Le baptême du chien (Ile de Lembata. Indonésie): Plantons le décor ; entre deux rangs de maïs, quatre hommes prêts a tout, un seau d’eau bouillante et des enfants espiègles qui assistent a la scène. L’animal, personnage principal au destin tragique gît sur le côté, la gueule ensanglantée, les pattes postérieures et antérieures liées deux par deux avec un fil de fer trop long qui lui remonte le long du cou et le muselle pour l’empêcher d’aboyer.

Comme si cela ne lui suffit pas pour le faire taire, un homme de main lui assène des coups de bâton afin de l’étourdir et l’assommer. Une main manie le couteau et rase le poil tandis que l’eau bouillante est versée sur la peau nue pour faciliter le rasage. Si la pauvre bête reprend conscience et se plaint, quelques coups bien appuyés la rappelle à la raison. Tète et poitrail sont même totalement immergés dans le seau comme on le fait pour ébouillanter un poulet avant de le plumer. Le chien rasé succombe aux coups successifs et à la douleur insupportable, on le place ensuite sur le feu. On brûle les parties plus difficiles à raser et le gratte comme on le fait pour un cochon de lait. D’un blanc rosâtre, la peau rôtie vire au brun. A ce stade, l’animal le plus fidèle de l’homme est méconnaissable et peut-être confondu avec n’importe quel gibier de la foret. Aucune trace formelle du canidé. Des feuilles de bananier jonchent le sol et protégent les morceaux de viande épars découpés au préalable.

Il faut avoir assisté a l’abattage pour affirmer qu’il s’agit d’un ami de l’homme. Mon amie Maria a une préférence pour l’un d’eux et le prénomme Georges – quoi de plus humain ! - mais son tour viendra un jour futur ou il servira de plats de résistance. Quel contraste avec la cruauté dont ont fait preuve les hommes vis a vis de l’animal ! Aujourd’hui, une quarantaine d’enfants sont baptisés et la viande assaisonnée au curry accompagnée de riz blanc et légumes cuits est l’unique mets de référence. Je remarque seulement son absence en soirée lorsque je regagne la véranda qui m’abrite pour la nuit. Sur les quatre chiens de la famille qui avaient pris l’habitude de passer la nuit avec moi, ils ne sont plus que trois.

Contraste lorsque je débarque en Australie et vois tous ces gros chiens, animaux domestiques choyés et préférés parfois aux enfants qui exigent plus de temps et engendrent des contraintes.

Timor en cours de « pacification ». Dernière île de l’archipel indonésien avant l’Australie (distante d’à peu près 500 km), elle compte, dans sa partie orientale, colonisée par les Portugais jusqu’en 1975, 800 000 Timorais de souche pour 1 000 000 de militaires. Les forces armées indonésiennes ont envahi cette île avec la bénédiction des Américains peu après le départ des Portugais en décembre 1975. Elles l’annexèrent et l’occupèrent jusqu’en 1999, date à laquelle le Timor devint indépendant après un référendum d’autodétermination. Dans cette île montagneuse et aride à la grande diversité des paysages saisissants, j’ai failli y laisser mon âme. Chaleur et générosité des habitants existent malgré leur dénuement : j’ai pu converser couramment en portugais avec les gens âgés de plus de 40 ans. Il faut voir les visages des prêtres (92% de catholiques) s’illuminer et s’expliquer sur la situation de l’île. Le nouveau prix Nobel de la paix Msg. Carlos Bello y représente un signe d ‘espérance pour tout un peuple auquel l’armée indonésienne ne pardonne pas sa résistance. La présence militaire et policière est étouffante et très voyante dans toutes les petites bourgades devenues « garnisons militaires ».
Avec les plus jeunes, je parlais l’indonésien puisqu’ils n’ont pas eu droit à l’enseignement du portugais interdit après 1975.

Dénuement total : « Mieux vaut être pauvre et libre comme du temps de la colonisation portugaise que pauvre en ayant les mains et les pieds liés sous le régime de Suharto » m’a -t-on souvent répété. Pour avoir une idée de la façon misérable dont les Timorais vivent, bien des anecdotes pourraient être racontées concernant leurs conditions de vie.

Ile de Florès : l’énigmatique Kélimutu. Culminant à 1700 mètres d’altitude, c’est l’un des plus remarquables volcans d’Indonésie. Facile d’accès, les Indonésiens l’atteignent souvent le souffle coupé. Ils le craignent car, pour eux, le volcan est habité par les esprits. Sa particularité est d’avoir trois lacs dans son cratère, de trois couleurs très différentes et d’une exceptionnelle beauté qui vous séduit et vous attire. L’un est vert émeraude, les autres bleu turquoise et noir. C’est vraiment étrange de trouver des couleurs si distinctes en un même lieu. L’explication rationnelle est que des minerais différents dans la roche de chaque cratère donneraient ces teintes. Les lacs changent de couleur au fur et à mesure que les heures passent. Chaque année, des processions montent des villages avoisinants jeter dans le cratère des offrandes : une chèvre, des fleurs…Pour les habitants, chacun des lacs est voué à une catégorie d’âmes distinctes ; ce qui explique la variété de couleurs. L’un des lacs est réservé aux nymphes, l’autre aux enfants et le dernier aux ancêtres. Le mystère demeure.

