Pot Tout Vil(le)-Batticaloa (135 km). J’arrive de Siyambalanduwa où j’ai passé la nuit dans un temple dont le supérieur est en ce moment au centre international du Bourget (en France !). A mon arrivée hier soir, son suppléant sans parler un mot d’anglais m’a demandé de l’appeler à Paris pour lui demander l’autorisation de dormir. Il a fini par me trouver une chambre mal aérée et un peu plus tard, un ventilateur. La douche est à ciel ouvert. J’ai été obligé de fermer la fenêtre car le soldat au visage d’ange suivi par les novices étaient positionnés juste en face pour pouvoir mieux m’épier. J’ai déjeuné ce matin de lait de coco, de bananes et naturellement de thé de Ceylan avant de quitter à pied le temple en direction de Potuvil que j’ai atteint uniquement avec des deux-roues. Je connaissais la baie d’Arugam (Arugam bay) de nom mais n’aurais pas su dire où elle se trouvait. J’y suis maintenant ! Endroit couru par les Routards du Monde Entier (RME), surfeurs à l’occasion, la rue est inondée d’auberges. Je suis dans un autre monde sans compter que je suis passé en Terre d’Islam avec ce saut sur la côte Est. Le contraste est saisissant. Hier, l’hindouisme avec ses processions de couleurs vives, aujourd’hui, l’islam avec son côté austère où les sexes ne se côtoient pas. Les Hindous ne se mélangent pas plus mais l’impression d’unité qui se dégage de ces cortèges où hommes et femmes marchent côte à côte est impressionnante. Je pousse une baie plus loin que celle d’Arugam, une baie où rien n’existe si ce n’est le ressac, la mer et ses vagues après avoir franchi le mur de maisons et de boutiques reconstruites depuis le tsunami. Les hommes sous les abris m’appellent pour avoir une discussion et tuer le temps mais je passe outre. Si je commence à m’arrêter de bon matin, je ne vais pas aller bien loin. La plupart des maisons sont inhabitées. Dire que la baie comparée à celle d’Arugam ressemble à un cimetière d’habitations ensevelies où les ombres sous les auvents apportent un peu d’animation est un euphémisme. Je longe l’océan et me baigne à la pointe qui sépare les deux baies avant d’arriver au milieu des baigneurs d’Arugam. Caché des autres, je peux changer mon maillot en toute tranquillité. Par ses bateaux de pécheurs, ses maisons de couleur, son coté musulman, Ceylan me fait penser à Zanzibar, sa petit sœur nichée de l’autre côté de l’océan. Elles sont nées du même sein (le Gondwana oriental) bien que la première dont la forme peut être comparée à une pierre précieuse est quarante fois plus grande que la petite, pourvoyeuse en épices d’où le « Small is beautiful ».

Quand je reprends pied sur la plage, j’aperçois un groupe de jeunes filles en train de grimper sur une dune de sable. Les couleurs de leurs saris sont vives sur le fond jaune. Dans l’eau, ce que j’ai cru être des baigneurs, ce sont des surfeurs locaux dont quelques jeunes femmes et une poignée d’occidentaux. Je fais connaissance d’Uncle alias Mr. Lingo, responsable de Jeeva Jothy, un orphelinat de jeunes filles tamoules de Batticaloa . Ils sont venus dans le cadre d’une excursion pour la journée et repartiront vers le nord dans la direction où je me rends. Nous convenons que s’il m’aperçoit sur la route, il me ramassera. Je le quitte et traverse la baie au milieu de ses baigneurs pour atteindre le pont que j’enjambe avec un deux-roues, ce qui me permet de me retrouver rapidement sur la plage de Potuvil déserte. J'ai traversé le centre ville en arrivant avant que la moto ne me dépose deux baies plus loin. Je reviens en l’évitant et contourne les principaux lieux où grouille la vie. Je suis ici après tout pour profiter de l’océan. Au sortir de la zone d’habitation, la mer est en vue, une femme suivie de ses trois mouflets vient me saluer avant de me quémander de l’argent. Si j’ouvre mon sac pour leur donner de la nougatine, elle va me mettre la main dessus et ne pas me lâcher. Je vais avoir du mal à les quitter. Les gamins n’ont pas choisi de naitre dans de pareilles conditions. Ils ont un toit mais leur maison est en cours de construction. Suite à la catastrophe de décembre 2004, je suspecte les parents d’avoir reçu de l’argent et voulu bâtir une maison plus conséquente que celle pour laquelle ils avaient reçu une somme d’argent. Bon nombre d’habitations autour n’ont que les murs et le toit pour s’abriter du vent et de la pluie en attendant que le prochain tsunami leur apporte l’argent dont ils ont besoin pour finaliser les travaux.

Bien que je marche péniblement dans le sable, vers la plage éloignée de plusieurs centaines de mètres, je remarque que je suis suivi par un homme. Est-ce le mari qui a été envoyé à mes trousses ? Quand l’issue ne fait plus de doute, je me retourne vivement et lui crie de ne pas me suivre. Il est chez lui sur son terrain mais j’ai envie d’être seul. De plus en plus d’ailleurs. J’aime rencontrer les gens mais leur discours doit être nécessairement intéressant. Je veux apprendre quelque chose. Pas de temps pour les discussions inutiles sinon je préfère rester seul. Y-a-t-il un paradoxe entre le fait de vouloir voyager et ce désir de solitude ? A brève question, réponse rapide: à première vue, oui, le paradoxe existe bel et bien mais le voyage forme la jeunesse et la vieillesse. On retient / acquiert plus d’un voyage lorsque l’on a de l’expérience dans la vie. Le voyage permet de s’informer et connaitre la culture locale – en l’occurrence à majorité bouddhiste dans l’ile – ce qui ajoute des éléments d’informations et de réflexions au vécu et à un bagage – d’ordre intellectuel ou non – déjà bien rempli. D’où la nécessité d’assimiler que « La vie est ailleurs ». Voyager est une perpétuelle renaissance qui favorise d’incessantes découvertes et vieillir, c'est mourir un petit peu alors que voyager, c'est naitre et renaitre éternellement.



Assis sur un rocher, je bois du thé et grignote de la coco et continue en direction d’un minaret à moitié détruit en gardant mes distances par rapport à mon poursuivant. Cette tour sur un fond de ciel bleu azur représente l’élément divin qui nous domine. Sur sa droite, un puits à la margelle de ciment contient la vie sous sa forme la plus simple, l’eau, et sur sa gauche, deux palmiers en représentation symbolisent la forme végétative qui cohabite en ce lieu avec le monde minéral. Une bande de gamins crieurs et moqueurs dont je me méfie m’approchent en courant. Après le cliché de « Tour de vie au-dessus du niveau d’eau », leur enthousiasme me surprend. Ils veulent leur photo. Je surveille mes sacs à distance. Un peu de couleur pour animer les « âmes » après un cliché noir et blanc puis je vise la vue sur la plage abritée par la palmeraie en retrait sous laquelle gisent les corps des victimes du tsunami repérables par des croix en bois. A ne pas confondre avec des chrétiens puisque nous sommes en Terre d’Islam. Je poursuis ma marche jusqu’à la plage de Cottugal, une pointe ornée de beaux rochers accueillant un petit groupe de surfeurs occidentaux. J’avais cru comprendre qu’elle s’appelait « plage du Portugal ». Après tout, n’ont-ils pas été les premiers européens à coloniser l’île au 16ème siècle avant de passer sous contrôle néerlandais au siècle suivant et pour finir comme province de l'Empire britannique en 1796. Ces rochers, zébrés de différentes nuances d’un brun-ocre sur un fond noir joliment polis par la nature ont des formes diverses. Debout sur les marches de l’unique bâtiment abritant les plagistes du soleil, je vois un bel éléphant à coté d’un énorme boulet pareil à une balle de golf. Au fur et à mesure que je me déplace, celui-ci se décompose en trois rochers distincts les uns des autres. Rien ne s’articule plus. Etait-ce une pure illusion de l’esprit ou la réalité telle qu’elle se présente à nos yeux ? Dame Anicca - la carte de la non-permanence est encore passée par là ! Après quelques mots échangés avec le responsable de la buvette où viennent se désaltérer les surfeurs assoiffés, je prends le risque de gagner Komari. C’est le prix que je dois payer – marcher sous le soleil au zénith - si je veux garder une chance de revoir Mr.Ilankovan et ses jeunes filles. Cette demi heure est peut-être celle de trop pour ma peau d'écrevisse déjà bien rougie. Il est 12h44. Je coupe au plus court et retombe sur des maisons-tsunami. Je m’abrite sous l’auvent d’une échoppe avant de gagner une autre habitation où m’est offert de l’eau fraiche et du riz accompagné d’un délicieux curry de crevettes. Le fils qui me reçoit travaille pour une compagnie japonaise dont le siège est à Colombo. Sa sœur est comptable. Le tsunami a évité leur maison. Je quitte l’endroit avec “quelques chose dans l’estomac”. Avant d’atteindre la route asphaltée, je lis sur un panneau SEDO, association d’Education et de Développement, NGO locale dont le sigle n’est pas sans me rappeler en pali, l’une des trente-deux parties du corps, qui n’est autre que la sueur. Cet avertissement est-il une incitation à la réflexion sur l’élément liquide qui coule de mon front, de la tête aux pieds ou bien une incitation à prendre la sueur comme objet de contemplation. Marcher, c’est méditer. Cette sueur qui fait partie de mon quotidien et qui s’échappe dans de telles quantités que je dois absorber des sels en supplément. Un coup d’œil dans le bureau de l’association dont je visite les toilettes avant de retrouver la route récemment refaite.

