camp à la nuit. La Bungan est déchaînée à cause de la brusque montée des eaux suite à l’orage de la veille. Elle était relativement calme ce matin et je suis surpris de cette réaction tardive. Si je m’attendais à ça après une telle journée ! Je n’ai pas d’autre choix que de la traverser si je veux regagner mon repaire. Les risques de chuter et d’être emporté ne sont pas négligeables. Elle occupe toute la largeur de son lit et je dois désespérément lutter contre le courant qui m’arrive jusqu’à mi-cuisse pour ne pas perdre pied. Je réussis sain et sauf à regagner le bivouac. A de menus détails, je soupçonne un visiteur indélicat de s’être introduit sur mon lieu de vie et d’avoir déplacé certains objets. Le feu est vivant et je l’attise pour cuisiner. J’ouvre le ballot de linge, l’essore pièce par pièce et le laisse s’égoutter, étalé à même le séchoir prévu pour le bois. Je n’intercale ni papier journal, ni vieux chiffons pour le protéger de la fumée. Rincé, je me couche.

Mardi 16 septembre: J’obtiens un joli design zébré. Légèrement espacées et prévues pour sécher le bois, les baguettes ont noircis les vêtements dans un style très bagnard. Elles ont imprimées les maillots avec des rayures symétriques verticales ou horizontales selon la position du vêtement sur l’étendoir de fortune. Je n’ai pas pu m’empêcher de les rapprocher de la chaleur et je contemple le résultat. Quelques uns dont la manche dépasse ont pris la couleur rouille. Le petit-déjeuner pris, je ramasse les lianes à terre et les accroche pour avoir un étendoir d’une vingtaine de mètres de long. Les deux sont attachées au mat qui soutient ma toile de tente. L’une contourne un arbre et rejoint la seconde attachée à la branche à l’horizontale d’un arbre foudroyé. Elles divergent et forment un triangle équilatéral dont chaque côté avoisine la dizaine de mètres. J’occupe ainsi ma matinée. Quand le soleil est au zénith, j’étale les éléments les plus épais à sécher et la layette sur les rochers près du fleuve. La roche brûlante réduit le temps de séchage. Je dois surveiller et être à proximité au cas où un orage éclate. En cours d’après-midi, tout est définitivement sec sauf quelques tailles XL encore humide. Je mets tout à l’abri et peux utiliser la couche de linge comme épaisseur sous le torse pour m’accorder un peu de confort.

Voilà venu le moment de penser à mon souper. Le solitaire occupe mon esprit. Je décide de lui rendre visite et je m’équipe en conséquence. J’emporte une grosse corde pour lui lier les pattes et pouvoir le cas échéant le jeter sur mes épaules. Je n’ignore pas qu’il pèse plus d’un demi quintal (environ 60 kg). J’y ajoute ma timbale à thé (950 ml) découpée dans un bidon d’huile moteur pour laver les parties sanguinolentes et un sac plastique pour les ramener. Je n’oublie pas mon couteau dont je doute qu’il réussisse à entailler la peau épaisse du cochon sauvage et le nécessaire pour démarrer le feu. C’est pourtant le seul instrument tranchant dont je dispose pour le découper. Lorsque je le retrouve, il a rendu l’âme. Je lui lie les pattes postérieures et le sors des bois sur le bord de la Bungan. Je le tire vers l’arrière. Il y a suffisamment de bois mort sur la plage pour allumer un feu et le brûler mais je crains qu’il ne soit trop humide. Je le couche et l’allonge dans un demi tronc d’arbre pour le protéger du sable et des petits cailloux. Je vais m’appuyer dessus et m’en servir comme planche à découper. Vu le peu de temps qu’il me reste avant la nuit, je veux décoller une épaule et l’emporter pour la braiser. Je suis curieux de savoir si je peux pénétrer la peau et perforer l’entrejambe. Un pli de peau pincé entre mes doigts, j’appuie très fort sur le manche de l’objet pas suffisamment aiguisé. J’y parviens. Il n’est pas question de la déchirer parce que trop résistante. Je décolle la viande avec le poing entouré d’un linge et la découpe autour de l’épaule d’un bout à l’autre. J’en attrape des crampes dans l’avant-bras. Cela me prend plus de temps que prévu mais je veux repartir avec. Libérée et détachée, je la protége des mouches à viande et la glisse dans le plastique. Afin de décevoir les intruses, je retourne l’ouverture béante contre le tronc et recouvre la tête entière de l’animal d’un maillot de corps usagé. Je quitte précipitamment car la nuit approche. Le niveau d’eau a baissé et est redevenu normal. Je traverse au niveau des gorges, l’eau à hauteur de la taille. J’atteins mon point d’ancrage juste à temps. Je suis surpris que le feu ne soit pas éteint et le réactive. Je gratte l’épaule au couteau, brûle les poils au contact de la flamme et la dépose sur le foyer. Quatre pierres le délimitent et elle le recouvre totalement reposant sur trois d’entre elles. Je peux dormir tranquille. Habituellement, je me réveille plusieurs fois la nuit. Je peux donc surveiller la cuisson et garder un œil dessus. Si la couenne ou la viande vient à brûler, je compte sur l’odeur de cramé pour me réveiller. Je m’allonge les pieds anormalement gonflés. Ce n’est certainement pas la dernière nuit que je passe ici. Je prends du retard et risque d’outrepasser mon autorisation de séjour (60 jours) dans le pays. Je m’expose ainsi à de réelles difficultés. D’autre part, je ne peux pas rédiger mes notes ou lire à cause de la multitude d’insectes qui m’assaillent dès le matin. Cela m’ennuie beaucoup. Ce sont deux raisons suffisantes qui pourraient me pousser à lever le camp et écourter mon séjour sur ce lieu de confluence.

Mercredi 17 septembre: L’épaule est un tel délice. La couenne bien grillée est cassante et a des saveurs de caramel. Je me régale avec ces morceaux craquants en sirotant ½ litre de café noir légèrement sucré mélangé avec de la semoule de blé vanillée. Je marque une pause mais le plat de résistance est à venir. Je mords dans la viande à pleine dent avec du thé en quantité pour la journée. Avec les morceaux encore saignants que j’arrache par lambeaux et découpe en cube, je prépare une popote de riz pour la fin de journée. Je retourne deux fois à mon supermarché de la nature pour continuer la découpe et les prélèvements. La carcasse est trop lourde pour que je puisse la ramener à dos d’homme. Je choisis la tête (environ 15 kg) et l’autre épaule (12 kg) qui me nourrira pendant 24h. Je ne sais pas quoi faire de la boite crânienne disproportionnée par rapport au reste du corps et je n’ai rien pour la fracasser et l’ouvrir. J’aimerais récupérer les incisives mais c’est impossible à mains nues sans la cuire. En attendant, je la laisse reposer au frais dans l’eau de la rivière pour la conserver. En fin de journée, j’ouvre les entrailles et le vide de ses viscères jetés en forêt. Je le lave à grandes eaux pour évacuer le sang et l’installe en hauteur sur un rocher recouvert de linge pour éviter les insectes.

Jeudi 18 septembre: Le même scénario se reproduit. Je cherche une patte postérieure et réussis à rapporter la carcasse moins lourde que je leste de pierres dans une poche d’eau de la Bungan. Je l’attache à la berge afin qu’elle ne parte pas à la dérive et ne m’échappe. La chaleur est torride aujourd’hui. Je m’enduis d’ambre solaire qui agit comme répulsif. Les insectes ont tendance à me délaisser et se tenir à l’écart. Quoi de plus nature ! L’endroit que je vais avoir du mal à quitter, véritable lieu enchanteur, me séduit de plus en plus. Je vis isolé dans l’inconfort le plus total et pas un être à la ronde mais quel cadre merveilleux ! Je ne pouvais élire un meilleur emplacement où je puisse contempler quotidiennement la beauté de la forêt. A côté des arbres-galeries le long de la Bungan, le ciel étoilé réussit à percer au-dessus de la piscine formée par l’étroitesse des roches. Ma salle de bain est grandiose et je n’hésite pas à me jeter plusieurs fois par jour dans le courant. Quand les mouches sont trop nombreuses à me harceler, je me plaque le dos à la surface de l’eau fraîche à cette altitude (estimée à 1000 m). Surprises, elles périssent noyées. Je me retourne et les vois partir emportées vers l’aval. Je bénéficie de conditions météorologiques exceptionnelles. Il pleut peu ; ce qui rend la vie beaucoup plus facile et agréable. La durée de mon séjour est liée directement à ma consommation en viande. Je garde les pieds de porc rôtis pour les emporter et les cuisiner plus tard à raison d’un par jour. Ce sera le temps des vaches maigres !

Il m’arrive de me parler à moi-même ou de m’adresser à quelqu’un d’intime que je connais bien. Chaque jour, j’ai une pensée pour un groupe de personnes différentes qui ne me quitte pas l’esprit. Je sens une présence autour de moi de l’ordre du Divin que je suis incapable de définir.

Vendredi 19 septembre: Je prends la décision de quitter demain matin. Presque une semaine que je suis ici ! L’échine et les cotes flottent toujours dans le trou d’eau, une pierre sur le sternum pour le maintenir. La dernière patte est au menu du jour. L’odeur pestilentielle est forte et m’incommode presque. Je place la tête sur la branche à laquelle sont attachées les lianes et lui fourre une branchette de feuilles entre les dents. Ma casquette sur laquelle on peut lire «Hector» sur la tête tournée comme s’il était responsable du bivouac et le voilà intronisé gardien du lieu. J’en tire un portrait histoire de plaisanter avec les amis. Vous ne me reconnaîtrez pas après cette traversée difficile dans les bois. Voilà de quoi j’ai l’air ! Fatigué et les traits tirés, la forêt a eu ma peau.
Dans l’après-midi, à mon grand étonnement, un petit avion survole le bouquet d’arbres au milieu duquel je vis depuis six jours. Est-ce un vol de reconnaissance ou bien me recherche-t-on ? A-t-on donné l’alerte ? Je doute que l’Indonésie ait les moyens financiers de donner suite à un avis de recherche. Je crois plus à une compagnie qui disposerait de moyens considérables et serait en train de prospecter les richesses du Kalimantan (signifie «rivière de gemmes»). Excepté la bâche bleue qui se détache sur un fond végétal vert, ils ne peuvent détecter aucune présence humaine. Un demi-cercle dans les airs et le biplan s’efface, rayé de mon espace aérien déjà fort réduit. Cette petite fenêtre entre les arbres est une ouverture sur l’extérieur et cette apparition m’apporte une bouffée d’air pur. J’en suis tout excité même si c’est mon seul contact avec le monde depuis 2 semaines. J’estime que la forêt va encore me garder dans son sillon pendant deux semaines (10 jours minimum). Je ne pense pas être à mi-chemin. Faites qu’il ne pleuve pas cette nuit afin que le niveau d’eau reste bas (15 à 50 cm). Le chemin en amont est inexistant. Il est préférable de partir les pieds dans l’eau et remonter ainsi le cours.