Les Célèbes (Sulawesi) : 300 km en 5 jours de marche dans le pays Toradja L’île avec ses étranges bras qui s’avancent dans la mer est souvent comparée à la forme d’une orchidée. De nombreux groupes ethniques la peuplant ont gardé leur originalité. Le pays Toradja doit sa réputation aux buffles et à la mise en scène pendant les cérémonies funéraires qui accompagnent le passage du défunt dans l’au-delà. On trouve une campagne magnifique au milieu de laquelle il fait bon aller à pied mais attention les dénivellations ! C’est pas du tout plat. Les rizières en gradins sont coincées entre de superbes collines verdoyantes. Les villages sont protégés par des rideaux de palmiers. La légende raconte que les Toradjas sont venus du continent asiatique (actuellement Chine et Vietnam) par bateaux et qu’ils furent chassés dans les montagnes de l’intérieur par l’envahisseur musulman. Ces ex-coupeurs de tête se sont servis de leurs bateaux retournés pour s’abriter, d’où la forme de leur habitat traditionnel. Catholiques, ils élèvent des porcs, cultivent du riz et boivent du vin de palme transporté dans des bambous rouges d’où s’échappe une mousse blanche à cause de la fermentation.

Bateau-stop à Bornéo. Si j’ai pu quitter Atapupu (Timor oriental) avec un pétrolier, c’est avec des pêcheurs locaux que j’ai atteint les Célèbes. L’équipage du tanker (bateau-citerne) était Sri lankais aux commandes et les équipiers de base indonésiens. Il me fallut une semaine entière de démarches incessantes auprès des capitaines et agents de fret (transitaires) pour obtenir l’autorisation d’embarquer sur un cargo. Un capitaine bienveillant m’acceptait enfin à bord pour une semaine de traversée jusqu’à Lumut (Malaisie continentale) distante de 2500 kilomètres. Je goûtais un repos bien mérité et prêtais la main à « marteler » sur le pont, c’est-à-dire « dérouiller » avant de le passer au minium. L’équipage se composait de Malais, d’Indonésiens et de deux Birmans. Le cargo avait tout l’air d’un empereur malais – c’était son nom – puisqu’il m’offrait la « voie royale » pour rejoindre le continent asiatique que j’avais quitté sept mois auparavant à partir de Singapour vers l’Indonésie.

Nouvel an Lisu en Thaïlande. Nous avons accosté le 24 décembre 1996 en soirée. Le 25, jour de Noël, mon passeport gardera le souvenir et la preuve de mon passage de frontière vers la Thaïlande, le royaume aux mille éléphants que j’ai retrouvé avec plaisir. Si, depuis mon départ en janvier 1996, le vietnamien et le thaï sont les deux seules langues que je n’ai jamais parlées dans les pays traversés, je décidais cette fois de prendre le taureau par les cornes et d’apprendre un peu le thaï. La saison est bonne pour ‘flâner’ au nord comme au sud avant les grosses chaleurs d’avril /mai. Lors d’une marche au confins de la frontière birmano-thaïe (triangle d’or), j’ai assisté à une cérémonie du nouvel an chinois car les tribus lisus ont la même cosmologie puisqu’elles sont arrivées de chine il y a environ cent ans. Un morceau de gras de porc, un litre d’alcool de riz et une pâte comestible sont déposées par chaque famille sur un plateau au pied d’un jeune sapin. Aux jeunes filles à marier de montrer l’exemple et tout le monde danse dans un village qui n’excède pas huit maisons.

Un billet tour du monde à 250 Fr. Si l’année 1996 m’a vu découvrir et visiter quatre pays aussi fabuleux que le Vietnam, la Thaïlande et l’Indonésie, l’Australie et revenir par des endroits paradisiaques (Timor, les Célèbes, Bali, Bornéo), je n’en ratais pas moins une occasion de « tourner autour du monde ». Dans l’attente d’un vol bon marché, je consulte les panneaux d’affichage des guesthouse sur Khao san pour y lire les petites annonces. Je reviens de Pénang (Malaisie) le 26 janvier et assiste au concert de Ravy Shankar, le plus grand cithariste contemporain originaire d’Inde. Sur mon retour vers le temple ou je suis hébergé, vers deux heures du matin, j’avise dans un hôtel un papier pour un vol à céder (250 fr.) le 28 vers les Etat Unis.

Bien mal m’en pris de ne pas avoir eu l’idée de réveiller le vendeur du billet à cette heure. Je fais ma nuit et le lundi 27 au matin mets à jour mes quatre carnets de voyage. Sur ce, je vais visiter un prisonnier à la prison centrale et seulement vers 18 heures glisse un mot sous la porte du vendeur que je reviendrais à minuit. Le départ est prévu pour le mardi. Or, je sais qu’il y a deux vols en partance : l’un le matin, l’autre en soirée. « Pourvu que le vol soit en soirée » me dis-je quand je note son absence à minuit. Les cieux ne seront pas cléments avec moi puisque le vol a lieu à 6H30 le matin. Mais ce que j’ignorais c’est que le vendeur avait décidé de passer la journée et la nuit au café sans rentrer. A cinq heures, désespéré, il brûlait son billet, sûr de l’avoir perdu. A 6H30, l’avion décollait et à 8H30 il trouvait mon message sous sa porte. De quoi s’en mordre les doigts ! Je ratais ainsi l’occasion d’un billet unique à 250 Fr. pour Cléveland (Ohio) dans la région des grands lacs. Il m’aurait suffit de boucler la « boucle » avec un vol retour vers paris à partir de New-york ou Montréal. Une occasion de ratée, mais ce n’est que partie remise. Je poursuis donc mes visites aux prisonniers en souhaitant ne pas rester bloqué aussi longtemps qu’eux puisqu’ils le sont « à vie » ( 50 ou 100 ans d’emprisonnement et transfert dans leur pays d’origine après 4 ou 8 ans d’incarcération en Thaïlande). Visitez www.bangkwang.net A la prochaine !