Un camion d’une autre époque, un vestige probablement de la dernière guerre civile, daigne m’emmener dans son énorme remorque à ciel ouvert dans laquelle sont à demi assises des femmes, à demi allongés leurs enfants tandis que les hommes sont assis devant dans la cabine. Ils marquent une pause sur la plage et descendent mettre les pieds dans l’eau. Je reste à l’ombre d’un bâtiment et en profite pour leur fausser compagnie avec un petit camion jusqu’à Akkaraipattu, ville d’obédience musulmane. Là-bas, je retourne sur la plage comme un drogué à son passe-temps favori. Me faire brûler la peau, cramer l’épiderme par les rayons de l’astre lumineux qui remplit plusieurs fonctions. Un tantinet masochiste, non ? Une motocyclette me dépose derrière les dernières maisons sur le tapis de sable devant le Grand Bleu. Je suis tout de suite remarqué et rejoins par un, deux, trois acolytes. Deux sont de retour d’Arabie où ils coulent des jours heureux payés à peine 200 euros mensuels. Après deux ans de travail, ils ont le droit à une période de trois mois de repos, raison de leur présence sur la plage. J’espérais être seul. Me voila accosté par trois gars sympa qui, s’ils avaient de mauvaises intentions n’en feraient qu’à leur tête et passeraient outre la loi de l’hospitalité. Ils pourraient me basculer et chopper ma banane. Je n’en mènerais pas large si j’étais une Européenne, une femme seule en voyage. Le moment est sympa mais je ne veux pas m’attarder. Dommage pour la baignade qui consistait à vouloir tremper le corps cramoisi de l’écrevisse dans l’eau salée pour la refroidir. Il a bien rougit au soleil. Un animal dans lequel j’aimerais être réincarné puisque même morte, on la suce par la queue. Je pousse plus loin et y découvre sur la plage une douche à coté de toilettes. L’endroit, situé à un carrefour est populeux, mais je ne réponds pas aux appels amicaux des locaux trop occupé à me déshabiller et mettre mon maillot de bain dans les WC. Je prends l’eau de mer et j’ai du mal à ne pas être emporté par la lame de fond puis remonte me rincer le corps brûlant sous le pommeau à l’eau courante. Je savonne. Les cheveux aussi y ont droit. Frais comme un gardon, je repars sur le chemin qui longe la côte jusqu’au port où je n’ai pas accès. Je l’évite et rattrape la route principale avec un deux-roues qui s’y rend. Ce petit aperçu de la côte me suffit. Tout le long de la centaine de kilomètres parcourus aujourd’hui, elle est belle, sauvage, promise à un bel avenir touristique. Je ne me fais pas d’illusion sur le boom immobilier qui peut s’en suivre. Avec l’arrêt des hostilités, c’est maintenant ou jamais qu’il faut investir. Avant le conflit, pendant les années 82/83, l’ile accueillait un demi million de visiteurs. Maintenant que les arrivées augmentent, le département de tourisme vise le million d’ici 2016 tout en réajustant les prix des chambres d’hôtel cinq étoiles qui, jusqu’alors faisaient de l’ile une destination bon marché (réévaluation de 50/60 U.S à 100/120 U.S, les prix doublent).

Un combi d’universitaires me laissent dans la ville voisine de Kalmunai, également à dominante musulmane. Le ramadan est en cours. Je me prends à penser que je vais passer la nuit dans une maison musulmane mais je fais tout pour éviter cela. Qu’est-ce qui me fait fuir ? La perspective d’une soirée riche en nourriture terrestre et une discussion inévitable dont la religion serait le sujet ne me réjouit pas. Je ne veux convaincre personne, ni faire aucun prosélytisme. Je n’attends rien de plus de mes hôtes. Je me suis surtout mis Martel en tête que je serai à Batticaloa ce soir, ville qui porte le nom de la rivière sur laquelle elle est située. Je traverse rapidement à pied les deux sœurs jumelles à la tombée de la nuit pour rattraper un combi qui vient de finir ses livraisons et repart vers Batticaloa. J’ai croisé celui-ci deux fois en ville en train de visiter ses clients. Chandran, le chauffeur, doit m’avoir repéré. Il s’arrête et me propose de m’emmener. Je monte derrière au milieu des cartons de boites de cirage et autres articles de vente. Il parle couramment le cinghalais et le tamoul.


L’histoire continue ainsi... A un contrôle de la police, un peu plus insidieuse depuis Potuvil, des questions lui sont posées. Deux policiers achètent chacun une boite de cirage pour cirer leurs pompes. Abus de pouvoir oblige, ils l’obtiennent au prix minimum de 50 roupies au lieu de 70 soit une réduction de 40 roupies sur les deux articles, ce qui ne fait pas l’affaire de Chandran. Il me confie toutefois que même avec tous ces agents du gouvernement en majorité Bouddhistes, la situation est bien meilleure maintenant qu’elle ne l’était. « Nous sommes libre de voyager et n’avons plus peur ». Il me dépose à l’orphelinat en face de l’hôpital où je suis accueilli par Anandi et Shakti, toutes deux âgées de 22 ans, étudiantes en danse à l’université. Il est 20h00 et je suis étonné d’apprendre que Mr. Ilanko et ses filles ne sont pas rentré. Elles cherchent à le joindre pour lui signaler ma présence. J’apprends qu’ils ont du faire face à une défaillance mécanique, ce qui se traduit à leur arrivée par une explication plus rationnelle. Le bus a été retardé car des soldats à un barrage exigeaient un pourboire. Il n’a pas voulu payer. Ils ont retenu le groupe un peu plus longtemps. En l’attendant, j’ai fait connaissance avec les filles en anglais et me suis enduit le corps d’huile de coco, une des meilleures qui soit pour apaiser les coups de soleil. A bicyclette, je fais le tour de la lagune et en viens à croiser les sièges sociaux de deux NGO bien connues, l’hôpital en face duquel je suis logé, la bibliothèque publique, la prison et le fort hollandais qui attend ses futurs visiteurs. Ce dernier avec des restes de poutrelles calcinées et des abris anti-mortier me donne l’impression qu’il était encore récemment utilisé. Il renferme actuellement des bureaux administratifs aussi divers que ceux de la justice ou bien ceux délivrant les cartes grises lorsque le propriétaire d’un véhicule change. Il est à noter que les ministères de la justice et tous leurs associés, les procureurs, juges et avocats sont des quartiers sous haute surveillance et m’ont l’air particulièrement occupé dans toute l’ile. Est-ce un bon fond de commerce dû à la résolution du conflit ? Y-t-il des comptes à régler par voie de justice ou des actes de propriété à faire valoir ? Batticaloa me laisse une bonne impression.