Samedi 20 septembre: Je me jette à l’eau très tôt ce matin à cause de l’agression dont je suis victime. Surprise de découvrir que l’autre bras de couleur boueuse vient se mêler aux eaux propres et limpides de la Bungan. Il a du pleuvoir abondamment sur le bassin où il ratisse et collecte ses eaux. Ma salle de bain est nickel et je me glisse dans l’eau cristalline juste à la limite où les courants se côtoient une dizaine de mètres avant de se mélanger. J’observe cette curiosité naturelle. Je descends vers l’aval pour libérer la carcasse de ses entraves et la balancer à l’écart pour qu’elle ne contamine pas l’eau en pourrissant. Je devine ce qui est arrivé. L’inondation a basculé les pierres et les restes du cochon sont partis à la dérive. Un élément supplémentaire aux indices qui donneront à penser qu’il m’est arrivé quelque chose de fâcheux. Je n’oublie pas pour autant de nettoyer le camp et tout brûler, y compris les détritus abandonnés lors des précédents passages. Je ne veux laisser aucune trace derrière moi excepté Hector, le gardien des lieux, signe tangible de mon passage. Sans cesse harcelé depuis hier, il n’offre pas la même résistance qu’un organisme vivant. Les insectes lui prennent la tête et les mouches viennent pondre dans les trous orbitaux, déjà infestés de vers qui le mangent de l’intérieur. Ils sont vraiment déçus de me voir quitter l’endroit et m’assaillent de toute part. Le niveau d’eau de la Bungan dépasse le mollet et réussis à monter jusqu’à mi-jambe. Je marque une pause car mon sac à dos surchargé accuse le coup. Il se déchire prêt à rendre l’âme et je ne sais s’il m’accompagnera jusqu’au bout du chemin.
Deux bonnes heures que je marche pour atteindre une jonction. Ce qui me semble être la Bungan continue tout droit tandis que l’affluent se jette perpendiculairement et forme un coude à angle droit à 25 m de l’embouchure et remontant vers l’Est. Cette configuration des deux cours en parallèle l’un à l’autre me met la puce à l’oreille. Je continue tout droit vers l’amont et après quelques pas dans ce lit accidenté de torrent alpin, je me dirige Nord-Nord Est. Je continue en sautant les barrières de rochers qui me freinent et rendent ma progression plus dangereuse et difficile. Je n’aperçois pas sur les berges pentues de voie d’accès, la topographie du terrain ne s’y prête pas. Je vérifie une seconde fois ma position à la boussole. Je me dévie légèrement vers le nord. J’avance doucement mais sûrement, mes sens en alerte. Après une demi-heure de crapahute, un mauvais pressentiment me parcourt l’esprit. J’ai l’impression que je fais fausse route. Je n’hésite pas à revenir sur mes pas jusqu’au point de convergence et vire à gauche où je tombe devant un bassin. Je monte sur la berge et détecte des traces de pas pour l’éviter. Un peu plus loin, je trouve ce que je cherchais, le chemin vers l’orient. Je décide de bivouaquer sur la plage d’un îlot dans le coude que forme la rivière. J’apprécie la protection qu’offre un double tronc, l’un reposant sur l’autre. Après une collecte rapide d’eau et de bois, je suis trop fatigué pour cuisiner. Le bois est sec et le feu facile à allumer mais l’orage menace. D’abord constellé d’étoiles, le ciel se couvre et il se met à pleuvioter. J’installe ma toile à la bédouine accrochée aux quatre coins à quatre supports. Elle abrite même le foyer. J’attends que l’orage passe et cela me tient en éveil.

Dimanche 21 septembre: La casserole de cochon dans laquelle j’ai puisé le souper est très salée et constituée de parties rôties. Ce matin, je la finis en y jetant un peu d’eau et une tasse de riz. Pour contre balancer le goût très fort, je décide de me faire plaisir et petit délice, je me prépare un riz au lait condensé (quantité d’une tasse) arôme cannelle. En fait, j’ouvre la boite pour mieux la nettoyer et elle finit accroché à un mat. Elle balisera le chemin. Je déteste laisser un détritus derrière moi mais si je l’emporte je ne trouverai jamais un endroit en Indonésie pour la recycler. Je laisserai en tout et pour tout 3 conserves dans la nature; 2 de poisson – sardines a la sauce tomate - et celle-ci. Le feu est véritablement un feu de joie à côté de ma tente style bédouine. J’apprécie l’endroit mais je dois le quitter. Je suis assailli par les insectes. Je me jetterais à l’eau un peu plus loin. Depuis hier matin, j’avance avec une Nike plastique agonisante raccommodée avec du ratan (pied gauche), à l’autre pied, j’ai toujours ma tong. Je suis chaussé idéalement pour la marche en rivière. J’ai pris peur par contre que mon mini- sac a dos ne cède devant le poids de la charge que je lui inflige. Tout le nécessaire pour mon installation (bâche enveloppant le rouleau de moquette rouge, le drap-couchette et les vêtements secs plus quelques autres affaires que je n’ai pu par manque place enfourner dans mon sac minuscule: le tout glisse dans 3 sacs plastiques protégeant d’une éventuelle pluie que je n’aurais pas vu venir). Ce qui surmonte celui-ci devient bien plus lourd au fur et a mesure que je pioche dans les 13 kg de riz qui forme la base de mon bagage. Je retire 3 kg de vêtements – principalement des effets pour de jeunes enfants a donner sur le chemin et au sec dans une taie d’oreiller. 2 sacs plastiques pour les protéger de l’eau – chute éventuelle lors d’une traverse du cours ou pluies torrentielles soudaines – et une corde pour ficeler le colis. Je le fais ainsi passer d’une main a l’autre. C’est ainsi organisé que je poursuis mon périple ce matin.
Je prends les raccourcis a travers bois pour rattraper le cours au débit un peu plus fourni vers l’amont. Je le surplombe dangereusement et redescend sur la plage. J’ai perdu la semelle – une tong inutilisable- de ma Nike pour préserver la plante du pied. Totale immersion dans l’eau d’abord – bain quotidien – avant retour par la plage pour rechercher l’objet dans le sous-bois. Quelle surprise sur la droite de voir une armature de campement pouvant abriter un groupe de 10 personnes ; voila une preuve que je suis définitivement – je n’en avais aucun doute –sur la bonne piste. Je récupère la semelle plastique et recharge le sac sur mon épaule avant de continuer.

Le soleil caracole encore au zénith lorsque je j’atteins un point de confluence avec sur la gauche un armature de campement tout a fait idéal pour une personne seule. La Bungan se réduit comme peau de chagrin et j’estime que je ne suis pas loin de sa source donc de la frontière. Je décide malgré l’heure avancée de m’y installer. J’ai 2 repas qu’il me faut absolument consommer sous peine de les perde et voir les vers prendre le dessus. Les 2 poissons séchés sans sel et un pied de porc qui a été mal rôti. Je collecte immédiatement du bon bois sec sur la plage que je remonte et casse entre les 2 faîtières. J’en oublie dans l’immédiat de le recouvrir de la bâche pour le protéger et l’orage gronde subitement. Alors que je suis sur l’autre bord ou j’ai déposé mon sac, je suis surpris par la violence du phénomène. Ce petit bois si sec qui serait facilement embrase sur les rochers au soleil il y a 10 minutes va me donner du fil a retorde. J’imagine luttant pour la survie du feu. C’est mon erreur de ne pas avoir monter la toile de tente d’abord. Le sol recouvert d’un lit végétal de feuilles immenses est déjà très humides. Ce sont des trombes d’eau qui s’abattent pendant une petite heure. Je suis déçu de mon erreur de planification. Quant a l’endroit ou je suis réfugie contre le tronc d’un fromager géant qui m’a ouvert l’un de ses pans dimensionne a ma taille. Il s’écarte du tronc principal et au pied des fourmis géantes curieuses – 4 cm de taille – tentent de s’immiscer dans mes effets. Par dépit, je prends un malin plaisir a les pincer entre le pouce t l’index. Je fais beaucoup de victimes et je vois certaines d’entre elles jouer les secouristes et emmener les blessées. C’est vraiment un monde particulier et très organise. L’endroit reste absolument sec et je ne reçois pas une seule goutte d’eau tandis que je vois mon travail de collecte prendre l’eau sans toutefois partir a la dérive. Une amère déception qui va rendre ma soirée difficile et mon but de cuire a l’avance mes 2 repas pour démarrer tôt demain matin en ayant juste a réchauffer la potée de porc.
Sitôt le calme revenu, j’emporte mes affaires préservées de l’autre cote et commence a monter un foyer. Je doute de mon habilité a initier un feu dans de telles conditions d’humidité. Ce qui au départ ressemblait a un feu de brindilles de la taille d’allumettes prêtes à s‘enflammer devient une tache difficile. Avec un peu de solvant, je parviens a enflammer les petite branchettes mais les moyennes trop mouillées ne tiennent pas. J’abandonne et épuisé tombe sur le cote endormi jusqu’au petit matin. Je me réveille deux fois seulement pour uriner. Je remercie mon intuition et les instances divines qui m’ont permis de jeter le camp a temps car il pleut moins intensément des que la bâche est posée et toute la nuit ; ce qui va singulièrement relever le niveau du cours dans lequel je dois patauger demain. Je doute d’être plus capable de faire un feu au réveil. J’ai peut-être commis une grosse erreur de m’arrêter a cet endroit. Une leçon a retenir.

