Rêve prémonitoire: Un an auparavant (avril 2005), avant mon départ pour la Birmanie, une amie fait le rêve suivant : Elle me voit marcher sur une plage en Birmanie habille en moine. Le détail qui cloche; c’est qu’elle me voit enceinte ! Encore un accouchement de l’esprit qui va être difficile à réaliser. Fin mars:Préparatifs pour la cérémonie d’ordination Une semaine avant mon ordination (02 avril 2006), un camarade de classe Birman me confie qu’il a rêvé de moi : Il m’a vu habille lui aussi en moine ! Je ne peux décidément pas y échapper. Il ne croit pas si bien (pré)voir les évènements car les préparatifs pour la cérémonie d’ordination ont commencé. Je finis ma période d’examen du second semestre et Daw Myint Myint Kyi, ma marraine, s’en occupe. Je dois venir a l’heure dite le jour dit et suivre le processus : d’abord devenir novice pendant quelques minutes puis moine (a partir de 19 ans et 3 mois, age requis) quelques instants plus tard. Daw Myint Myint me procure les deux “nécessités” que sont les robes – au nombre de trois – et le bol. Les deux autres besoins dont dépendent les moines sont le toit (l’habitation) et les remèdes (les médicaments pour se soigner). En fait de robes, je les ai prévue car je veux suivre la pratique ascétique (dhutanga) basée sur l’utilisation de celles déjà usées par d’autres moines. Autrefois, la pratique permise par le Bouddha voulait que l’on regroupait les oripeaux ou autres pièces de tissus rapportées des décharges, les cousait bout a bout (patchwork) afin de s’en faire une robe. Aujourd’hui, les moines reçoivent pendant la cérémonie d’offrande des robes (appelée Kathina de mi-octobre après la fête de la lumière jusqu’a mi-mars) un set complet de trois robes neuves. Ou vont les anciennes ? Ce sont celles qui me reviennent et dont j’entends me vêtir. La procédure d’intégration dans le samgha exige la présence d’un minimum de dix bhikkhu dont un doit avoir au moins dix années d’ancienneté. Elle se déroule dans une salle d’ordination qui prend le nom de sima. Mon précepteur U. Tissa vérifie si les sets sont complets et m’autorise l’utilisation de trois jeux. Un jeu comprend une supérieur et une inférieure. Il en faut forcément un second de rechange si l’on vient à les laver. Inutile de s’encombrer de la robe extérieure en plusieurs exemplaires ce qui m’en fait six plus une donc sept au total. A celles-ci, peut être ajoutée une petite cousue main que l’on porte a l’intérieur du temple et une, carrée de petite taille (appelée nisidana en pali), sur laquelle le moine s’assoit pour éviter le contact avec le sol et protéger la robe.

La cérémonie débute par le rasage. Une vieille pendule marque l’heure, preuve s’il en est que tout est impermanent et change avec le temps qui passé (Anicca). Le sol est recouvert d’une affreuse moquette de couleur verte sur laquelle on s’assoit comme on peut. En lotus jambes croisées, les jambes repliées sous soi un peu plus handicapé ou a l’aide d’un support, une chaise ou un petit banc pose sous les fesses pour ma part. A ma droite, les novices, camarades de promotion, Sila (Inde) et Kadek (Indonésie) qui ne sont pas autorises a être présent a l’ordination en Birmanie, a ma gauche, Daw Myint Myint elle-même et Biniu, étudiante Népalaise en fin de licence (B.A b). J’y ajoute mon coupeur de … cheveux. Derrière le Sayadaw, l’Omniscient, le Bouddha en vitrine sur un autel doré, image de marbre blanc de Mandalay, des vases de fleurs a ses pieds et des statues copies de l’Eveille. Un poster de la pagode de Shwe-Dagon toute proche est collé à gauche de la vitre. Je suis déjà rasé de près. La tonte a été rapide, l’impression d’avoir affaire à un professionnel de la lame. Le rasage se fait tout en réfléchissant et portant l’attention sur les constituants (cheveux, poils, dents, ongles) de la matière finissant la peau, une approche méditative de la non permanence (Anicca). Je ne me suis pas encore touché le crane, ni regardé dans un miroir. Je n’ai pas l’impression d’avoir perdu une partie de moi-même ou d’avoir changé. Je dois pourtant me rendre a l’évidence de la fugacité de l’existence; j’ai changé depuis tout a l’heure. Je ne suis plus tout a fait le même.