Batticaloa – Trincomalee- Nilaveli (113 km).
Je quitte les filles qui ne s’attendaient pas à ce que je parte sitôt. Avant de faire une pause à l’orphelinat, j’ai pu remarquer des femmes tamoules particulièrement bien habillées en passant sur la route. Cela s’est répété plusieurs fois. J’ai demandé si c’était un jour de fête. Tout le monde m’a démenti et affirmé que ce n'en était pas un. J’ai pensé à une procession religieuse liée au cycle de la pleine lune. Je m'arrête une bonne heure seulement à l'orphelinat avant de me faire déposer à la sortie de Batticaloa en direction de Chenkalady. Je gagne Erawur en “three-wheeler” – tuk-tuk thaï plus communément appelé trois-roues – avec un Tamoul qui, lui m’affirme que la lutte n’est pas finie.
- “Cela va durer six mois puis tout va recommencer ensuite. “Ils” (le gouvernement) n’ont rien fait”. Il a visiblement l’air amer et la rage aux dents. Son ami, le chauffeur du "trois-roues motorisé", lui a demandé de l'accompagner. Ils se rendent jusqu’à Chenkalady où ils vont déposer un Frigidaire. Ils me déposent lorsqu’ils tournent vers la plage. J’avance à pied et saisis l’opportunité d’un motocycliste casqué qui hésite car il ne peut pas m’en procurer un. Au Sri Lanka, porter un casque est obligatoire. Les deux localités que je viens de dépasser sont à dominante musulmane comme Kalmunai mais à partir de maintenant, je plonge en pleine réalité tamoule. Au fur et à mesure que nous progressons, je vais voir les peaux se déchirer et les crochets enfoncés dans les muscles dorsaux se tendre sous la traction de mains amies peu complaisantes. Des équipes de deux personnes, chacune surmontées d’un arc de plumes d’oiseaux déployées et montées sur un cerceau qu'elles portent sur leurs épaules faisant penser à la roue du paon, se déplacent et tractent un chariot à l’aide de cordes accrochées à des crochets plantés dans le dos. Ont-ils recours à un anesthésique ? Les mêmes se sont soit enfoncé une épingle dans la bouche, soit percé la langue, soit embroché les deux joues. Un pouvoir de concentration important permet d’endiguer la douleur mais ce n’est pas vraiment ma tasse de thé. Je passe volontiers outre ce genre de manifestation à mes yeux plus spectaculaires qu'utiles où l’un fait une démonstration et les autres regardent la pitreries du premier tel un mauvais élève en classe qui fait rire ses camarades. Des processions coupent la route venant de nulle part et allant nulle part ou d’un petit temple vers un autre. Sur la route, un homme seul "accroché" dans le dos se laisse tomber et pendre vers le sol retenu par une personne derrière lui. Il a les yeux qui plafonnent et semble au bord de l’évanouissement. Une foule – quelques hommes et des femmes plus nombreuses – assistent au spectacle. Jusqu’où repoussera-t-il ses limites ? Je ne cherche pas à le savoir, je ne fais que passer. Des orchestres bruyants de tambours et percussions accompagnent de telles manifestations propices à la transe. Ils ne doivent peut-être pas comprendre que je ne m’arrête pas pour faire des photos. Je ne veux pas en faire une attraction publique bien que c’en soit une aux yeux des autres.
La nuit de pleine lune n’est que vendredi. Dernière manifestation de ces trois jours de folie qui s’annoncent dans une petit bourgade. Un corps accroché par la peau à un bras de grue actionné d’un tracteur se balance au-dessus de la foule qui l’observe. On dirait un ange version hindoue qui va atterrir dans la souffrance. Ne plane-t-il pas en l'air pas un peu du Christ rédempteur qui s’est offert en sacrifice pour racheter les péchés des hommes ? Depuis que je médite, je suis devenu plus sensible à la douleur des autres. Je trouve assez aberrant de se retrouver dans de telles situations et conditions de survie. Toutefois, chacun est libre de ses mouvements et de ses choix.



Dommage pour les plages de Passikudah et Kalkudah, celles aux 3000 / 5000 plagistes selon l'estimation d’un autochtone, que je ne foulerai pas. Je suis certain que si j’y passais maintenant, je n’y verrai personne sur le sable et serai seul pour la nuit même si tous les terrains ont été adjugés et vendus depuis longtemps. Mr. Linko m’a prédit un boom immobilier dans le coin dans les années voir les mois qui viennent. Heureux seront ceux qui les premiers récolteront la manne tant espérée après des années d'austérités dû à la guerre. Je comprends difficilement le motocycliste qui m’a embarqué derrière lui. Il marmonne dans un mauvais anglais sous son casque et finit par me planter au beau milieu de Valachchenai. Sans protection, j’ai pu filé avec lui sans être arrêter par les contrôles fréquents. Je comprends juste que je suis à un point de non-retour, un cul-de-sac d’où il me faut faire marche arrière si je veux retrouver la route principale pour Trincomalee. Je suis à quatre kilomètres de Passikudah où je ne veux pas forcément me rendre et autant jusqu’au croisement que nous venons de dépasser si je veux aller vers Trinco. Comme il n'a que l’autobus en tête, comme unique moyen de transport à me proposer pour "me sauver" et me tirer du pétrin dans lequel il m'a mis et qu'il me faut nécessairement revenir sur mes pas, je me fâche un peu et cherche une autre voie d’accès vers les plages du nord. Le boutiquier prés duquel nous nous sommes arrêtés nous vient en aide dans un anglais plus compréhensible. Je suis déçu de m’être laissé emmener si loin sans garder un tant soi peu le contrôle des opérations et réplique brièvement. N’y a-t-il pas d’autres moyens de s’échapper de cet endroit ? En les houspillant, j’obtiens une information précieuse. Il y a un petit bac qui opère la journée jusqu’à 16h00. Manque de chance, il est 17h00. Qu’à cela ne tienne, je veux m’y rendre tout de suite. L'espoir fait vivre ! D’ailleurs, mon motocycliste habite un peu plus loin dans la direction du ferry qu’il doit dépasser pour rentrer chez lui. Par chance, un petit bateau à moteur va traverser le bras de rivière au moment où nous accédons à la berge. Il discute et demande au propriétaire s’il peut me dépanner et me déposer sur l'autre rive. Je parviens en fait seul à me faire comprendre du batelier. Il y a déjà à bord quatre bicyclettes et leurs propriétaires qui attendent le départ et la terre ferme pour remonter dessus. Cela ne pose pas de problèmes à ce que je traverse avec le groupe. Le bateau n’est pas très chargé. J’embarque sans savoir ce qui m’attend de l’autre côté. Cela aura nécessairement un côté bout du monde nature et sauvage. Je serai au plus prés de la côte. Nous sommes jeudi soir à deux nuits de la pleine lune et grâce à la clarté, je peux marcher aussi longtemps que je le souhaite sur la plage. Je demande à un passager de l'embarcation quelle piste mène à la mer. Les cyclistes m’indiquent le chemin. Je me demande s’ils m’ont bien compris. J’ai peur de me retrouver dans une voie sans issue, celles auxquelles l’on a faire face lorsque l’on se retrouve devant une étendue d’eau, une lagune ou une rivière à traverser comme celle que je viens de croiser. Il suffit certes de construire un raft et de s'aider des mains et des pieds pour le diriger avant d'atteindre l'autre rive sain et sauf. Je longe justement une immense tâche sombre apparentée à un volume d'eau assez conséquent sur ma gauche. Je dois tourner dans cette direction au bout de ce chemin poussiéreux parsemé de rebuts naturels. Pas de traces de déchets humains. Je viens pourtant de croiser un homme à proximité de sa cabane. Je suis à l’entrée d’une cocoteraie dont le soleil couchant dore les palmes prêtes à s'amender de leurs troncs. Elles ont vécues et laissent leur place à d’autres croissantes.



La végétation nait, croit et meure elle aussi, processus naturel que rien ne peut arrêter. L’étendue d’eau est un phénomène naturel dont je ne peux pas nier l’existence. Est-ce que je me plante en continuant ainsi ou vais-je arriver à garder les pieds sur la terre ferme ? Mes doutes s’estompent lorsque je vois le mince filet de sable à l’horizon se dessiner à vue d’œil et recoller les deux morceaux. Le plan d’eau est interne et a une connexion avec l’océan en cas de grandes marées. La mer est descendante, ce qui me facilite la marche sur la partie de sable où elle vient de se retirer. Suis-je parti pour une nuit de marche non-stop ? J’apprécie ce moment de solitude et le sentiment de liberté.