Lundi 22 septembre : Au réveil, j’essaye de reprendre le feu. J’ai tout essaye hier soir même le petit bout de container plastique qui ne marche que si c’est sec. J’ai perdu tous les autres quand la subite montée des eaux a emporte mon vieux jeans mais je dispose d’un couvercle de jerrycan utilise une seule fois pour démarrer un feu. Je suis prêt a le sacrifier. Je ne quitterai pas cet endroit le ventre vide, ce qui rend la marche épuisante car on doit puiser dans ses réserves. J’ai repris avec les pages de livres scolaires imbibes de solvant dont le niveau est descendu de moitie depuis hier. Et cela sans succès. Je suis vraiment désespéré. Mon idée était de quitter tôt. Ce couvercle m’indispose car il me faut l’accrocher sur le dessus du sac en passant une des ficelles dans la poignée ou la bouche de versement ronde comme un encrier. Je l’enflamme. Il commence a grésiller et dégager une odeur chimique mais je m’en fous. Je l’ai pose debout et monte tout un mur de branchettes de chaque cote. J’utilise évidement celles qui ont déjà été enflammées en partie la veille au soir. Je passe rapidement a la taille moyenne et adosse celles qui sont encore mouillées pour les sécher. Ca flambe des deux cotes. Le couvercle est un carre épais de 20 x 20 cm découpé probablement dans un container d’une dizaine de litres. C’était l’ultime solution. Je comptais le découper en petit morceaux. Il a été sacrifie pour donner naissance a un seul feu. J’espère que mon geste n’aura pas de conséquences. C’était un moyen d’allumer un feu dont je ne dispose plus. Le feu est tellement intense t puissant que je peux me permettre de cuisiner avec mes deux casseroles sur le feu. Les 4 l d’eau dont je retire 950 ml d’eau bouillante pour le café avant d’y jeter le thé noir. A cote, dans la petite casserole je cuis une tasse de riz avec le poisson. Apres avoir bu café et thé agrémenté de miettes de crackers que je pêche dans le paquet avec la pointe de la cueillere, je prépare mon pied de porc avec tous les aromates additionné d’une grosse tasse de riz. La cuisson est vraiment rapide. Je n’en reviens pas. Voila un feu qui m’a vraiment pousse a bout. En foret tropicale ou il est toujours difficile d’initier un feu sans avoir recours au solvant, sans feu, on ne mange pas. Si l’on n’a rien dans le ventre, on ne peux marcher plusieurs jours. C’est une question de survie. Je n’aurais pas touche a ma bouteille de solvant vu que j’ignore totalement quand je toucherai mon but. L’obscurité aidant, j’en ai trop gaspille. Entre les deux casseroles, je suis oblige de me jeter a l’eau a cause de l’invasion des insectes. J’ai pratiquement fait depuis mon arrivée hier deux fois le tour de l’horloge (24 h00) quand je finis mon poison au riz truffe d’arrêtes. Je n’ai jamais été aussi plein a tel point que je ne peux pas me courber a cause de mon ventre. Le soleil est dans la même position que quand je me suis arrêté hier. Tout autour le fond du ciel est bleu lumineux mais l’orage gronde depuis un moment dans le lointain. Je viens juste entre mes deux gamelles de paqueter mon couchage et la bâche. Je me demande si je ne suis pas le jouet d’un manipulateur vicieux et pervers qui aurait décidé de m’en faire baver. Les nuages charges de pluies noircissent le ciel dans une zone relativement proche et vont prendre un virage de 360 degrés contournant l’ astre solaire qui sera voile quelques secondes. Ils viennent du nord et vont vers le sud. Je suis finalement épargné mais complètement médusé. J’imaginais déjà le scénario. Je quitterai l’endroit de la même façon que j’y suis arrive. Mes sac au pied du fromager géant avec mes amies les fourmis derrière un cordon de grosses gouttes de pluie. Acte final: on tire le rideau. La scène est finie. Monsieur, vous pouvez partir.

Je pars vers l’est le seul coin du ciel qui est encore bleu. Ma marche est rapide car je suis repose et repu. En descendant dans un lit sablonneux, je dérange un sanglier. Il a le temps de se retourner et disparaître. Au détour d’un coude, le chemin coupe au plus court par la foret. Pas vraiment champignon de souche comme tous ceux que j’ai pu collecter jusqu’ici, une bonne quantité foisonne entre les racines qui font fonction de marche pour remonter en foret. Ils ont du goût, appétissants, légèrement pâteux et devraient apporter un plus à ma potée. Je récolte plus d’un kilo. Trois heures après mon départ, j’atteins un site naturel d’une beauté exceptionnelle. La rivière saute deux hautes marches d’une blancheur innocente au milieu de tout ce vert envahissant. Elles sont travaillées et striées.. Une finesse du dessin qui contraste singulièrement avec cet état sauvage tout autour. Chapeau, monsieur l’architecte ! J’ai franchement un peu de difficulté a m’éloigner de l’endroit tant il est saisissant de beauté. La fin de la journée pourtant n’est pas loin et il me faut continuer. J’émets le souhait de pouvoir passer la nuit a proximité. Dans un coude de la rivière, après une centaine de mètres je tombe sur un campement géant style boy-scout. Je laisse éclater ma joie. Une équipe d’une vingtaine de personnes peut y passer la nuit. Je suis un peu perdu au milieu de cette immensité. Je jette la bâche sur la liane qui fait fonction de faîtière naturelle et m’installe rapidement. Il n’y aura pas de feu ce soir. Je retournerai demain matin aux “Marches” car j’ai remarque sur leurs cotes du bon petit bois sec dont je risque d’avoir besoin. Je conviens de me satisfaire d’une barre de fruits secs que je suçote. J’essaye de la faire durer le plus longtemps possible. Plus une première prise d’antibiotiques a cause de mon pouce qui s’infecte de nouveau. Je dirai même qu’il se nécrose. C’est impressionnant mais en même temps effrayant. Tétracycline matin et soir pendant 10 jours si je veux pouvoir le conserver. Je comprends mieux pourquoi mon sac parti a l’eau m’a été redonne sur la même berge 80cm plus haut. J’avais besoin de ces médicaments vitaux qui se trouvait a l’intérieur. C’est impressionnant comment la nature me joue de drôles de tour. Elle me met véritablement a l’épreuve et m’éprouve. L’analogie avec l’infection du pouce du pied de Robert est sidérante. Le scénario est identique. Quelque chose venu de l’intérieur du corps a infecte tout le pouce et provoque la décomposition de l’organe. Qu’eut-il arrive s’il n’avait pas trouve d’ampicilline. Je n’étais pas censé emmener d’antibiotiques mais son exemple m’a servi de leçon. Merci au passage a Surya. Je me retrouve dans la même situation, absolument identique. Au lieu que ce soit le pouce du pied droit, c’est celui de la main gauche. Il était droitier, je suis gaucher. Je suis vraiment parti avec le minimum mais j’utilise la totalité de ce que je transporte.