« Les différentes étapes pour devenir novice » telle était l’une des questions posées a l’examen du second semestre de Viniya (code de la discipline de la vie monastique comprenant 227 lois pour les moines et 311 pour les Bhikkhunis). C’est ce que je vis en ce moment. Il y a des bhikkhu qui pourraient rentrer dans le samgha uniquement pour bénéficier de soins donnés par les médecins qui soignent gratuitement les bhikkhu. D’autres pourraient y entrer pour fuir illicitement des obligations. En premier lieu de la procédure, pour éviter ce genre de problèmes, quinze questions me sont posées, auxquelles je dois répondre de manière satisfaisante pour être accepté. :

  • Avez-vous la lèpre, des furoncles, de l’eczéma, la tuberculose, l’épilepsie ? Non, Vénérable
  • Êtes-vous un être humain, un homme, un homme libre (non marie), libre de dettes, exempt de fonction pour l’État, âgé d’au moins 20 ans ? Oui, Vénérable.
  • Avez-vous la permission de vos parents, votre bol et vos robes ? Oui, Vénérable
  • Quel est votre nom ? Mon nom est Naga
  • Quel est le nom de votre précepteur ? Mon précepteur est le Vénérable Tissa

Durant la procédure, le postulant et le précepteur prennent provisoirement respectivement les noms de Naga et de Tissa. En répondant comme indiqué ci-dessus, je suis déclare apte à entrer dans le samgha. Ce n’est pas plus compliqué.

Apres le rasage, la procédure d’intégration continue avec les chants de protection :Nous allons changer de bâtiment avant d’entamer les chants Paritta en pali, la communauté monastique constituée de 11 moines réunis en cercle autour de moi m’entoure, me protége des dangers, des esprits malséants et me donne sa bénédiction. J’ai l’impression d’être comme un lion en cage. Je suis concentre et prêt a bondir en dehors du périmètre de protection. Les moines sont de taille normale, la mienne me semble disproportionnée en fonction de la leur. Cela me parait encore plus évident sur les photos lorsque je les regarde plus tard. Je fais face au précepteur, très concentre et répète mot pour mot après lui en birman ce qu’il me dit. Le petit tabouret destine a alléger la pression musculaire au niveau des cuisses durant l’assise m’a suivi et me soulage. C’est le passage du noviciat a l’état de moine avec cette étape un peu plus longue. 02 avril 2006 Rangoon 5.47 p.m, je prends définitivement le nom de Vénérable Suriya (soleil en pali) choisi par mon précepteur U. Tissa. La cérémonie aura duré plus de deux heures mais je n’ai pas vu le temps filé. Je l’ai vécu comme un moment intense mais aussi de décontraction et de libération. Comme si je faisais sauter toutes les barrières, les unes après les autres qui, dans mon esprit, nous emprisonnent et nous handicapent à court et long terme. Faire sauter les œillères et tomber les préjugés/appréhensions vis à vis de situation vécues et des proches/parents/voisins/amis. Garder la distance et rester équanime. La fait de revêtir la robe permet d’aborder/approcher/accrocher une certaine forme de liberté qui se conjugue avec la sagesse qu’elle confère au renonçant et favoriser l’épanouissement de qualités latentes qui se développent et ne demandent qu’a s’affirmer. C’est une autre vision du monde a partager, un autre regard sur ce monde laïc que l’on vient de quitter avec toute la misère humaine, les souffrances a endurer, l’attachement, la convoitise, a un degré moindre la colère liées en grande partie a son ego (centrisme) – son soi – qui nous masque la réalité et nous tient dans l’ignorance.