Dès que la possibilité de me baigner se présente, je saisis l’occasion. Je ne prends pas soin d’enfiler mon maillot tellement je suis persuadé d’être seul, à des lieues d’une quelconque existence humaine. Me baigner signifie me rafraichir le corps et déboucher les pores de la peau. Cela me requinque même si cela me permet seulement de substituer le goût de la sueur par celui du sel marin. C’est fait en quelques minutes. A la fin d’une belle journée chaude où le moteur a tourné à plein régime et à l’aube d’une nuit de pleine lune, je revigore le corps et l’esprit. Je ne perds pas de temps et poursuis ma longue marche laissant dans mes pas quelques embarcations entreposées sur le sable.



Je suis pas à pas le filet d’eau salée qui vient mourir à mes pieds se perdant dans les profondeurs du sable blond. J’évite qu’il ne vienne me mordre les sandales. Il est toujours plus pénible de marcher avec des va-nu-pieds mouillés. J’aurais du les retirer car elles ne sont plus très solides. Avec la semelle qui adhère au sable tassé, je dois forcer et enlever le pas, le cou de pied forçant sur la lanière et celle-ci n’y résiste pas. Elle me trahit et me lâche. Cela ne serait pas arrivé si j’avais été nu-pieds. Je les retire avant qu’elles ne soient complètement hors d’usage et les place dans mon sac plastique. Je continue pieds nus. Des bateaux de pécheurs croisent au large. Les lumières qu’ils utilisent à bord sont mes seuls repères à l’horizon. Il y a la forêt d’un côté, le ruban de sable blanc sur lequel je suis lancé et l’immensité marine de l’autre, le tout recouvert d’une voûte étoilée dont la lune semble l’étoile-chef. J’aperçois une lueur au loin. Je m’en approche rapidement. Après une demi-heure de marche, je commence à distinguer des formes humaines assemblées sur la plage autour d’un filet. Serait-ce un retour de pécheurs ou une action de représailles ? Des soldats sont présents, ce qui me fait penser au pire. S’il s’agit d’une action militaire contre d’éventuels rebelles tamouls, d’un coup de filet ou bien d’un ratissage, je suis dans de beaux draps. J’ai tout faux et je peux repartir d’où je viens. D’un bruyant “Good Evening” pour ne laisser aucun doute quant à mon origine, je m’annonce et m’avance vers le groupe surpris de me voir surgir de “No Where”. Après que les deux soldats présents aient essayé de me poser des questions, un poissonnier, bien habillé, chaine et montre en or au cou et au poignet, l'un de ceux qui les achètent par filet entier ou en gros, discute un peu avec moi en anglais. Même si les interrogations fusent de part et d’autres de la vingtaine de pécheurs présents, personne ne trouve rien à redire quant à mon équipée nocturne. Je peux prendre congé et poursuivre.

Il n’y a pas de village proche dans les environs immédiats. Il n’est que 19h30. Je peux marcher encore trois heures et parcourir presque vingt kilomètres. J’envisagerai alors la suite à donner à mon aventure sur la plage. Quand je croise des embarcations, j’en mesure la profondeur et la largeur pour savoir si elle peuvent recevoir pour quelques heures de repos un corps fatigué. Les petites à balancier sont trop étroites tandis que les barques à fond plat recèlent des montagnes de filet de pêche sur lesquels je peux m’allonger, ceux-ci étalés pouvant servir de matelas. Il ne fait pas froid et il est impensable qu’il pleuve. J’ai de toute façon mon drap-couchette dans mon sac à main au cas ou. La plage de sable blanc s’effiloche et la végétation vient empiéter sur mon territoire. La mangrove fait son apparition. Je la contourne facilement en empruntant l’étroite bande de sable découverte par l’eau refluant. Heureusement que la mer est descendante. Je ne passais pas à marée haute. Un bras d’eau identique à celui dessiné par un delta rentre à l’intérieur des terres. Je trempe les doigts et la goûte pour voir si elle est salée. Elle est surtout sale. L’eau marine remonte-t-elle ? Est-ce un marécage qui s’annonce ? Si je passe le premier bras et que d’autres telles d'innombrables tentacules s’annoncent et m'entourent, je vais devoir faire demi-tour. Après maintes hésitations, je décide de poursuivre et rattrape le bord de mer. Je retrouve la plage. La clarté de la lune me permet de guider mes pas et deviner ce qui vient devant moi. A une pointe, langue de terre tirée dans l'eau, un feu est allumé. Je salue deux jeunes tout étonnés de voir un Européen en ce lieu peu propice à une telle rencontre. Ils restent cois. La peur sans doute les a saisi et les a figé dans un silence où le minéral est l’élément dominant. Mon champ d’action est restreint et je suis en équilibre instable et précaire entre les pieds de mangrove à découvert et l’élément liquide dominant dont la ligne d’horizon appartient à d’autres sphères. Comme si cela ne suffisait pas, je me mets à fouler nu-pieds des coquillages et autres morceaux de massifs coralliens. Je n’ai pas d’autre choix que de jouer à me chausser-déchausser pour éviter la douleur plantaire. Mon expérience et mon bon sens de l’orientation combinés m’aident dans ma progression plus lente. Les deux pieds rétablis sur ce qui se révèle être le croissant sablonneux d'une petite baie, je rencontre trois pécheurs autour d’un feu. Un peu plus loin, un autre, isolé, s’affaire à démêler son filet. Aucun toit ne se profile à l’horizon. Je salue clairement tout le monde. Je croise une vache guidée par un homme suivi par deux autres. La plage est animée ce soir. Il n’y a pas de quoi boire, ni danser mais je ne m'ennuie pas. Il n’y a pas foule mais où peut-on faire de telles rencontres ? Nulle part ailleurs qu’ici et maintenant.

Un second groupe moins imposant que le premier a élu domicile sur la plage pour la soirée. Je distingue un bâtiment à deux étages dans la pénombre. Eux sont assis autour d’un verre, à côté d’une tente qui sert à garder les filets dans la journée. Elle leur sert aussi pour s’abriter du vent et de la pluie. Il est 22h30. Ils me proposent une assiette de riz que je ne saurais refuser. J’en mange trois agrémentées d’un peu de légumes. Je reste une heure en leur compagnie et décide de lever le camp. Le propriétaire de l’endroit me propose de dormir sous la tente à même le sable pour la nuit mais je suis plus exigeant. Je rentre dans le village infesté d’uniformes. Le chemin depuis la plage passe à côté d’un camp militaire dont je devine l’existence à cause des barbelés et des panneaux. Je m’abstiens naturellement d’y pénétrer et de provoquer l’ordre établi. Je demande un peu plus loin à un civil où puis-je me reposer, lui-même ayant recourt à un militaire en poste dans sa casemate. Ils me conseillent de rejoindre la route principale Batticaloa-Trincomalee, ce que je fais. Sampath, 23 ans, dans son poste de garde tout en rondins de bois telle une isba, regarde le match de cricket Sri Lanka-Nouvelle-Zélande. Le cricket est au Sri Lanka ce que le football est en Europe. Les Sri Lankais sont des passionnés de leur équipe nationale. Je lui demande conseil pour la nuit. Il dispose de deux lits mais il ne peut pas me laisser dormir dans celui voisin du sien. Il cherche une solution de rechange. Nous visitons un camp de base d’ouvriers chinois – constitué de trois containeurs accolés - qui œuvrent à la construction d’un pont. Ceux-ci ne daignent pas ouvrir leur porte malgré les somations de Sampath “Army, open the door !”(armée, ouvrez la porte !), effrayés de se retrouver dans une situation dont ils ne pourraient rien comprendre à cause de leur carence en anglais. Un petit magasin avec un avant-toit faisant office de tonnelle jouxte le poste de contrôle. La table déjà occupée par un soldat endormi et deux bancs y ont été disposé. Dans l'espace entre le refuge de Sampath et les containeurs chinois, un camion indien, cabine taillée dans le bois et sans portière, est garé. M’allonger sur la banquette étroite reste la seule perspective de passer la nuit dans des conditions acceptables. Bien qu’aérée, il fait encore trop chaud dans la cabine à mon goût. Je demande à Sampath de baisser le son de la télévision. Dans son enthousiasme pour le jeu, il a tourné le volume à son maximum pour être certainement plus dans le jeu et plus proche de ses joueurs favoris sans oublier que le commentaire est en anglais bien que le match se déroule sur l’ile. Je n’ai pas d’autre solution que de sortir les trois banquettes de la cabine et les accoler sur le sol au pied du véhicule. Les moustiques viennent renifler mes cheveux et danser autour de ma tête. Je retourne le voir avec une nouvelle exigence, une moustiquaire. J’ai rarement recours à une protection lorsque je voyage. Il réussit à m’en dégoter une. Sa gentillesse n’a d’égal que sa simplicité et son côté innocent. Il me donne la permission d’utiliser son téléphone portable si j’en ai besoin pour appeler à l’étranger. Il m’aide sans succès à accrocher la moustiquaire sous la citerne du camion. Avec deux piquets qu’il plante à même le sol, il espère que cela va tenir. Nous sommes contraints de déménager. Je m’installe avec mon sommier trois-pièces que je recouvre d'un fin matelas supplémentaire kaki et ma moustiquaire dressée entre deux rangées de fil de fer tendu qui servent le jour à canaliser les sujets à la fouille corporelle lorsqu’un autobus débarque ses passagers devant le poste de contrôle. Sampath et son supérieur, un colosse, ainsi que les autres soldats réveillés sont pliés de rire de me voir déménager tout mon fatras et m’installer confortablement. Je mets le doigt sur les lèvres et leur intime le silence. Il est environ plus de minuit et l’heure de dormir.