Mardi 23 septembre: Au réveil, je retourne aux “Marches” chercher un grand sac de petit bois. Elles sont a 800m en aval du camp et toujours aussi envoûtantes. Le feu est très facile a démarrer avec ce petit matériel de base. Je me prépare un morceau d’épaule que j’avais décolle un matin et mis de cote pour consommation future. La bonne cuisson de la viande rouge sur les braises avait été assurée et je pouvais le conserver sans dommage quelques jours. Je le prépare au curry (préparation thaïe) et ma nouvelle variété de champignon vu la quantité de viande qui domine la tasse et demie de riz. Vu le milieu dans lequel j’évolue, c’est excellent même si quelques légumes font défaut. Je réussis a quitter relativement tôt cet endroit ou je serais volontiers rester deux nuits. Je laisse les insectes sur leur fin quand ils commencent a m’assaillir. Tiens, un bon parti que voila, des odeurs que nous ne connaissons pas et qui viennent d’ailleurs y compris d’outre-mer. Ils n’ont pas le temps de se passer le mot. J’ai déjà quitter. Tout démarre positivement aujourd’hui. C’est drôle mais je ne sens pas la journée. J’ai l’infime conviction que je ne trouverai pas de camp en fin d’après-midi. D’ailleurs, je viens de risquer la chute. J’ai failli me fracasser le front sur un rocher que j’ai vu venir très vite. J’ai souvent le bras droit derrière le dos pour soutenir la base de mon sac et soulager la pression au niveau du dos tandis que l’autre est occupe avec le sac de vêtements. C’est le début de la journée et après une bonne nuit, un bon repas, mes sens sont en alerte. Je réagis très vite et plonge les deux avant-bras en avant qui font fonction d’amortisseurs. Je saute d’une pierre a l’autre dans le lit de la Bungan et viens juste d’en manquer une. J’imagine ce que cela aurait pu donner en fin de journée, moment ou je suis le plus susceptible aux chutes a cause de la fatigue. Loin d’imaginer une mort fatale mais seulement d’être sonne et assomme plusieurs heures sur la plage représente un danger. Une montée soudaine des eaux comme j’en ai déjà été l’objet a deux reprises et le corps se trouve dans le pire des cas balaye et emporte vers l’aval. On ne retrouve pour toutes traces de l’individu que quelques effets qui restent accroche a des arbres morts qui entravent son cours. Disparu a jamais. J’en ai conscience. C’est une réalité quotidienne. Un des dangers de la foret tropicale au cours de marches en rivières. Surtout le fait d’évoluer seul et de n’avoir recours a personne amplifie le danger et rend cette réalité présente a l’esprit a tout moment de la journée. C’est d’ailleurs une journée sans aujourd’hui. Ca continue ! Ah ! Qu’il est dangereux le petit jeu des pierres ! Quand elles sont sèches, aucune excuse ne peut justifier la chute sinon la fatigue en fin de journée. Quand il s’agit de traverser le cours, elles peuvent être sèches sur le dessus, humides, mouillées si immergées, couvertes de mousses qui les rend glissantes ou même manquer d’assise et instables pour les plus petites. Ca, il faut le deviner et c’est vraiment pas de chance de faire le mauvais choix. Je suis extrêmement méfiant. Mon équilibre n’est pas en cause. Autant je suis a l’aise pour une traversée sur un tronc d’arbre humide qui enjambe un cours qui bouillonne en dessous, autant je n’accorde aucune confiance a ces petites pestes. Elles peuvent se retourner contre vous et se montrer traîtres. En fait, il est facile de comprendre pourquoi. La traversée sur le tronc glissant dépend de mes capacités personnelles a faire face aux dangers alors qu’un nombre de paramètres difficiles a estimer a vue d’œil rend les passages à gué imprévisibles et incertains. Je tombe a l’eau en mettent le pied stupidement sur une pierre glissante, petit îlot rocheux au milieu d’un lit de sable. Il eut été tellement plus sage de poser le pied sur le sable. Je me retrouve a genoux, le fond de mon sac a dos dans l’eau et celui a main baignant dans le liquide cristallin. Je réagis très vite mais le temps d’immersion est suffisant pour humidifier voir mouiller et alourdir de ce fait la charge. Je m’arrête un peu plus loin pour cueillir des champignons – une espèce nouvelle – sur une souche. Je joue décidément de malchance avec mon pouce. En lançant le sac a main derrière le tronc qu’il me faut sauter, je ne remarque pas la gaze protectrice qui part avec. Je me rafraîchis, bois un peu d’eau et me remets de ma chute. Je ressens une vive douleur au niveau du fémur supérieur mais rien d’inquiétant. C’est alors que je remarque que mon pouce est à découvert. Je suis surpris car un élastique maintient le morceau de gaze imbibé de Bétadine. Je cherche a mes pieds et autour de moi sans résultat. Je ne comprends pas comment elle a pu se volatilisée. C’est la seule dont je dispose mais je suis las de chercher. Je renonce et abandonne tout espoir de mettre la main dessus. La seule explication est qu’elle soit partie avec l’eau courante qui coule sous mes pieds. Je charge mon sac sur les épaules avant de passer de l’autre cote du tronc et ramasse mon sac a main quand j’aperçois mon pansement de fortune baignant dans l’eau entre des pierres. Je suis encore une fois chanceux. Une plaie ouverte sans protection en foret tropicale s’infecte d’autant plus vite si elle n’est pas protégée. Tout cela a cause du degré d’humidité qui frise les 100% et la multitude d’insectes qui vont la butiner. Elle ne peut pas sécher ni se refermer. Aucune croûte ne se forme. Prévenir une infection dans un milieu aussi inhospitalier est déjà une bonne opération. Je repars le doigt gante. Je ne me souviens même plus en fin de journée si j’ai dépasse un ou deux points de confluence. Je ne suis même plus sur. J’ai vérifié le premier a la boussole et laisse mon instinct parler sur le second. J’en suis à mon troisième. Tout cela n’était pas dit sur les croquis et est en extra. Au lieu des habituels angles droits des points de confluence, celui-ci aurait plutôt la forme d’un Y parfait. Un peu plus difficile pour déterminer ma direction. Choisir l’une des fourches au risque de se tromper et faire demi-tour.. C’est un indice. Tout changement de direction mérite réflexion et je décroche le sac pour marquer une pause même si la nuit n’est pas très loin. Rien ne peut se faire dans l’affolement. C’est alors que je remarque une assiette a terre. Serait-elle tombée d’un sac ? Je suis au moins toujours sur la bonne voie. Je m’approche pour la ramasser quand relevant la tête, je devine une légère ouverture dans l’épaisseur de la végétation environnante. Cet objet usuel spécifique a l’espèce humaine me met indirectement sur le bon chemin. Etait-ce un repère prédestiné a m’indiquer la voie et me guider. Comme un panneau indicateur montre la marche a suivre. Je me pose la question. Que fait cette assiette en bon état en pleine nature a des journées de marche de toute collectivité ? Nul doute que j’aurais fini par trouver le chemin mais ce signe distinctif dans un cadre inhabituel aura précipité la chose. Rapidement je replace le sac sur les épaules et quitte en fait en ne sachant trop si je suis vers l’amont celle de droite ou celle de gauche. Je parcours quelques centaines de mètres et commence à m’élever. Je suis surpris car ni l’une, forcement la Bungan, ni l’autre de ces rivières ne semblaient montrer aucun obstacle particulier – une chute ou des gorges - a longer leur cours. Plus j’avance, plus je monte rapidement. Je commence a dominer les deux cours qui rugissent aussi bien d’un cote que de l’autre. Je m’arrête et dois retourner remplir ma poche d’eau. Je dois être au point de jonction ou l’ascension difficile vers le sommet débute. Je sais par expérience qu’il n’y a pas d’eau sur une ligne de crête. Je m’exécute rapidement et fais rapidement l’aller-retour au point de jonction. La nuit est proche et je dois trouver un endroit pour dormir. Revenus a mes effets, les deux mains engagées avec ma poche d’eau, l’assiette et le sac de vêtement, je continue a grimper dangereusement. Pour ne rien arranger, un arbre mort entrave le chemin. Je dépose ce qui m’encombre les mains et cherche un passage sur la gauche pour éviter l’obstacle. Bien qu’il ait été peu utilise, il existe parmi ce fouillis inextricable de branches qui me retiennent. L’arbre était un géant et le détour n’en est que plus long ; ce qui ne joue pas en ma faveur. Je finis par retrouver le chemin de l’autre cote, dépose le sac a dos et retourne chercher mes effets que je récupère dans l’obscurité. Ayant réunis le tout, je continue ma progression vers le niveau supérieur. Il m’est impossible de pouvoir trouver dans l’immédiat un emplacement tant la déclivité est importante. Le plus sage était peut-être de redescendre dans les lits empierres et de m’y poser avant d’entreprendre l’ascension. Trop tard pour faire demi-tour. Je connais trop bien ces lignes de crête des forets tropicales qui s’élancent vers le ciel appauvries de toute végétation superflue. Elles donnent accès a des dimensions de la foret qu’on ne peut soupçonner si l’on reste sous le couvert de la canopée. En cas de ciel clair, des découpes naturelles dans la flore moins exubérante, véritables fenêtres vers l’horizon offrent des vues fantastiques et un panorama exceptionnel. C’est a peu près la seule façon d’avoir une vision globale de la foret vierge et de la dominer. Il me faut atteindre un faux-plat sur une partie du parcours. D’ailleurs, j’y suis ! Cela suffit pour aujourd’hui. Il y a même quatre arbustes qui me servent a tendre tant bien que mal la bâche et me protéger des gouttes qui perlent continuellement de la canopée. C’est certainement le meilleur emplacement qui soit auquel je ne m’attendais pas. Il me plait. Il est bien sur impensable de pouvoir envisager entretenir un feu pour une éventuelle cuisson, le bois étant en quantité insuffisante et de mauvaise qualité. Il faudrait descendre le chercher en bas ainsi que le volume d’eau nécessaire. Le pressentiment qui m’a étreint au départ ce matin se trouve ainsi vérifié. Je ne me suis pas trompe quand j’ai senti que je ne serai pas sur un point de chute habituel en soirée. Je suis en fait sur l’arrête dorsale d’un monstre que j’escalade jusqu’a atteindre son échine. Sur chaque versant, de profondes entrailles et découpes empêchent tout accès. Au fur et a mesure que l’on s’élève, on a accès a la faune et la flore d’un niveau supérieur. Le monde des oiseaux domine celui des plantigrades. Le rugissement continu des eaux difficiles a dompter au niveau terrestre s’estompe et est remplace par un silence naturel que vient égayer les chants harmonieux d’une multitude d’oiseaux endémiques. J’avais prévu un repas du soir léger ; un morceau de couenne rôtie pour les graisses (lipides) avec ma barre habituelle de fruits secs que je suce en buvant un litre d’eau additionne de sels de déshydratation. Je dors encore à l’étage inférieur ce soir et c’est le brouhaha sauvage des deux cours qui bercera mes heures de sommeil. Je viens de comprendre le sens des paroles de Daniel qui m’a dessine un croquis de l’itinéraire. La langue indonésienne est d’une simplicité déstabilisante quand il s’agit de précision. Il faut deviner le sens cache des mots très simples qui sont employés. Ainsi, besok se traduit par demain mais peut aussi signifier un jour futur. En cas de rendez-vous, bien préciser les choses en appuyant le , besok-besok, le répéter au besoin. Une multitude d’adverbe très court et utilise a toute les sauces est ainsi employé quotidiennement. Il faut comprendre le sens profond du mot passe-partout en fonction du contexte. Ainsi, quand Daniel m’affirme que la Bungan et la Bacai – je pense plutôt qu’il s’agit de la Buakiu – c’est sama (même, pareil, identique), je ne comprends pas. Il n’existe pas de rivières qui portent deux noms différents. Je reste sans réponse. En fait, au cœur du Y, je n’avais pas a choisir entre l’un ou l’autre des cours puisque je suis monte entre les bras des deux cours. Je n’ai pas eu a me déterminer. C’était donc du pareil au même et le sama trouve sa signification quelques semaines plus tard. Une telle simplicité dans l’expression est désarmante pour un occidental habitue a la précision mais aussi offre une facilite d’apprentissage. Inutile de préciser qu’il est bien plus difficile de devenir pointu et précis quand il s’agit pour eux d’apprendre une langue européenne que l’inverse, devenir vague et imprécis. Ce qui fait de la langue indonésienne l’une des plus facile qui soit a acquérir dans toute l’Asie.