Mes premières collectes de nourriture (pindapata): La robe doit être portée de telle façon que les parties du corps ne soit pas apparentes. On peut considérer cette manière de se “saucissonner” et de la porter collée à la peau comme une barrière a franchir, un obstacle qu’il faut dépasser psychologiquement en plus d’être une vraie torture avec la chaleur qu’il fait. J’ai la chance d’utiliser une robe usée jusqu’a la trame mais aussi la malchance de transpirer beaucoup. On peut établir un parallèle entre la chenille dans son cocon ou le serpent qui mue et laisse sa seconde peau avec l’image du corps/robe moulé. Nous partons pieds nus, le bol a la main pour la collecte à Hledan (Kamayut township). Deux stations de bus plus loin, nous descendons et visitons des foyers de gens relativement aisés. Je dois me concentrer sur ce qui m’est offert et porter attention a mes faits et gestes, le regard pointé quelques mètres en avant vers le sol (45% a l’oblique avec le sol). Inutile d’avoir la tête en l’air mais je peux imaginer la condition des gens en voyant leurs mains. Les femmes portent des bagues et des bracelets en or. Les appartements ou seuils de porte ou nous sommes reçus ne payent pas de mine mais ils renferment des biens de famille et quelques meubles ou statues de style. Les femmes bien habillées, ce qui révèle un goût pour l’élégance, osent quelques questions en anglais. Ma seconde pindapata a lieu dans un quartier plus défavorisé accessible a pied depuis le temple. Un autre moine m’accompagne. La population est de condition modeste et vit dans des H.L.M ou de petits cabanons individuels. L’un des appartements plutôt cossu est situé au dernier niveau de la tour. La cage d’escalier est étroite et il n’y a pas d’ascenseur. Mon moine-guide veut-il ma mort ? Il est déchirant et touchant de voir ces gens si généreux a mes pieds. Je dois accepter d’eux ce que je ne serais jamais capable de leur donner. Je remplis mon bol plus rapidement car les gens doivent penser qu’ils acquièrent plus de mérites en donnant a un étranger qu’a un autochtone. Des idées comme :’les étrangers sont plus sérieux” existent. L’Occidental exerce une certaine fascination et suscite de la reconnaissance car ils viennent vivre une vie de renonçant alors qu’ils bénéficient de plus de confort chez eux.. Avec Dhamma Sami, moine français depuis 9 ans dans le pays, j’ai l’occasion de collecter autour de la fameuse pagode Shwe-Dagon. On y trouve principalement des gargotes ou de petits stands de restauration, la pindapata est rapide et les aliments prêts a consommer car il y a toujours quelque chose de prêt pour le pèlerin de passage a la pagode.

Pindapata en Thaïlande : En Thaïlande ou je transite 3 semaines avant mon retour en Normandie, la collecte de la nourriture dure une heure environ. Elle a lieu dans un quartier animé tôt le matin car un petit marché existe. Nous allons jusqu’au bout de la rue et revenons sur nos pas. Un Kappiya voir deux laïcs est nécessaire pour transvaser le contenu de nos bols dans des sacs qu’ils portent en bandoulière. La Thaïlande moderne conditionne tout les produits manufactures. L’eau est en bouteille plastique, la nourriture offerte dans des petits sachets fermes par un élastique. Le bol est vite plein. Une à trois personnes suffisent à le remplir. Les gens sont simples et généreux. Ils sont heureux de nous voir venir a heure régulière sans compter tous ceux qui achètent un petit quelque chose a la va-vite et vous le déposent dans le fond du bol. Nous remercions par une phrase courte en Pali : Ayu wanno sukkham palang” (Je vous souhaite longue vie).

La Birmanie, terre d’élection avec peu ou pas de publicités sauvages, sexistes, dégradantes, un consumérisme modéré, des habitants a la générosité exemplaire , une vie de bonheur faite de choses simples de la vie comme le sourire, l’attention a l’autre favorise cet état d’absorption avec le spirituel. Noyer le moment présent telle une goutte d’eau dans l’éternité; voila pourquoi ce pays est fait pour les renonçants, méditants et autres méritants de toutes races qui savent encore donner du temps au temps.

Recette du moine birman a la sauce normande

Ingrédients:

  • un jeune tendron (19 ans 6 mois d’age requis, une lame (ou un rasoir électrique), une robe pour l’envelopper.
  • Raser le volontaire au plus près en évitant les coupures très superficielles.
  • Plus le crane saignera, plus le novice prendra conscience de la souffrance.
  • Lui enseigner pendant le rasage les cinq constituants finissant la peau.
  • Eliminer l’odeur corporelle en talquant les parties sudoripares dégagées.
  • Un fond de paritta peut favoriser la concentration et l’opération en cours
  • Faire aller et revenir la robe dans les mains du parrain
  • Demander à ce que les cinq préceptes soient respectés
  • Prendre refuge dans le triple gemme, le Dhamma, le Sangha, le Bouddha.