Inutile de dire que dormir dans de telles conditions permet d’être réveillé avant l’aube juste au moment où la nature s’éveille à la vie. Les oiseaux chantent, annonciateurs d’une belle journée. Pas de fanfare, ni réveil au clairon. Le grand gaillard de la veille se lave les dents en maillot de corps au milieu de la chaussée. Il prend la relève de Sampath qui est en train de colmater. Ils se sont allongés déçus d’avoir perdu un match contre la Nouvelle-Zélande mais heureux d’avoir gagner une bataille, celle de la réunification de l'île. Leur optimisme fait chaud au cœur. Je remets la banquette à sa place dans la cabine – trois morceaux d’un puzzle dans sa boite en bois - et rends la moustiquaire à Sampath, bon mousquetaire, valet à mon service d’un hôtel à ciel ouvert. Lorsque celui-ci sort bien rasé et vêtu de son treillis impeccablement tiré au cordeau, il avise le chinois qui sort de son containeur, boite à chaussure grandeur nature qui les abrite et les protège.
- “Eh Mister lou, why did you not help us last night ?” (Pourquoi ne nous avez-vous pas aidé la nuit dernière ?).
L’autre disgracieux et visiblement pas au courant des us et coutumes dignes d’un diplomate l’envoit balader d’une pichenette sur l’épaule. Il n'est pas bien costaud le chinois mais Sampath ne s’y attendait pas et le voilà qui fait deux pas de côté avant de rétablir son équilibre. Je suis assis, buvant le thé du matin. J’assiste à la scène et cela me fait sourire. Le militaire qui joue les gros bras avec beaucoup de gentillesse se fait envoyer paitre. Une carriole bâchée autotractée se présente au contrôle mais je n’ai pas fini de faire le plein de gas-oil, le thé de Ceylan que je consomme en grosse quantité le matin et nécessaire à mes longues journées de vadrouille. Il me faut ma dose de carburant pour pouvoir avancer et marcher sans relâche. Ce qui est pris en volume hydrique n'est plus à prendre et sous ces latitudes, la transpiration intense favorise la déshydratation. Je saute dans la benne d’un camion à multiples emplois jusqu’à Vakarai, zone complètement détruite par le tsunami où les maisons tsunami ont poussé comme les champignons après la pluie. Elles ont du cachet et fière allure ces petites maisonnettes avec leurs vérandas semblables à des mas provençaux. Hier soir, depuis la plage en marchant vers le poste de contrôle, j’ai longé tout un lot de ces maisons particulières. Leurs vérandas étaient illuminées et elles auraient pu servir à illustrer un conte de fée. Si l’aide à la reconstruction permet un plus artistique, pourquoi ne pas s’en passer ? J‘imagine à l’intérieur les petites fées du logis à la tâche dans de bonnes conditions matérielles et les enfants jouant sur le sol sans être réprimandé par leurs parents. La nature tout autour est essentiellement arbustive. La sécheresse des lieux permet à la poussière de prendre de la hauteur et de s’immiscer partout. A Vakarai, les véhicules sont autorisés à traverser le petit bac mais il semble qu’à moitié route entre deux points équidistants, les deux principales villes de liaison de part et d’autre, d’un côté Batticaloa, de l’autre Trincomalee, le monde se soit arrêté. A mi distance de ces deux principales bourgades, les passagers disposent d’une mi-temps pour récupérer, se dégourdir les jambes avant de rattraper un autre véhicule sur l’autre rive. Tous ensemble, ils se dégourdissent le poignet en hâlant le câble auquel est relié la plateforme flottante pour rejoindre doucement la rive comme si elle allait mourir sur l’autre bord. Une mort douce dont ils n'ont rien à craindre si ce n’est qu’elle les remet en orbite sur la piste ensablée bordée de palmiers et autres épineux du même acabit. Au point de débarquement, il y a un autobus qui attend 9h00 pour décoller. Je reçois l’information du poste de contrôle à la sortie de la localité passé le temple hindou qui semble se préparer à la fête à l'approche de la pleine lune. Des stands de confiseries, de babioles diverses ont été installé sans oublier les nombreuses images et posters racoleurs de déités et dieux protecteurs à la vente un peu partout. Je prends une demi heure d’avance sur le bus et deux motos coup sur coup m’en éloignent. Je me doute bien qu’il ne doit pas y avoir beaucoup de circulation au beau milieu d’une zone tampon. Je suis entre deux mondes sur une nouvelle ligne de départ comme si je repartais d'une ligne imaginaire zéro. Ma seconde mi temps commence. J’atteins Mutur vers 10h00 le matin lorsqu’il commence à faire bien chaud. Un véhicule me dépose à un kilomètre de la jetée d’où part un bateau directement vers Trincomalee alors qu’il y a une route de vingt-quatre kilomètres qui la rejoint. Je ne suis pas au courant de cette liaison maritime et préfère continuer par voie terrestre. Je ne suis pas sans savoir qu'il y trois autres ferries qui m'attendent, ce qui à mon goût donne un côté assez pittoresque à ces derniers kilomètres avant d'atteindre Trincomalee. Le bateau s’y rend en une heure et demie pour un dollar et demi (10 000 roupies sri lankaises selon les uns / 15 000 selon les autres). Lorsque j’hésite à le prendre, je suis déjà revenu sur mes pas après que le camion m'ait déposé et vu l'heure, il est trop tard pour attraper le bateau. Le départ collectif est à 10h30 le matin et 16h30 l’après midi. Il doit partir plus tôt de Trincomalee et faire deux aller-retour dans la journée. Je suis lancé sur la piste poussiéreuse qui conduit au premier petit ferry gratuit où il faut payer son passage en nature en tirant de nouveau sur le câble pour passer de l’autre côté et donner de l’impulsion à la petite embarcation. Un véhicule ou deux à la fois sont embarqués sans compter plusieurs deux-roues qui s’intercalent de façon désordonnée et se soucient plus de monter à la va-vite sur le bac avant reprendre leur communication, leur portable collé à l'oreille; plutôt que de se soucier des suivants et leur faire de la place. D’ailleurs, lors du passage du deuxième bac, le chauffeur d’un combi, trop occupé à téléphoner, rate la tôle qui sert de tête de pont pour monter sur la plateforme flottante. Il n'a pas assez porter l'attention sur ce qu’il était supposé faire. Il insiste. La roue de derrière patine et creuse son trou. Il s'ensable lamentablement. Tous les hommes disponibles s’y mettent et l’aident à s’en sortir. Je le blâme mais par malchance, scénario identique avec le conducteur du combi dans lequel je voyage. Le bateau a bougé à cause du mouvement de l’eau, ce qui a légèrement déplacé la tôle du pont qui sert de point d’appui à la montée. La roue s’est retrouvée dans le sable mou et est venu buter sur la tôle qui, au lieu de faciliter la montée est devenu un obstacle. La roue arrière du véhicule s'enlise. Le groupe parvient à vaincre la difficulté et l’espace disponible alloué aux véhicules suffit à peine aux deux minibus. Un moteur de hors-bord accolé à la plateforme flottante aide à diriger la traversée pour le troisième bras d’eau. Plus nous avançons vers Kinniya, un nom qui a un petit air d’Afrique, plus les bras d’eau sont importants avec toutefois des traversées qui ne dépassent pas la vingtaine de minutes, sans compter les délais d’attente causés par les aléas, les inconvénients ou autres incidents techniques du même genre, plus souvent à l’embarquement qu’au débarquement. A Kinniya, un pont en cours de construction et opérationnel dans quelques mois enjambe le dernier bras d’eau. J’assiste aux derniers moments d’un passage à l’eau qui n’aura plus lieu d’être d’ici un proche avenir. La période de paix est propice à la reconstruction du pays.