Mercredi 24 septembre: Des le réveil, je suis détermine a achever cette ascension le plus tôt possible pour pouvoir toucher cette pierre qui prend des dimensions symboliques dans mon esprit et partage l’ile en deux régions administratives. J’ai suffisamment d’eau pour préparer un café froid avec des crackers mais vais-je réellement apprécier le breuvage ? J’opte pour les sels de déshydrations que je prends vraiment plaisir a consommer avec mon cocktail de vitamines habituelles C , B et du fer. Je sucerai une pastille de Carnitine en cours d’ascension. De toute façon ma détermination a marquer le passage entre les deux provinces est une motivation suffisante pour me pousser rapidement vers les sommets. Je fais mon paquetage et poursuis l’ascension, une Nike au pied gauche et la tong a l’autre. J’ai hésité à rechausser mes chaussures de cuir mieux adaptées pour la montagne mais je ne suis sur de rien par rapport a ce qui va advenir. D’un pied alerte, je poursuis l’ascension débutée la veille. Je ne fais que m’élever par dizaines de mètres et ce que je pensais se confirme. Je suis dans la dernière étape du Kalimantan de l’Ouest prêt a passer le col vers celui de l’Est. La végétation est très dépouillée et éclaircie. Plutôt de type arbustive bien que quelques géants dominent encore. Ces derniers sont d’ailleurs habites par de nombreux primates qui n’hésitent a me faire savoir que je suis un intrus. A l’occasion, ils me lancent quelques flèches sous forme de branches d’arbres lancées a mon passage. Je marque une pause sur leur territoire et perçois un gémissement très proche de l’endroit ou je me suis arrêté. Celui-ci s’amplifie et prend même des allures de jouissance identiques a celles des humains. Je suis certain d’être seul sur plusieurs kilomètres a la ronde. Copulation matinale ou rite masturbatoire avec un fond voyeur- je pense être observe, je ne sais pas. Cela me fait sourire et je laisse la nature animale s’épancher. Deux brèves pauses marqueront la montée particulièrement raide et glissante a cause des glissements de terrain. Je ne la trouve pas pénible car je la rend courte. On doit approcher les 2000 m d’altitude, ce qui n’est pas commun dans les régions tropicales. A plusieurs reprises, je dois employer les deux mains et m’accrocher aux racines pour m’élever. Il n’y a pas de véritable sommet mais un accès entre deux pôles géographiques, l’Ouest et l’Est. Le passage se fait entre deux mamelons géants ou je devine les restes d’un feu, indices humains, preuves de transit antérieurs. Je cherche la fameuse pierre mythique mais suis déçu de ne pas la trouver. Je dépasse l’endroit . Les premiers rus marquent leur préférence et orientent leur course vers le sud-est. J’en enjambe trois successivement et rencontre un petit terre-plein avec des oripeaux accroches aux branchages ou a des lianes tendues. Je devine au sol un cube de béton sans inscription qui dépasse à peine la hauteur des herbes. Vu la façon dont le lieu est honore, nul doute que ce “de a coudre” artificiel ne peut être que la marque administrative et limitrophe qui sépare les deux provinces. J’y laisse pour ma part un peu de sang car je viens de décoller quelques “passagères clandestines” qui ont profite de mon ascension pour passer plus a l’Est. Je m’essuie les jambes avec de larges feuilles vertes mais l’héparine tenace empêche toute cicatrisation immédiate. L’endroit n’offre absolument aucune vue vers l’extérieur. Tout autour du plot, ce n’est que végétation arbustive très dense. Je quitte d’ailleurs par une trouée dans le taillis et plonge rapidement de plusieurs mètres. La descente infernale débuterait-elle ? Au bout de plusieurs minutes, je traverse même l’emplacement ensoleille d’un campement et remarque l’armature en place pour la toile de tente. Il est absolument identique a celui que je viens de quitter. Je décide de le bouder car je ne vois ni petit bois sec pour allumer le feu, ni source d’eau. Je continue en contre bas une centaine de mètres et parviens a la jonction de deux minuscules cours encaisses entre des parois friables dont l’étroitesse – deux personnes peuvent juste s’y croiser – surprend. Le sol sablonneux ne retient pas l’eau et c’est sans doute la source d’approvisionnement du camp de base. Il faut vraiment être motive pour y camper car devoir faire l’aller-retour a la source n’est pas de tout repos. Je fais le point et continue dans le lit vers l’Est. L’eau est un peu plus abondante. Il y en a suffisamment pour pouvoir se doucher. Le pas alourdit par le sac s’enfonce assez facilement dans l’élément mouvant. Je me pose alors la question. Est-ce que je veux réellement continuer après ces deux heures éprouvantes de montée a jeun sous prétexte que ça va descendre désormais sans arrêt ? La réponse est négative. Cela me parait de la folie de sauter une case ou je peux séjourner 24 h 00. Je n’ai pas pris de repas depuis mon brouet a la viande de porc et la journée d’hier n’a pas été de tout repos. Un peu de bon sens et prenons la vie comme elle se présente. Je reviens sur mes pas et remonte avec ma poche d’eau pleine. J’ai traverse trop rapidement car je découvre une grosse quantité de bois sous le couvert des arbres. Je me mets instantanément au travail. J’étale tout mon linge au soleil pour l’aérer, collecte du bois et installe la bâche. Ce sera un jour sans café, sans thé aujourd’hui. Comme je n’ai pas eu mon volume de liquide habituel, je décide de le remplacer par une méga soupe aux pâtes instantanées. J’économise un peu de riz car il doit m’en rester environ 2,5kg. J’ai du en consommer 12 kg en a peine 3 semaines soit 4kg par semaine soit 600g environ quotidiennement en 2 prises régulières mais non systématiques (matin et soir). C’est ce que j’appelle le “manger fort” par opposition au “manger léger”. Je fais encore la distinction entre le “léger-moyen” encore acceptable et le “léger-léger” dans lequel j’évite de tomber. En attendant je fais l’inventaire. Je dispose de 5 paquets “ instant noodles – soup” au poulet plus une série de petits sachets soupe (citrouille, tomate, poisson, poulet, bœuf). Ceux-ci viendront assaisonner les “instant noodles” dont je me sers comme ingrédient de base. Dans 3,5 l d’eau, je jette deux pleines assiettes de champignons frais et des morceaux de couenne coupes menus. J’y ajoute des petits pois et mais (déshydrate). Un plus tard, gravy et fécule de pomme de terre pour l’épaissir et lui donner du corps. Sans compter un tas d’épices locales ou importées que j’ai toujours à portée de main. Je déguste seulement en cours d’après-midi. La cuisine demande beaucoup de temps. Je passe de suite a celle du souper : riz a la sardine sauce tomate. J’ai utilise ma seconde poche pour aller puiser l’eau mais cela ne suffira pas. Je consomme un minimum de 15 litres pour souper/déjeuner. Je décide de laisser la tente aux colonies de minuscules fourmis rouges particulièrement actives et m’allonger sur l’herbe sous le mouchoir étoile. Je vais me rapprocher du feu au cours de la nuit. Sans trop savoir pourquoi, je pense ce soir a un endroit avec des enfants sur une petite île de l’Est-indonésien. J’ai du y laisser une partie de moi-même et je me demande si ce ne serait pas idiot d’aller la rechercher.

Jeudi 25 septembre: Un pied de porc au curry avant de quitter le site. Le feu s’est montre capricieux sur la fin. J’ai du ressortir ma soufflette taillée dans un tube de bambou que j’avais déjà ficelée avec les cueilleres a bois. Je n’ai pas fait attention et dans l’action de réactiver le feu, elle a du partir avec les morceaux de même taille. J’en suis tout penaud et bien déçu. Elle me manquera et il me faudra nécessairement la remplacer. Son utilisation régulière lui avait donne une belle couleur brune polisse. Il lui manquait une couche de cire pour pouvoir l’exposer comme “objet usuel inhabituel”. Mon geste m’attriste. Qu’une si belle pièce finisse vulgairement comme n’importe quel bout de bois me culpabilise.
Je poursuis dans le lit sablonneux du petit cours qui finit par s’élargir et prendre des dimensions humaines. Apres une demi-heure à patauger dans des fonds d’eau, je grimpe sur le contrefort gauche et domine la vallée entière. Par souci écologique, je ramasse une dizaine de sachets (soupe, café) que je plie et glisse dans la poche postérieure de mon pantalon. Le chemin remonte sur la cime mais trop a mon goût dans la direction d’ou je viens. Je renonce et continue dans le fond du lit. 100m plus loin, une fenêtre dans le rempart et le sentier plonge dans le néant. Quelque chose m’échappe. Je décide de tenter le grand saut et entreprend la descente infernale. Le chemin aurait tendance a s’écarter du cours. Je fais le contraire et m’en rapproche. Je comprends de suite pourquoi il est à éviter. Il vient de former sur les hauteurs un angle droit. A ses pieds, un dénivelé de 800 m qu’il lui faut franchir en s’appuyant sur une multitude de rochers sans compter les bâtons – arbres morts, éboulements…- qui entravent sa course. Je saute dans le lit à un niveau inférieur et j’en suis tout ébloui. En levant la tête, plusieurs mini-cascades donnent l’impression d’un parc d’attraction aquatique. De taille et de débit différent elles tapissent toute la falaise. Je ne m’attendais nullement a une telle féerie. Un véritable plaisir des yeux devant ce décor géant. C’est tout un panneau de roches harmonieusement disposées entre le bois qui dort et les plantes épiphytes. L’élément EAU tente une descente du plateau vertical et apporte une note musicale très mélodieuse a la composition naturelle. C’est un peu comme si j’avais fait irruption dans un temple de la Nature dont l’une des parois serait un mur d’escalade. Lilliputien parmi les forces naturelles, je suis a un niveau supérieur du mur. Il me faut descendre en rappel au moins les 2/3 inférieur pour regagner le plancher. Voila qui risque de me réserver quelques frayeurs mais je n’ai pas trop le choix. Si je retourne dans le bois, je rate la suite du spectacle. Je suis prudent et dispose de plusieurs heures devant moi pour passer les obstacles et recroiser mon parcours initial dont j’ai perdu le fil conducteur. Je suis tout a fait confiant y compris même dans mes chances de pouvoir m’installer a couvert pour la nuit. Je progresse lentement mais prudemment avec toujours ce même régal des yeux. C’est un véritable apaisement pour l’esprit qui contraste avec la tension physique dont est sujet le corps mis a rude épreuve. Bras et jambes sont sollicites mais tel le chat sauvage, je garde le corps souple et évolue en douceur sans forcer. J’observe beaucoup et repère le passage le plus simple qui soit avant de continuer. Quand je lève ou baisse la tête de temps a autre, le spectacle est vraiment impressionnant. Je serais passe a cote d’un site d’une exceptionnel beauté si j’étais reste sur le chemin. Si la rivière Hobong que je suis vers l’aval débute avec des chutes spectaculaires sur un dénivelé aussi impressionnant, elle ne doit pas être facilement apprivoisable et risque de me réserver des surprises. Je viens de finir le mur en rappel et descend les dernières marches plus doucement. Je marque une légère pause – la seconde – pour me rafraîchir et continue dans la foulée déterminé à gagner une zone de bivouac. J’ai encore 2 heures avant la nuit et cela devrait me suffire. 1h 30 plus tard, mon instinct m’averti que je ne suis pas très loin de mon point de chute. J’atteins un terrain plus plat et bien que cache par un monticule, je sens très fort que c’est la que je m’arrête pour la nuit. Je ressens une grande joie, quand sur la butte, je découvre l’immense campement style boy-scout déserte. Je viens de faire d’une pierre deux coups car je recroise le fil qui doit me conduire plus vers l’Est. Ce soir, j’innove car je dors sur un lit de rondins a 50 cm du sol. Je ne suis pas accessible à la gente animalière et le feu est au niveau de ma table de chevet. Du grand luxe en pleine nature. Je prépare juste une soupe identique a celle e la veille pour le souper. Je ne trouve plus mon sachet de Tétracyclines glisse dans la poche arrière du pantalon. Je me soucie de nettoyer la nature de ses papiers détritus laisse par les locaux en transit. En les poussant dans la même poche que les antibiotiques, J’ai involontairement expulse ceux-ci car la poche est a moitie décousue. Combien stupide je suis d’avoir pour des raisons facile d’accès mis ces médicaments vitaux à portée de main . Il y a bien une seconde poche intacte mais j’ai du me tromper ce matin. Tout porte a croire que ce doigt est condamne et ne peut guérir. Je suis prêt a retourner sur mes pas les chercher demain. En attendant, le feu est fantastique a regarder brûler. Il se met a pleuvoir violemment au cours de la nuit. Il se montre courageux et résiste. Je décide de lui donner un coup de pouce. Je glisse plusieurs baguettes mises de cote au cas ou entre mon lit et un rondin distant d’un mètre. Quelques autres viennent les croiser dans l’autre sens. Je jette un vieux T-shirt censé faire éponge et absorber la pluie sur cette croisée de baguettes. Le tour est joue et le feu toujours vivant lorsque l’orage s’éloigne. Nuit de sommeil sans faille.

