Des gorges de plusieurs millions d’années: Le continent australien date de 400 millions d’années. Il était rattaché à l’Afrique et à l’Antarctique et s’appelait Gondwana. Pour « sentir » ces millions d ‘années, il faut parcourir les parcs nationaux, se faufiler dans les dédales de roches et les labyrinthes où la pierre érodée, polie, patinée par les lustres donne envie d’être touchée, caressée, embrassée : petitesse de l’homme éphémère en face du temps et de la démesure d’un continent. C’est l’hiver austral (juillet à septembre) relativement doux et le moment idéal pour parcourir les déserts.

Quoi de plus impressionnant qu’un gros rocher compact (Ayers rock) au milieu d’un continent ! Quel spectacle de la nature et quelle magie de l’œil qui perçoit et s’accommode de la beauté d’un tel monstre. Le soleil dans sa course l’habille du rouge le plus vif qui soit – couleur du cœur – ou de rose, de violet ou de noir. La terre tourne mais les nuances de tons varient tous les jours. On croît rêver et le scénario est fantastique.

La question aborigène. Quand James Cook longea les côtes australiennes et proclama en 1770le continent dominion britannique, ce fut le début d’un long génocide culturel.
Les immigrants affluèrent d’Europe. Les ranchs s’installèrent et se multiplièrent près des points d’eau. Habitués à la pêche, à la chasse, à la cueillette les aborigènes sont devenus vite dépendants de ces rares sources d’eau potable. Les missionnaires ont tenté de les évangéliser et ils se sont sédentarisés. Aujourd’hui, le clivage entre les deux cultures est tel que aborigènes, repliés sur eux-mêmes, vivent sur leur propre territoire (réserve). Des autorisations de circuler sont nécessaires pour un étranger pour les traverser. Un aborigène en ville est un être perdu, misérable, alcoolique.
L’alcoolisme et une mauvaise diététique sont responsables d’un taux de mortalité où l’espérance de vie chez les aborigènes ne dépasse pas 60 ans. Dans les communautés du golfe de Savannah, où le médecin se fait rare, on y meurt de la tuberculose et de la syphilis. Le bilan sanitaire et leurs conditions de vie ne sont guère appréciables et peuvent être comparés à ceux des pays en voie de développement.

Avion – stop : Waburton est constitué par un pâté de maisons aborigènes au milieu du désert. Paul pilote un Cessna 210 et y fait le plein avant de voler vers Kalgurlie, distante de 1200 km. Il vient de déposer un cercueil dans une communauté et retourne à vide. Un conducteur de road-train m’a déjà assuré qu’il m’emmènerait mais je saisis l’occasion qui se présente. Je demande à Paul de prendre la place du mort.
Le train routier (traduit littéralement de road-train) est un monstre de 50 mètres constitué d’un tracteur et de 3 à 5 remorques pesant un total de 150 tonnes. Difficile dans ces conditions de le doubler et mieux vaut s’effacer sur le bas-côté si on le croise. Dans les Territoires du Nord, aucune limitation de vitesse n'est imposée. La multitude de kangourous écrasés et broyés sur la route ne l’ont pas compris assez vite. Comme les lièvres lorsqu’ils sont éblouis, ces animaux perdent leur instinct de survie et se retrouvent littéralement pulvérisés et hachés menu sous les roues meurtrières.
Il me vient à l’esprit que le cercueil peut être un mauvais présage. Mais pourquoi s’enfermer mentalement et se créer des barrières psychologiques qui nous empêchent de vivre ? Dépassons nos limites.
Le pilote téléphone à sa compagnie pour obtenir l’autorisation de m’emmener. Ce sera 4 heures de vol éprouvant à cause de l’intensité du vent qui nous ballote mais aussi des vues superbes où les lacs salés asséchés se dessinent sur l’immensité aride.

De Perth jusqu’au cap York: 6000 km. 30 000 km parcourus en 3 mois ont représenté un tour total de l’Australie par le littoral et deux diagonales à l’intérieur du continent.
J’ai effectué deux jours de trajet avec une famille avec 2 jeunes enfants – Calleum (2 ans) et Lucie (5 ans) – auxquels je chantais des comptines en français lors des passages délicats qui nous conduisaient au cap York. L’Australie est le terrain d’aventures idéal pour les 4x4 souvent rendus nécessaires par les conditions précaires si l’on quitte le goudron et les gens vivent éloignés les uns des autres.
Greg et Sharon voyageaient pendant 6 mois avec leurs enfants. Une tente mammouth pliable, partie intégrante d’une remorque fourre-tout (32 000 fr.) leur procurait un peu de confort tandis que les retraités préfèrent tirer une caravane (modèle européen des vacanciers). Au contraire du mobile home, il est facile de décrocher le véhicule tout terrain et de partir hors piste. Je retrouverai mes jeunes voyageurs intrépides un mois plus tard après plus de 5000 km de notre premier lieu de rencontre. Le hasard des rencontres fait la force et les bons souvenirs des voyages.

J’ai été surpris que ce soit aussi cher. Il y est très facile de faire des cueillettes et de gagner un peu d’argent de poche afin d’améliorer l’ordinaire. Et cela toute l’année car l’Australie est semi-aride donc ne connaît pas les intempéries. Les Australiens sont très agréables, serviables, accueillants. Si loin de l’Europe, d’où ils tirent majoritairement leurs racines, 7% de la population est d’origine asiatique. Les Australiens se montrent curieux, intéressés car bien éloigné de leur culture d’origine qui peut être aussi bien lituanienne, slovaque qu’italienne ou française. Les anglo-saxons prédominent et c’est un pays jeune, peu peuplé avec 18 millions d’habitants.

Le mythe est tombé: Les extrêmes (Australie, Afrique du Sud, Alaska…) représentent très souvent, pour beaucoup d’entre nous, l’inaccessible et le rêve. Un grand voyage commence toujours par un petit pas. J’ai osé et fait le premier. Un escalier de quinze marches, chacune représentant un pays traversé où j’ai stationné, m’a conduit sur un immense palier, plateau aride que constitue l’Australie. Loin de m’y perdre, j’y ai découvert les kangourous, koalas, émeus et l’authenticité de ses habitants.

Le voyage m’a paru assez simple et le temps pour l’entreprendre a effacé les distances et les kilomètres parcourus. Si l’on regarde l’atlas, ce point de vue diffère. On est saisi de vertige pas simplement parce que l’on se trouve la tête et les pieds à l’envers dans l’autre hémisphère mais le voyage devient impressionnant et frole la démesure. Après avoir parcouru des pays fabuleux – du Vietnam à l’Indonésie via le Laos et la Thaïlande – et découvert des cultures millénaires, j’envisage le retour par des terres qui ont toujours résonné dans ma tête depuis ma scolarité. Timor la portugaise et les Célèbes seront mes prochaines avant de regagner Bangkok. J’oubliais ! Une raison suffisante pour me faire retrouver l’Australie, ce sera d’aller à la recherche du tigre de Tasmanie que j’ai volontairement laissée de côté pour la prochaine fois.