Au transporteur – le nom du combi VW qui m’emmenait et la profession du gars qui m'a embarqué – succède un grand-père respectable avec son petit-fils et son chauffeur. Le petit-fils saute à l’arrière avec sa grand-mère assise derrière les ridelles. Il me laisse à l’entrée de Trincomalee que je rejoins tranquillement assis à l’arrière d’une motocyclette. Je trouve la ville d’emblée sympathique. Le dôme blanc du stupa et le Bouddha immaculé qui se dresse à l’intérieur des murs de la forteresse attirent mon attention. Je m’y rends en slalomant à travers les maisons de pêcheurs curieux qui cherchent à discuter. Je remarque au passage à l’entrée du fort, les eaux turquoises qui incident à la baignade. Je réponds à l’appel du stupa et trouve le lieu vide, tout-a-fait ce dont j’avais besoin pour me reposer. Du calme et un peu de solitude. Même dans la foule qui se presse pour visiter le temple hindou, il est possible de trouver la paix et la quiétude sauf quand les gens crient, chantent ou sont trop bruyants. Un seul être dans une foule agitée peut être calme et en paix avec lui-même. Une mer houleuse et déchainée peut engendrer un calme intérieur. La sérénité et la paix en soi est intérieure tout comme la joie de vivre qui n’a pas besoin d’apparences physiques pour être exposée et être vécue et expérimentée. La danse ou d'autres moyens d'expression artistique n’aident pas forcément une personne à être heureuse bien que ce soient des outils pédagogiques qui peuvent y concourir. Dix minutes seul de “recueillement” valent mieux qu’une mauvaise nuit de sommeil.

Je rencontre un Russe motorisé lorsque je monte au temple hindou situé au sommet d’un rocher, véritable nid d’aigle avec une vue imparable sur la baie naturelle de Trincomalee réputée pour son port en eaux profondes. Du plateau, la vue en contrebas sur les rochers émergeants de l’eau est magnifique et met en valeur la limpidité des eaux claires qui laissent deviner les bas-fonds marins. Ce rocher est l’antre de déités hindoues et mérite de les abriter. Je descends de la montagne pour me baigner et aller goûter à l’eau fraiche après toutes ces péripéties de la journée qui n’est pas finie. Je procède à un décrassage des glandes sudoripares dans l'après-midi puisqu’il est à peine 16h00. Je remonte ensuite côté goudron longeant mes maisons de pêcheurs pour continuer dans la rue des bijoutiers parallèle à la plage qui court vers le nord jusqu’à Nilaweli. Y-t-il autant de gens si riche à Trincomalee qui puissent se permettre d’acheter de l’or ? Les joailliers patientent derrière leurs vitrines et attendent les clients éventuels. Quelques bijouteries sont visitées par des femmes. Au bout de la rue, j'attrape deux professeurs d’université avec lesquels je continue un bout de chemin. Je marche un peu sur la route en rénovation et un combi familial m'emporte et me dépose à la barrière de l’hôtel coral bay où je fais un brin de causette avec Salman, le directeur. Je lui demande la permission de traverser la pelouse pour rejoindre la plage. Il me donne quelques tuyaux quant à l’état de la plage vers le nord. Il me dit qu’il héberge un couple qu’il pense être français quand je vois le Russe arriver avec sa moto. Il m’avait dit qu’il avait laissé sa copine sur la plage. Je lui confirme qu’ils sont russes et non pas français. Après que Salman m'ait offert une bouteille d’eau bien fraiche. je le laisse et contourne la piscine avant de gagner le sable. Je ne remonte pas bien longtemps la plage lorsque je suis interpelé par Edgar, un homme vaillant à la forte carrure et la poitrine velue. Un descendant de Portugais au nom évocateur de Edgar Sunil da Fonseca, lui-même ancien marin, marié trois fois dont les deux fils de son premier mariage âgés de 22 et 26 ans vivent à Paris. Lui aussi cherche quelqu’un pour s’associer et investir dans la construction d’un hôtel. Il me déballe les chiffres de son projet. Je l’écoute à peine. Il a une fille de 21 ans à la maison. Avant que sa femme n’arrive pour dormir sur la plage et garder les filets et autres outils nécessaires à la pêche dont un moteur deux-temps, nous dinons frugalement d’une petite assiette de riz. Il conspue un peu ses fils qui ne lui envoient pas l’argent dont il a besoin, mille euros pour chaque investisseur recruté parmi leur cercle d’amis, et qu’il leur demande pour assurer la viabilité de son projet immobilier. Il m’offre de rester pour la nuit mais je décline l’invitation. Lorsque je décide de revenir sur mes pas pour rejoindre la route, je dois couper court par une propriété qui appartient à un vieil hindou. Je lui dit que je cherche un toit pour la nuit. Il m’explique qu’il a perdu sa maison avec le tsunami. Ses enfants lui ont donné de l’argent – des économies qu’ils ont réalisées - et il vient juste de finir la peinture de la maison qui nous fait face. Je lui dit qu’elle a fière allure et qu’il va pouvoir l’habiter avec toute sa petite famille mais il a l’intention de la louer. Je lui affirme que je peux être ce visiteur de la première nuit qui peut lui apporter la chance. Il ne m’a pas attendu pour la cérémonie d’offrandes aux esprits, gardiens des lieux, le plateau à même le sol en témoigne avec une noix de coco brisée et de la fumée d’encens. Il accepte de m’héberger pour la nuit. Je suis le résident d’une nuit dans une maison neuve dont la construction – en l’occurrence, la finition et la peinture intérieure – coïncide avec ma visite. Quel heureux hasard qui fait de moi, le voyageur sans toit, ni loi, le locataire d’une nuit d’une maison neuve.


Nilaveli – Thiriyai – Pulmodai - Padaviya (120 km).
Au lieu de pousser plus au nord en longeant la cote vers un village de pêcheurs musulmans, je préfère revenir en direction de Trincomalee et rattraper la route principale afin de garder une chance de pouvoir visiter Jaffna. Je contourne le centre-ville et après avoir emprunté successivement plusieurs deux-roues, je finis aux bains publics, une source naturelle d’eau chaude dédiée aux dieux hindous où tout le monde s’asperge en famille et collectivement. Peu se découvre. Je suis peut-être celui qui a le plus besoin d'être douché mais je ne peux pas me permettre de marcher avec des vêtements mouillés, le frottement des pantalons humides entre les cuisses provoquant des irritations. Je fais juste un aller-retour à la source et assiste aux réjouissances collectives. Un moine Theravada collecte des fonds pour la reconstruction et la rénovation d’un temple que je projette de visiter. Toutes les tendances religieuses, majoritairement hindoue et bouddhiste, se retrouvent ensemble dans les fêtes qui sont basées sur le calendrier lunaire dans le cas des deux religions précitées. Il ne doit pas être bien facile pour un occidental néophyte de savoir qui est qui et différencier la robe des uns et des autres surtout quand les mendiants et autres quémandeurs professionnels sont de la partie et revêtent soit l'une soit l'autre. Pour recevoir des dons, certains haranguent la foule avec des incantations dédiées aux dieux du panthéon hindou alors qu'ils portent une robe de moine theravada qu’ils ont du ramasser comme cela se faisait du temps du Bouddha. Selon le dixième précepte, un renonçant du "petit véhicule" ne doit pas recevoir, ni toucher, ni accepter ou utiliser de l'or ou de l'argent (métal et monnaie).