Vendredi 26 septembre: Je prépare une bonne casserole qui me tienne au corps tout la journée. J’hésite mais je sais que je vais remonter la falaise, en reconnaître le chemin d’accès que je n’ai pas su localiser. La perte des médicaments justifie a elle seule un retour sur place. Je pense les avoir perdu au moment même ou je poussais les papiers dans la poche ou bien un peu plus loin, a deux reprises, je me suis laisse glisse sur les fesses favorisant l’ouverture de la poche décousue. Je prépare mon sac comme si je partais et vais le cacher a l’abri d’un maître-fromager au grand mépris des insectes. Il me suffira de le ramasser a mon retour pour pouvoir avancer d’une case sur la carte en fin de journée. Ce sont en fait deux journées en une seule que je me propose de vivre aujourd’hui. Je ne me sens pas bien fort physiquement mais c’est le défi que je me suis lance. Je remonte sur les hauteurs par le véritable sentier qui coupe court par la foret. Il est si large qu’il est impossible de s’égarer. Je suis franchement curieux de savoir d’ou il part au niveau des chutes. En le prenant a rebours, nul doute que je vais déboucher a un endroit déjà connu. Un immense arbre abattu vient entraver le parcours. Je suis incapable de retrouver le fil d’Ariane qui devait me guider au sommet. Je trace ma route seul vers les hauteurs. J’y lis des traces de passage temporaire et m’en sers pour gagner quelques mètres. Je suis a flanc de falaise et parie sur le plus court chemin d’un point a un autre mais je risque beaucoup. La ligne de crête me nargue un peu plus haut. Il me reste une cinquantaine de mètres pour l’atteindre. De la-haut, les choses seront plus claires et surtout la Hobong au lit étroit et tapisse de sable doit se trouver sur l’autre versant. Je m’accroche au flanc de roche dite friable. Les racines et les pieds d’arbustes qui ont pris souche sur la paroi verticale sont mes seuls atouts. Si je prends conscience que je n’étais nullement oblige de revenir sur mes pas, la prise de risques ne peut trouver justification. Le terrain manque de stabilité. Ce pan de roche peut se détacher de la paroi d’un moment a l’autre sous l’effet de mon poids (74 kg). J’espère qu’il attendra encore un peu. Je retiens mon souffle et me fait aussi léger que possible tel l’oiseau qui sautille d’une branche a l’autre. La tête, les épaules, le dos, les hanches et les genoux sont autant de parties du corps mises à rude épreuve. Je les utilise au besoin pour m’élever et les ancrer dans les aspérités et anfractuosités accessibles. Je sollicite mon ange gardien de veiller sur moi et voler a mon secours en cas de chute que je n’imagine même pas. Je reste concentre et garde l’esprit tourne vers le petit coin de ciel bleu que je dois atteindre. Il y a deux façons d’y parvenir ; soit l’ascension réussie, soit la chute libre. J’espère ne pas faire de faux-pas, ni d’erreur d’aiguillage afin d’éviter la seconde. J’ai souvent tendance a provoquer la chance et a en abuser a cause de mon prénom qui signifie: “Celui qui est Béni par Dieu”. Robert faisait vraiment partie des gens malchanceux (badlucky en anglais) quoi qu’il fasse. Je touche du bois. Je monte sur cette ligne de crête ou je retrouve le chemin d’accès. Je la suis mais presse par le temps plonge dans le vallon ou je finis les pieds dans le sable. Je reconnais le lit de la Hobong mais je suis plus en amont presque a mi-chemin entre le camp quitte hier matin et les chutes. Je vais avoir une sacrée journée de crapahute devant moi. Je rattrape le contrefort ou j’ai empoche les détritus. Rien a terre. Je reprends le même itinéraire jusqu’a cette fenêtre dans le mur de terre par laquelle je me suis laissée glissée. Aucune trace des antibiotiques. Je perds tout espoir. Trois jours de traitement suffiront-ils pour que le pouce puisse retrouver sa vigueur ? Je vais devoir le tamponner sans relâche de Bétadine et l’habiller lors de mes sorties nature.

Je n’ai pas envie de revivre la folle journée d’hier avec la descente des chutes. Si j’avais le temps et un bon appareil photo, ce serait différent. Le raidillon qui partait derrière le belvédère et montait vers les cimes était le bon. Il impliquait une pente sévère et un léger détour au niveau cartographique – en fait pour suivre le chemin des crêtes - mais offrait un panorama grandiose sur la foret tropicale et ses sommets. Il est plus dur et difficile, plus long et évite complètement les chutes. A ces deux voies d’accès, j’ajoute la mienne. Je me faufile par la fenêtre dans le mur de terre et gagne la foret. Au lieu de prendre sur la droite en direction des chutes, je fais l’inverse et leur tourne le dos. Ma tong vient de se rompre. Je suis nu-pied jusqu’a mon retour au camp. Je biaise légèrement de tel façon a croiser le sentier en dessous de l’arbre abattu. En attendant, je dévale la foret verte me retenant aux jeunes troncs flexibles et élastiques pour diminuer ma vitesse et garder le cap Nord-Est. La plante de mes pieds ne souffre pas car je suis dans une forêt de feuillus dont le sol est recouvert d’humus suite a la décomposition des feuilles. J’évolue sur un tapis de velours. Le risque de se blesser et s’ouvrir le pied existe néanmoins. Prudence car j’en ai encore besoin. Ce sont eux qui me portent.

L’après-midi est bien entamée lorsque je retrouve ma base. Si je n’avais pas apprêté mes affaires, je serais tente de séjourner une nuit supplémentaire. Je ne reviens pas sur ma décision. Je chausse la paire de Nike. Il y a bien longtemps que mes pieds n’ont pas eu ce privilège. J’arrache le sac des aiguillons et salue bien bas toutes ces “suceuses” d’odeurs et de sueur qui ont butiné autour pendant mon absence. Je file d’un pas rapide et longe la rivière sur la droite. J’ai environ deux heures de temps de marche avant la nuit. Apres ¾ d’heure, je dépasse un camp style celui ou j’ai dormi mais en piteux état. L’humidité a tout ronge. Il n’y même plus un poteau en terre. Je ne le vérifie même pas. Il est trop sombre et humide. Je continue mais presque immédiatement glisse et chute. J’ai peur car mon sphincter anal – que l’on maîtrise toujours sauf en cas de peur soudaine ou état de choc – se relâche involontairement. Est-ce un avertissement a ne pas avancer plus loin a cause de ma fatigue ? Je ne prévois pas de pluie et autant dormir sauvage vu l’état de délabrement du site. Je veux avancer jusqu’a la nuit qui n’est pas loin. Il se met a pleuvoir. Mes effets sont protégés. Je suis peu mouille car en longeant la rivière je suis abrite par les grands arbres. Ce n’est que si je dois la traverser que je sens les gouttes perler. Aucune raison de casser le rythme. Je remarque sur la plage un énorme tronc d’arbre à l’écorce rugueuse. Il est fendu en deux. Les deux moities se superposent artistiquement et offre la possibilité d’un abri pour la nuit. J’hésite et puis continue une dizaine de mètres avant de tomber sur une surface dégagée ou une liane est tendue entre deux poteaux. La nuit aura envahi l’endroit dans quelques minutes. Il n’y pas longtemps qu’il s’est arrêté de pleuvoir. J’en profite pour déballer et m’installer rapidement. Je fais dans le temporaire. Le sol argileux présente l’aspect d’une cuvette. J’ignore encore que le pire est devant moi. Les affaires sont rassemblées sous la bâche ; il recommence a pleuvoir. A ce rythme, c’est comme si l’océan se déversait sur votre tête. La pression est intense et la bâche commence a montrer des signes de faiblesses. Je lui viens en aide et c’est avec les bras ouverts en croix que je la soutiens et charpente l’édifice. Je me sers de ma tète comme axe de pivot pour surélever la bâche afin qu’elle ne conserve pas l’eau mais qu’elle l’évacue par les cotes. Apres une heure de déluge, dans une position inconfortable et une journée déjà bien remplie, je m’impatiente. L’issue n’est pas loin. Je constate les dégâts. Ils ont souffert de la pluie mais ne sont que partiellement mouilles. Je les avais place sur le seul petit îlot reste sec. Une partie du sol couverte est inonde. J’ai du mal a envisager de m’allonger. A l’extérieur du carre protégé sous lequel je me trouve, c’est le bain de pied avant l’entrée dans la piscine. La rivière a double de volume et ses eaux limoneuses déferlent dans un fracas assourdissant. J’avais une bonne dizaine de mètres de recul qui se trouve réduite a trois. Heureusement que je ne suis pas reste a l’abri des deux demi-troncs qui doivent en partie être immerge. La pluie continue après une brève pause mais elle est fine et légère. Elle n’en vient pas moins alimenter et augmenter le volume des flaques. La cuvette dans laquelle je baigne désormais ne désemplît pas. Je doute de pouvoir dormir. Je sais ce qu’il me reste a faire; creuser une rigole longue de 3.50 m avec un bout de bois. L’approfondir avec la puissance de mon talon et évacuer l’eau par ce canal d’écoulement vers le cours. Un travail d’Hercule que je prends plaisir a effectuer a cette heure de la nuit. Patauger dans la boue, faire des pieds et des mains pour endiguer les eaux, être l’architecte d’un canal inaugure dans l’heure et la plus grande simplicité et oublier l’heure d’aller se coucher… Ce genre d’expérience ne m’est pas arrivée bien souvent, petit garçon, alors je me rattrape et profite de l’occasion pour la retourner psychologiquement a mon avantage. Des sels de déshydrations et une barre de fruits sec pour remettre sur pied le “canard barboteur”. Je déroule mon tapis rouge. Tout a été finalement mouille y compris le drap-couchette. Je m’allonge et reste éveillé. Je sombre dans un demi sommeil a l’approche de l’aube. Une nuit blanche !!!

Samedi 27 septembre: Cocktail de vitamines et sels au réveil. L’endroit est trop humide pour imaginer faire un feu. Je veux gagner un lieu où je puisse étaler les affaires au soleil. En attendant, paquetage rapide et marche continue jusqu’a l’apparition de l’astre lumineux. Je suis le chemin qui me détourne de la rivière. De nouveau une ligne de crête pour un dénivelé approximatif de 600 m pendant la matinée. La Hobong indomptable déferle dans une gorge sur ma gauche. Je domine son lit d’une centaine de mètres. C’est tout simplement ahurissant et impressionnant de sentir ce rugissement des eaux monter. On croirait a un fauve en cage. Je me demande comment j’aurais pu l’aborder si je n’étais pas sur ce périmètre de sécurité. Il est vraiment étonnant de passer à gué avec un fond d’eau cette rivière et de la voir très rapidement se transformer en chute, rapides ou gorges impassibles quelques mètres plus loin. Je l’avais remarque avec la Bungan mais la Hobong bat tous les records de dangerosité. Je ne m’attendais pas a rencontrer ce genre d’obstacles. Je continue la descente doucement tenant compte de mon état de fatigue. Je suis abasourdi par la violence des déferlantes gonflées par les pluies de la veille. Le chant des oiseaux est mis en sourdine. C’est la foret entière qui est déchaînée. Je saute la dernière marche et s’étend devant moi une clairière avant de traverser un affluent. Je continue sur la rive droite et atteins un second point de jonction avec de chaque cote de la Hobong un emplacement pour camper. Celui de gauche me rappelle le camp délabré et humide d’hier. Tout le bois est pourri par l’humidité. Je choisis de rester a droite. La rivière forme d’ailleurs un coude et entoure le mini-camp très ensoleille. Un sol de planches, vermoulues depuis leur inauguration, a été pose a terre pour protéger des bêtes. J’ai l’impression d’un petit fort sur sa butte dont je serais le châtelain. Deux voies d’accès à la rivière; l’une a 10 m, l’autre en remontant une allée de feuilles mortes qui craquent sous les pieds et traverse deux pelouses a l’herbe verte jaunie car brûlée par le soleil. C’est ici que j’étale mon linge qui ne tarde pas à sécher. Il y a très peu de camp valable et fonctionnel après la frontière en direction de l’Est. Aucune difficulté en ce qui concerne le feu. Ma casserole est sur le feu avec un peu d’eau. Je commence par un café au lait très corse. Je prépare ensuite une soupe avant de déguster un riz au thon a la nuit. Une espèce de petite mouche – agas en langue indonésienne – me pique les pieds. Une chaussure plastique indonésienne très légère a porter et idéale pour marcher dans l’eau a été oubliée et je l’utilise avec une paire de socquette blanche. J’aime cet endroit et je pourrais facilement y séjourner 2/3 jours. Je laisse tomber le bouchon de ma bouteille de Bétadine au moment ou je badigeonne mon pouce. Il n’a décidément pas beaucoup de chance de guérison avec moi. Je débute ma nuit allonge sur les planches parcourues sans relâche par des fourmis inlassables. Elle sont la cause de mon mouvement vers le feu. J’aime dormir prés du foyer. A le regarder brûler, je dors moins. Il est avec l’eau la source de la vie en forêt. Il agit certainement comme un moyen de se ressourcer même s’il porte en lui des éléments destructeurs et négatifs voir synonyme de mort.
Ce soir, je me pose deux questions d’ordre pratique: Ou suis-je ? Dans combien de jours atteindrais-je la Mahakham ?

Dimanche 28 septembre : C’est certainement la dernière fois ou je peux me permettre un jour avec 3 repas plus les boissons (café, the). Je finis mes derniers morceaux de cochon ce matin. Ce sont ceux que l’on m’a donne au Kg Broi. Je n’ai plus de raison d’utiliser mon curry thaï. Je vais devoir adopter le régime”léger-moyen”. Il doit me rester 1,5 kg de riz. Il est temps d’arriver mais la situation est loin d’être critique (3 jours de réserves).
J’attends depuis plusieurs jours une très grande et longue journée de marche qui ne vient pas. Le terrain ne s’y prête pas. Je sens qu’il y en aura une pour conclure le périple en foret avec un débouché sur la majestueuse Mahakham, Mère de tous mes maux. Ce n’est pas pour aujourd’hui. Je suis chausse de la fameuse chaussure plastique noire qui me tient au pied gauche comme un gant sur son doigt. Ce qui me permet de laisser au repos la Nike gauche qui a fait la paire avec la tong pendant 6 jours (du 20 au 26 inclus). Cela me simplifie surtout le système de laçage et cordage lie au rafistolage. Je me chausse plus rapidement.
Je n’arrive pas a mettre le pied sur le sentier et me retrouve en face de gorges a passer. Je n’ai pas trop d’autre choix que de les éviter par le sous-bois avant de les longer lorsqu’elles deviennent moins abruptes. Il est certain que je ne les auraient pas vues si j’étais sur le raccourci. Je prends les choses comme elles viennent. Si cela doit arriver aujourd’hui, ainsi soit-il ! Sorti de ce labyrinthe, je lis sur ma gauche un panneau en bois où est écrit en grosses lettres de peinture rouge vif : HAK MILIK (propriété privée). Six noms de rivières suivent avec leurs distances et une flèche pour les situer (ex: S. Abang -> 225m). Elles servent a délimiter le droit de propriété. Voila un signe évident de présence humaine ! Ce sont des voies navigables en saison humide et le panneau s’adresse a la navigation fluviale. Je continue vers l’Est et rencontre peu avant la nuit un emplacement avec une armature de tente. Les poteaux et la faîtières sont si fins qu’on les croirait fait de bois d’allumettes. Je collecte du bois d’abord. J’installe la tente. C’est plus la bâche en la tendant qui maintient l’armature que l’inverse. Un avion passe dans le ciel. L’orage gronde au loin. J’ai vraiment la crainte de passer une seconde nuit de cauchemar. La déclivité est importante. Je ne peux agir. J’hésite même à faire le feu qui risque d’être noyé par la pluie. Je serais le gardien du feu comme les Zoroastriens a Yazd (Iran) qui veillent depuis la nuit des temps sur le feu. L’orage lui aussi hésite et tourne autour du pot. Le grondement est étouffé comme si un chat lui faisait le gros dos avant d’éructer. Il veut se montrer fort et puissant mais pêche par faiblesse. Il est enroue et peine a sortir de sa gangue. Je prie très fort pour qu’il passe son chemin. Je me suis lance dans la préparation du repas et les éclairs puissants qui précèdent le roulement m’aident avec leur luminosité a localiser les ingrédients. Il est parti du Sud-Est, va former un arc de cercle vers le Nord pour s’échapper vers le Nord-Ouest. C’est une première parade car il revient deux plus tard au moment du coucher. La cuisson ne dure que 30 mn depuis l’allumage du feu jusqu’a son extinction. Un record absolu ! pour la préparation d’une soupe au poulet/champignon. Je suis sur des types de repas “léger-moyen” ou il y a encore suffisamment de consistance pour que l’estomac ne crie pas famine. Je garde le riz, féculent comme fournisseur d’énergie, pour le matin avant de décoller pour la journée.

En me levant, ma tête touche la bâche. Patatras ! Mon toit effraye devant les roulements de tonnerre qui reviennent au galop préfère se coucher. Je me retrouve tout nu sous le ciel ou l’orage est revenu faire un tour. Je crains le pire. J’ai une soupe chaude dans le corps pour affronter le monstre. Il est impensable que je puisse remonter ma tente. Le terrain offre trop de déclivité et je serais de toute façon inonde. Le mieux dans l’immédiat pour préserver les effets: les retirer de sous la bâche ou ils sont poses sur le sol et les glisser entre deux pans de celle-ci pliée en deux. Je patiente un peu dans l’attente de la pluie qui ne vient pas. Je contemple mes pieds meurtris qui portent les signatures de nombreuses sangsues. Je les enduis de crème à base d’aloé. Je remets les chaussettes avant que les agas, minuscules moucherons, ne viennent s’y poser. Epuise, je me glisse entre les deux pans de la bâche dans mon drap-couchette et sombre dans le sommeil.


Lundi 29 septembre : La nuit a été excellente. La bâche a essuyée les quelques gouttes de pluies qui sont tombées. Je n’ai pas été mouille. Je suis aussi rapide ce matin pour la cuisson que la veille. Je dois tout au feu qui se montre d’une vélocité peu courante. Les flammes ne prennent pas le temps de lécher et sécher les bûchettes humides mais il les mange avidement. A cet égard, je me suis donne satisfaction en cassant poteaux de mat et faîtière en petits morceaux. Ils ont bien remplis leur fonction de bois a brûler après avoir failli celle d’hébergement. Je m’organise autrement et utilise mes deux casseroles sur le feu dont je n’arrive pas a tenir le rythme. Il me faut le réduire. Je dois le limiter en bois sinon je ne peux plus toucher les anses des casseroles auxquelles je n’ai plus accès a cause des flammes voluptueuses qui bondissent. Dans la petite casserole, l’eau d’abord pour le café, ensuite pour le thé. Dans la grande, une tasse de riz blanc nature que je mélange avec une boite de thon - Made in Australie – au citron, gingembre et a la citronnelle. C’est écrit sur la boite de 100g. Je le trouve vraiment sans goût lorsque je le goutte. Ils ont sans doute du oublier le sel ! C’est ce qu’il me faut pour démarrer la journée. J’ai dormi en fait sur le chemin et pars directement sur la bonne voie ce matin. Je sens bien la journée et c’est sûrement celle que j’attends depuis plusieurs jours…