Lorsque je saute dans la benne d’un camion pour parcourir deux kilomètres avant de prendre un chemin de terre, deux soldats me voient et arrêtent naturellement le véhicule. L’un d’eux sans un mot d’anglais insiste pour que j’en descende. Je refuse. Il n’a pas d’autre solution que de me laisser filer jusqu’à l’embranchement où quatre kilomètres me séparent d'un ancien monastère (Velgam Vihara, 3ème siècle ap J-C) constitué d'une statue antique de Bouddha en pierre et de bases concentriques d’ancien stupa en briques détruits qui ne valent pas vraiment le détour. Dans la salle des donations, des photos accrochées au mur qui n’ont pas forcément leur place dans ce lieu, font preuve de l’atrocité des attentats commis par l’organisation terroriste LTTE au cours de la dernière décennie. Je quitte les lieux avec la recommandation d’un responsable militaire auprès d’un groupe voyageant en bus. Je leur demande de les accompagner jusqu’au remarquable temple bouddhiste de Thiriyai, qui bien que distant de quarante-cinq kilomètres de la route principale, vaut lui, le détour. Les ruines du temple avec vue sur la mer relativement proche, sont situées sur une colline accessible par deux escaliers. Les visiteurs peuvent fouler les dalles de pierre sur lesquelles a été érigé un corps de stupa de forme conique aux murs de briques. Un camp militaire imposant jouxte les ruines du temple, ce qui met un bémol à la quiétude de l’endroit et à la sérénité habituellement dégagée par ce genre d’édifice. J’ai envie de leur faire un pied de nez, ce qui n’est pas bien malin, je l’avoue. J’agirais de même si les uniformes n’étaient pas là. Je viens de parcourir 45 km depuis la route principale et ne veux pas faire le retour avec l’autobus sur la piste poussiéreuse. Du haut du second escalier orienté vers l’ouest, je contemple l’océan et ne peux résister à m’envoler vers le rivage. C’est comme si je prenais mon envol et sautais des ruines du temple pour atterrir sur le sable doux sauf que la réalité est toute autre. Il n’y a pas de piste tracée jusqu’à l’océan, rien que du bush et des crottins d’éléphants sauvages. J’ai du mal à y croire mais elles sont pourtant réelles, de pareils boulets sont impressionnants à l’œil nu. Il y a bien sûr les bouses des buffles d’eau reconnaissables entre milles car j’ai baigné dedans tout petit dans celles des vaches dans la ferme en Normandie.



En descendant rapidement l’escalier, j’entends quelqu’un me crier : “where are you going ?” (Où allez-vous ?) sans y prêter attention tellement je suis concentré sur le fait de m’éclipser subrepticement et m’évanouir dans la nature. La question m’est naturellement adressée. Si la personne qui me pose la question, sans avoir reçu de réponse de ma part, reporte mon escapade et ma disparition, les militaires risquent de lancer des recherches et je dois surement avoir déjà des soldats à mes trousses. Je ne serais pas étonné non plus s’ils m’avaient plus particulièrement à l’œil étant donné qu’il ne doit pas y avoir beaucoup d’occidentaux visitant ce temple à l’écart dans un coin perdu du pays qui, il n’y a pas encore bien longtemps, était un bastion des Tigres Tamouls. Si les soldats assignés à la surveillance du temple ne me voient pas redescendre par l’escalier principal emprunté par les pèlerins pour rejoindre le parking, vont-ils s’inquiéter et réagir ? Je suis en plein champ de bataille, les morceaux de métal jonchant le sol – je n’en connait pas le nom exact car ce sont des pièces elles-mêmes parties d’armes de jet ayant explosées - en sont la meilleur preuve, qui plus est, sur la piste des éléphants. Je peux me rassurer en pensant que si les pachydermes sont passés par là, il me suffit de les suivre à la trace et de mettre mes pieds dans leurs empreintes sans me faire exploser. Je ne dois pas peser bien lourd à côté d’eux. Si l’engin n’a pas explosé à leur passage, il y a peu de chance qu’il le fasse maintenant. Je fais peur à deux troupeaux de buffles d’eau qui détalent dans deux directions opposées. Je perds de vue le rocher, promontoire sur lequel est construit le temple. En coupant court à travers le bush, je dois éviter les arbustes et me baisser pour passer sous les épineux et dans les taillis qui me retiennent au passage. Il est midi et le soleil est au rendez-vous. Je préfère suivre la piste des éléphants plus large à celle des bovidés. Les pachydermes ne font pas dans le détail. La nature semble dévastée, les branches ployées après leur passage. Je n’ai pas rempli ma bouteille d’eau car je ne savais pas que j’allais battre la campagne et courir le bush. Je suis à sec et n'ai pas de réserve. Je sais aussi avec certitude que la côte n’est pas loin. Ce n’est qu’une question de minutes avant de la rejoindre à moins que je ne tourne en rond et ne m’y retrouve pas. Je n’aperçois plus mon rocher de départ mais un autre que je n’avais pas remarqué pointe à l’horizon. Il a tout l’air d’un poste d’observation idéal et je suspecte qu’il abrite un ou deux soldats en faction. Sur l’énorme rocher, un plus petit semble avoir été posé là comme s’il y avait une filiation entre les deux entités minérales, la mère et sa progéniture. Il n’y a apparemment pas âme qui vive dans les environs. Une antenne radiophonique a été érigée sur un terrain que je localise près de la côte. Je décide d’ignorer le rocher pourtant bien attractif et de ne pas rejoindre le pied de l’antenne. Je laisse l’un sur ma gauche et l’autre sur ma droite et coupe au plus court en passant par le milieu. Je ne veux pas éveiller les soupçons de qui que ce soit et le plus important à mes yeux est de rejoindre la plage. Elle est droit devant, je n’en doute pas.

Un barrissement sur ma gauche, à coup sûr, une harde d’éléphants au repos. S’ils surgissent, leur laisser la priorité. Dans le pire des cas, s’allonger, s’aplatir et ne se relever que lorsqu’ils sont hors de vue. Je me retrouve confronté à un long ruban asphalté, construit récemment, légèrement surélevé, coupant en son milieu une étendue de terre aride propice au recueil des eaux durant la saison des pluies. Je vois arriver une bicyclette. Je me cache derrière un buisson. Je grimpe rapidement sur le goudron mais j’hésite quant à la direction à suivre. Un véhicule immatriculé avec une plaque UN (United Nations = Nations Unies) survient et s’arrête. Il roule deux kilomètres avant de s’arrêter au passage d'un cours d'eau. Les deux gars supervisent la construction d’un pont avec la participation d’ingénieurs et ouvriers indiens. Après le passage du bac, les militaires se montrent tatillons pour me laisser poursuivre mon chemin. Je garde ma bonne humeur et la dilue dans l’immonde sirop qui m’est proposé pour me rafraichir. Le rafraichissement attire les mouches. Plus il y a de mains et de bouches qui se préoccupent de mon cas – les ingénieurs indiens s’invitent à la discussion – moins la solution finale est évidente et a de chance d’émerger. Personne ne prend la responsabilité de me laisser aller. Pourtant, sans élever le ton, d'une voix qui ne laisse planer aucun doute, je récupère mon passeport et suis libre de poursuivre à pied. Etonnant, non ? Trois kilomètres à pied jusqu’à Pulmodai quand j’entends de nouveau le barrissement des pachydermes dans mon dos, en fait le glissement des portiques des grues sur le rail pour diriger l’élévation de la structure métallique.

Pulmodai ne doit pas avoir vu débarquer beaucoup de touristes depuis trois décennies de guerre. Je bifurque avant le centre direction la plage. Je coupe au plus court par les champs et me baigne par cette chaude après midi histoire de mettre une fin à ces histoires d’éléphants. Quand je remonte, je me fais appeler par deux soldats probablement endormis lorsque j’ai pris la clef des champs vers la plage. A peine réveillés, ils se passent de l’eau sur le visage. Tout comme ils ont eu l’air de me remonter les bretelles, je les rabroue et les mets au pas quand ils veulent fouiller mon sac. Je leur mets mon maillot de bain encore humide sous le nez. Ils me laissent partir. J’évite un banc de rocher qu'une pinède protège avant de revenir vers la plage. Un lot de raies Manta géantes gisant sur le sable noir attend d’être découpé et envoyé à Trincomalee. Je longe la plage et m’arrête près des bateaux de pêcheurs. Certains viennent me demander d’où je suis originaire, tous étonnés de voir un étranger se balader dans ces eaux pas encore accoutumées aux touristes. Il y a tellement de gentillesse et de délicatesse dans leurs propos comme s’ils avaient peur de se montrer trop brusque et d’effrayer l’oiseau sauvage venu se poser sur le rivage. Leur curiosité est d’une simplicité désarmante. Je dois de nouveau quitter le sable pour la terre ferme, la Navi occupant le terrain qui borde la mer. J’irai bien volontiers à Kokkilai même si je dois faire demi tour et revenir à Pulmodai mais j’ai l’opportunité sous la forme d’un deux-roues d’aller à Padaviya. Les soldats au poste de contrôle m’ont demandé de ne pas rester pour la nuit et il est question d’un couvre-feu. J’ai juste le temps comme je l’avais prévu de rejoindre Padaviya et d’y trouver refuge pour la nuit. Je peux toujours revenir demain matin.