Aucun obstacle ne pointe a l’horizon et j’avance ainsi sans relâche depuis plusieurs heures. Je ne perds pas le fil du chemin et garde ainsi les pieds au sec. Il y a toujours quelques passages à gué mais je ne patauge pas les pieds dans l’eau comme la veille ou je n’ai rencontre le sentier qu’a deux reprises. Je laisse deux campements successifs inhabitables sur ma droite et atteins en début d’après-midi un baraquement fait de planches et de lianes tendues visiblement pour permettre a un groupe d’y séjourner plusieurs semaines. Je pense naturellement a l’armée indonésienne quand mon regard est attire par ce qui est écrit sur l’une des planches ; “Groupe de chercheurs d’or – Timkat”. Juste avant d’atteindre le camp, un arbre aux fruits délicieux qu’il m’a été donne de croiser bien des fois. A chaque fois, tous les fruits sans exception avaient été mange. Il en restait un seul d’oublie sous cet arbre. Je l’ai goutte. J’ai immédiatement décroche mon sac pour en ramasser d’autres. Quelle ne fut pas ma déception de n’en point trouver. Comme sous tous les autres arbres, ils avaient été minutieusement consomme par les singes.
Je traverse la Hobong et juste en face du camp débute un chemin bien dessine. S’ils ont du séjourner un temps, il a du être utilisé et le premier village ne peut être a plusieurs journées de marche. Ou aurais-je été me perdre si je n’avais pas remarque l’embranchement ? A ma grande surprise, je m’élève comme si je l’ai fait pour passer d’une province a l’autre. La pente est aussi accentuée et j’en arrive a dominer la foret des alentours. Le sentier est tellement évident que je me laisse guider sans trop me poser de question. Je verrais bien ou ça débouche. C’est bientôt la fin de la journée quand j’atteins le col. Je ne tarde pas a redescendre car il fait déjà sombre dans les bois a partir de 16h00. Je caracole plus d’une heure en pleine foret avant de retrouver la zone humide parcourue d’une multitude de petits cours. Je laisse de cote un emplacement pour dormir qui n’a plus rien du tout a offrir. Vont-ils tous se jeter dans la Mahakham ? Mon heure de vérité est-elle arrivée ? J’ai eu la journée que je désirais depuis longtemps. Cela m’a permis de faire une avancée non négligeable sur le plan géographique. Je tombe sur une ancienne scierie laissée en plan.. J’hésite a y passer la nuit mais cela ne me satisfait pas complètement et me laisse un goût d’inachevé. Je continue malgré l’obscurité. Le lit d’un dernier cours et ça remonte ! J’entends le fleuve couler. Je suis en train de le longer sur les hauteurs mais sans pouvoir le voir. Le rideau est tire avec ce long couloir de végétation qui me le cache. Je me mélange les pieds dans les racines et failli me retrouver la tête en bas. C’eut été plus spectaculaire que dangereux. A mettre sur le compte de la fatigue et la nuit. Je pousse malgré moi. Quand l’esprit veut… il est sur que le corps et les jambes se mettraient volontiers sur un mode “stand-by”. Apres une légère remontée, je dois faire face a une descente incontrôlable. Je sens que je suis proche de mon but. J’y arrive ! C’est la chute libre vers le lit de la Mahakham que j’entends rugir plusieurs centaines de mètres en contrebas. Je veux faire aussi vite que possible avant que la nuit totale ne me permette plus de bouger. Je ne manque pas de glisser et descend plus sur les fesses que sur les pieds. Difficile de tenir debout sur un terrain argileux humide qui présente une déclivité importante. De chaque cote, toujours cet épais mur de végétation qui m’empêche de visionner le panorama. De jeunes bananiers ont été plantes et dépassent d’une tête le cordon végétatif. Des jardins sont donc le signe d’une présence humaine. Une trouée dans le paysage et un toit de tôle qui resplendit sous un ciel dégagé. Je me dirige vers la bâtisse en bois élevée sur deux étages. Je dois traverser le jardin et vise la plate-forme qui prolonge le rez-de-chaussée. Des que je l’atteins, j’ai le souffle coupe devant le point de vue qui s’ouvre a mes pied. Du nord montagneux s’écoule puissante et sure de sa force un fleuve large au débit impressionnant. Il n’est pas de ceux que l’on traverse facilement. Il se respecte. Son lit difficilement accessible a été creuse dans un environnement naturel intouché par l’homme. Des falaises se sont ouvertes devant le fleuve porteur de vie. Véritable belvédère ou je suis bien décidé a passer la nuit, le fleuve dessine un léger croissant avant de s’éclipser comme il était apparu. Entre les montagnes du sud, il disparaît a tout jamais. C’est l’histoire d’une autre étape.
Cela me suffit amplement pour ce soir. Je veux pouvoir rester assis, contemplatif, les jambes croisées et le regarder briller toute la nuit. Je veux pouvoir me désaltérer de son eau et me nourrir de ses poissons. Je veux qu’il me redonne la force nécessaire, autant d’énergie qu’il ma fallu pour arriver a ses pieds vaincu par l’asthénie mais vainqueur sur le plan personnel.
Un bruit de moteur fend le silence de la nuit. Un O.R.N.I ou bien un O.N.N.I (R pour roulant et N pour naviguant ) ? Je n’en reviens pas. Il est venu du Sud, a longe la Mahakham, est passe a mes pieds et a continue vers le Nord. S’agit-il de quelque sorte de machine mythique qui permette de chevaucher les montagnes ? Le boucan assourdissant est identique a celui des premiers objets volants. Mieux vaut avoir les oreilles protégées si on le conduit. Il y a peut-être le fait qu’il monte de la Mahakham et l’effet de gorge combine – le lit du fleuve - a une ouverture vers le ciel l’amplifie. Il tressaute et marque des temps de silence vraisemblablement fatigue de ce que lui impose son conducteur a cette heure si tardive. Il semble n’avoir qu’un seul oeil. Un cyclope éructant et pétaradant avec un phare qui balaye l’espace, voila quelque chose de bien terrifiant. Je n’ai pas la moindre idée de quoi a l’air l’animal. S’il se déplace par voie fluviale ou terrestre. Il est passe sous mon nid d’aigle et j’ai eu beau gueuler comme un perdu, peine perdue car il ne m’a pas entendu. Je ne peux rester sans solution a cette énigme. Je ne rêve pas. Il a disparu derrière la montagne et a ce qu’il me semble, se serait arrêté. La curiosité me pousse a aller retrouver ces humains mais la raison prend le dessus. Il fait nuit noire. Je survis depuis deux mois dans les bois. J’en sors vivant, certes épuisé mais entier. Je suis déchausse avec des pieds qui n’en peuvent plus et qu’ils me faut respecter. Je dispose d’une barre de fruits secs sans eau. Je n’ai pas pu effectivement aller puiser l’élément liquide a sa source a cause de mon arrivée tardive. Erreur de ne pas m’être désaltéré au dernier passage à gué ou faute de ne pas transporter un fond d’eau au cas ou. Je dispose d’un toit s’il pleut car le rez-de-chaussée est ouvert. Il y a même un foyer et des nattes pour s’allonger. Je suis aussi sur l’un des sites naturels les plus grandioses qu’il m’ait été donne de voir et je veux assister au lever de l’astre lumineux depuis mon perron. Alors, pourquoi courir après cette pétrolette de malheur qui n’est peut-être qu’une illusion après tout ? L’Avenir proche me confirmera que je n’aurais pas pu atteindre mon but, la traversée du fleuve étant impossible. L’animal en question doit être a mes yeux un vieux modèle rustique de deux-roues voir type side-car ou tricycle abandonne par les Japonais lors de la seconde guerre mondiale et remis en marche par d’ingénieux Indonésiens. Réponse:demain matin.
N.B: Je suis réveille en cours de nuit par l’animal qui repart en sens inverse. Il n’a pas peur de se déplacer de nuit. Je le hèle de la même façon mais aucun résultat probant. L’énigme reste entière et je ne sais pas s’il y aura une explication car le principal intéressé vient de me filer sous le nez. Je me rendors.

  • Ode a la Mahakham, Mère de tous mes Maux
  • Combien ton fils Hobong a-t-il engendre de ruisseaux ?
  • A cause de sa prodigalité, j’ai failli perdre le fil de l’eau.
  • Pourquoi ne m’as-tu pas laisse boire de ton eau ?
  • Magnifique dans ton lit, inaccessible de mon plateau
  • Tu m’as laisse volontairement la gorge sèche
  • La-haut, seul sur mon balcon dans la déche.


Mardi 30 septembre : Superbe vue matinale depuis ma terrasse entourée d’un jardin. Je cueille des piments et feuilles de manioc pour les utiliser comme légumes dans ma soupe. La moindre excuse pour rester plus longtemps est recherchée. Je paquette doucement. Je mangerai plus tard. Je suis content de devoir reprendre contact avec la civilisation même si, a l’heure actuelle, elle signifie trois maisons en bois dont les feux sont éteints et morts. Je descends vers le fleuve alors que le soleil monte dans le ciel. Je pratique autant sur les fesses que sur les pieds tant le chemin glissant est abrupte et dangereux. Apres 20 mn, je débouche derrière une seconde maison inoccupée. Il y a des enfants et il semble que les habitants soient présents régulièrement. Le fleuve est a 20 m. Je le rejoins. De nombreux morceaux de bois jonchent la rive et je pense naturellement a faire un feu en attendant un éventuel bateau. J’avise un peu plus loin un champ dont l’abri temporaire couvert de l’habituelle bâche bleue dégage de la fumée. Je bois a satiété et commence a longer la rive garnie de rochers en direction du champ travaille. Il y deux petites anses a contourner. C’est fait pour l’une et je suis sur la pointe qui délimite les deux quand arrive au loin un bateau a moteur. Les bras en croix, je le hèle et n’hésite pas a agiter un linge car il semble s’arrêter au champ vers lequel je me dirige. Il m’a aperçu. Dans un boucan épouvantable a percer les tympans, il s’approche. Un type de bateau original que je me rappelle avoir vu évoluer en Amazonie au Brésil. Le moteur est équipé d’une espèce de long manche a balai avec au bout l’ailette rotative qui donne l’impulsion plongée dans l’eau. Le long bras se relève en même temps que le moteur. C’est tout simplement ce genre d’engin que j’ai entendu hier soir. Il coupe le contact pour me poser des questions et se rassurer. Je peux monter et nous rejoignons le champ en cours d’essartage. Généralement ces travaux sont collectifs et donnent lieu a des regroupements. C’est la pause café et il m’est gentiment offert. Inutile de dire qu’il fait son effet. Les ouvriers partent au travail avec un bidon d’alcool de riz qu’ils ont déjà entame. Il m’est propose d’en boire. Je veux essayer la boisson locale Dayak qu’ils appellent buraq. Agréable a boire, elle est peu alcoolisée, douce et sucrée. Je mélange avec deux tasses de café trois timbales de buraq. Cela me réussit plutôt bien malgré mon degré de fatigue et me reénergétise. Je patiente dans l’attente d’un ces (prononcer tchess) – c’est le nom que l’on donne a ces petits monstres sur la Mahakham – qui ne vient pas. Je discute avec les femmes qui préparent le riz au poisson. J’en profite pour donner quelques effets aux quatre enfants présents qui les gardent sur eux tellement ils en sont fiers. Nous partageons le repas avec toute l’équipe qui repart au travail. Je descends au fleuve pour le bain. Il ne me faut pas attendre longtemps avant qu’un premier ces retourne de Long Apari. Ils ont tous remontes le fleuve depuis ce matin. J’explique a Martinus ma démarche. Il a loue le ces a lui seul pour aller vendre son poisson a Tiong Ohang. Il m’accepte gentiment a bord. Pendant deux heures, nous naviguons sur un fleuve large au courant puissant , calme sans rapide, sur de sa force. Son niveau d’eau est très faible et les passages a choisir avec expérience. La végétation est dense sur les berges et a part quelques endroits domestiques, ils ne sont pas facile d’accès. Des mon arrivée au village qui s’étend sur les deux rives reliées par un pont suspendu, je me rends au dispensaire. Le médecin est absent mais je suis reçu par Jiu, jeune infirmier sans expérience, auquel je demande de prendre ma tension assis d’abord puis debout. Je suspecte un peu de tension orthostatique. Je me pèse : 74 kg, mon poids normal, celui du départ. Je fais de même avec les sacs. Approximativement 8 kg chacun. J’ai donc la moitie en charge de ce que j’avais au départ (30 kg) quand j’ai quitte Tanjung Lokang il y a 24 jours. Jiu m’offre la possibilité de rester dans la maison du médecin en visite a Java d’ou il est originaire. Je ne me fait pas prier.

Du mercredi 01 au samedi 04 octobre au matin : Trois jours de bonheur avec un poste de radio ouvertes a toutes les ondes. Toutes les musiques du monde – y compris la salsa, le jazz, le classique - offertes a l’écoute dans ce petit coin de jungle. Des infos avec R.F.International et un peu de sagesse orientale avec S.G.H (Sai Baba Globale Harmonie).
Je peux cuisiner dans la maison de la future sage-femme voisine de la mienne mais Jiu et Tommy, son meilleur ami, m’apporte quotidiennement l’essentiel de la maison de leurs parents respectifs auxquels je rends visite le 03 au soir.
Au niveau santé, chaque jour, je découvre de petits points d’infection que je perce d’une aiguille. L’état de mon doigt s’améliore tandis que celui de mes pieds empire. Ils sont gonfles et je n’arrive pas a résorber les œdèmes. J’ai beau essayer de les laisser dans un demi seau d’eau tiède légèrement salée ou dormir les pieds surélevés. Rien n’y fait.