Lorsque je vois le nombre de poste de contrôle à franchir si je veux revenir, je suis persuadé que je ne serais pas autorisé à revenir en arrière. Je suis passé de l’autre côté car j’étais en autobus avec le groupe sur la piste qui menait au temple. Sur la partie de route asphaltée venue de je-ne-sais-où, il y avait probablement plus d’un barrage. Je comprends maintenant les réticences des soldats au barrage qui ne devait pas être le seul à franchir. Je suis chanceux d’avoir pu arriver à Pulmodai sans ennuis. Je suis sur un circuit d’une bonne centaine de kilomètres. Le goudron prend naissance quelques kilomètres avant les travaux du pont mais il s'évanouit de nouveau dans la nature après Pulmodaï au niveau des camps de refugiés qui foisonnent sur le bord de la piste. Dans un parc entouré de barbelés, des petites cabanes à l’espace vital réduit, en tôles ondulées, toutes mitoyennes les unes aux autres, habitent le premier tandis que le second, visiblement plus ancien, est parsemé de tentes où les bâches sont prioritaires. S'il n'y avait pas la clôture pour arrêter la succession des logements précaires et recommencer une autre chaine à l'autre bout des fils barbelés, cela donnerait un enfilement d'abris contigües comme des perles accrochées à un fil. L'herbage plantée de tentes ressemble à la feuille du cahier de l'élève qui retourne à la ligne à cause de la marge. Vu la hauteur des habitats de substitution, il est normal de voir les gens qui en sortent, le dos courbé et les visages émaciés. Pendant la saison des pluies, lorsque le niveau d’eau monte et inonde les camps, les refugiés vivent sur la piste légèrement en aplomb. Mon chauffeur souhaite prendre un raccourci vers Padaviya mais il n’y est pas autorisé au carrefour où il veut tourner par les trois gardes de faction. Ma présence gêne visiblement les trois troufions et complique leur tâche. Nous devons passer par le poste principal avant de tourner sur la droite vers Padaviya. Ayant atteint celui-ci, les jeunes recrues ne savent pas trop quoi faire jusqu’à ce que survienne un gradé qui ordonne la fouille de mon sac et m’autorise à passer la nuit à Padaviya dans l’un des temples bouddhistes. Une chambre de trois lits est à ma disposition. Le temple sert d’endroit de transit pour les camionneurs lorsqu’ils font des livraisons dans le coin ou à toute autre personne de passage. Des statues anciennes sans tête datant du 2ème ou 3ème siècle sont apposées près d’un arbre tandis qu’un Bouddha géant, composé de bouses de vaches séchées plaquées sur une armature en grillage, repose, assis en lotus, adossé à l’ombre d’un arbre. Les unes comme les autres, désintégrées par les années, érodées et marquées par les méfaits du climat, ne sont pas faites pour durer. Ah ! non-permanence (Dame Anicca) quand tu nous tiens dans tes bras… Le parc dans lequel le temple a été construit a une superficie de plusieurs hectares. Si j’avais un jour devant moi, je serais volontiers rester mais le voyage m’appelle avec seulement quelques jours supplémentaires avant la fin de celui-ci.



A Vavuniya, où tout était fermé il y a six mois pour cause de guerre, la vie est trépidante. Transactions et tractations sont désormais monnaies courantes. Vavuniya est le centre névralgique où tout le contrôle des marchandises et le transport vers le nord s’effectue. Les Sri lankais y compris les résidents de Jaffna doivent obtenir une autorisation des services des affaires locales pour pouvoir circuler, passer le poste de contrôle et voyager en autobus jusqu’à la ville recluse. Autobus et camions se déplacent en convois accompagnés par des soldats dans chaque véhicule, chargés d’assurer la sécurité. Je suis satisfait d’avoir pu passer le poste de contrôle à la sortie de Vavuniya et hâte le pas avant qu’il y ait un soldat qui revienne sur sa décision de me laisser continuer. Il est 15h00. Un jeune couple tamoul m’invite à déjeuner et me reposer. Leur témoignage est éloquent. Ils ne sont au courant de rien si ce n’est que les contrôles des Tigres Tamouls ont été remplacés par ceux de l’armée sri lankaise. Ils me confirment que le gouvernement cherche à éliminer la culture tamoule et éradiquer la race tamoule. Il est certain qu’il n’y a pas de conflit sans victime et que les Tamouls seront pendant quelques années considérés comme les responsables d’une guerre civile qui a appauvrit l’ile pendant trois décennies. Je me souviens du ferry qui reliait le Sri Lanka à l’Inde au début des années 80/81. Je me suis toujours dit qu’il serait ma seule porte d’entrée sur l’ile car je voyage essentiellement par voie terrestre et / ou maritime, raison pour laquelle je n’étais encore jamais venu sur cette ile magnifique. Puis air Asia est venu et a ouvert une ligne Kuala Lumpur – Colombo depuis le 15 aout 2009. Cédant à la tentation du low-cost (vol aller-retour Kuala –Colombo à 62 dollars), je me suis envolé à la découverte de deux cultures avec des centres d’intérêts plus tournés vers le Bouddhisme. Nulle doute que ce processus de paix – écrasement de la minorité Tamoule par la majorité Singhalaise avec la complicité des Nations-Unies (?) - va relancer le tourisme sur l’ile et profiter à l’Est – ma région préférée avec Batticaloa et Trincomalee – et plus au nord, à “Jaffna la rebelle” dans un futur proche. Il y a des pourparlers pour une nouvelle liaison maritime Sri Lanka – Inde. J’ai rapporté les propos négatifs de certains, notes dissonantes à bien des égards mais n'ai pas oublié les confidences de ceux qui, autant cinghalais que tamouls, sont trop heureux que cette guerre civile soit finie. Les témoignages positifs seraient trop nombreux. La moitié du pays est à reconstruire. Le tourisme mondial est en berne à cause de la crise financière mais il a un bel avenir devant lui sur cette ile enchanteresse si les autorités ne se montrent pas gourmandes et n’imposent pas de restrictions (frais de visa, augmentation de 100% des nuits d’hôtel…).

N.B: A propos de la guerre civile et des ses conséquences, vu de l’extérieur, il est toujours facile d’argumenter dans un sens ou dans l’autre et de prendre position bien assis dans son fauteuil mais il faut comprendre les gens qui vivent dans le pays. Leur quotidien est leur réalité et la paix à n'importe quel prix leur "pain béni".


Eco-partenariat recherché au Sri Lanka sur les plages de Passikudah et Kalkudah.


(Mr. Ilankovan est le troisième debout en partant de la gauche avec des lunettes)

Mr. Ilankovan est responsable d'un orphelinat de 80 jeunes filles tamoule (leur âge varie entre 5 et 25 ans). Il a toujours réussi à subvenir aux besoins de la collectivité dont il est le responsable avec l'aide de mécènes internationaux. Il possède un morceau de terrain de 5 ares près de la gare de Kalkudah qui est distante de 4 kilomètres de la plage de Passikudah.
Avec les nouvelles perspectives offertes depuis la fin des hostilités, il a l'idée de construire des cabines / bungalows qu'il louerait. Chaque cabine serait construite selon les plans et les souhaits d'un commanditaire qui souhaiterait s'investir dans le projet. Toutes vos suggestions sont bienvenues. Les bénéfices dont il tirerait des locations serviraient à aider financièrement l'orphelinat et subvenir aux nécessités du groupe. Ces cabines de plage dont vous seriez partenaires vous seraient réservées 4 mois dans l'année et louées à d'autres le reste de l'année. Vous pourriez les occuper ou y faire venir vos amis.

Contact: Mr.K.Ilankovan jeevajothy@gmail.com kalkudah.ilanko@gmail.com or pasikudah.ilanko@gmail.com
Jeeva Jothy Children’s home : Numéro de téléphone 0094652224573 ou Mr.Ilankovan 0094776323246 (portable).