Un petit tour chez les Baltes – Lituanie, Lettonie, Estonie.
Par Benoit Grieu, :: Baltique (Lituanie, Lettonie, Estonie) :: #11 :: rss
Peu après que ces états rejetons de l’ex- U.R.S.S (Union Soviétique) soient devenus indépendants en 1990/91, l’occasion m’était donné de m’y rendre en août 1992. Ne nécessitant plus de visa, je décidais de visiter de nouveau ces pays 9 ans plus tard (août 2001) et réactiver les contacts et la correspondance par E-mail avec les gens connus au cours du premier voyage. Voir les réalisations économiques et écouter les amis parler de leur quotidien m’intéressait après une décennie d’indépendance. La société a connu de profonds bouleversements ; du tout étatisé, elle est passée au libéralisme sauvage.
La Lettonie : Les Lives d’antan. Les Coures, Zemgales, Sèles, Latgales - autant de provinces qui rappellent aujourd’hui les tribus d’origine - plus connus sous le nom finnois de Lettes ont donné leur nom au pays. Les Coures rejettent les Scandinaves à la mer et les autres repoussent les Slaves. les Lives installés sur la côte, contre lesquels sont déclenchées les croisades des chevaliers de l’ordre Teutonique, se soumettent et se convertissent à la fin du 13ème siècle. Ils subissent dès lors les destinées de la Livonie, tour à tour incorporée à la Pologne, à la suède et à la Russie.
De Ventspils au cap Kolka :retour aux sources. Je garde le souvenir d’une ville pluvieuse, polluée, grise et hideuse, que je voulais fuir. Ventspils, capitale régionale, industrielle et port le plus actif du pays me réserve une agréable surprise. Le port et la vieille ville ont été rénovés tandis qu’à l’embouchure de la rivière Venta, s’étend un parc adossé à la plage aménagée. J’y flâne une journée car Eric m’a laissé seul pour deux nuits dans l’appartement de sa grand-mère qui lui sert de pied-à-terre personnel. Il me dépose en matinée sur l’autre rive. Je veux parcourir les 75 km qui me sépare de la corne où les eaux du golfe se mélangent à celles de la Baltique. Je longe la plage sablonneuse nichée le long d’un cordon de dunes protectrices derrière lesquelles s’étend la forêt de pins. Les anciens postes d’observation militaires soviétiques disséminés le long du littoral – tourelles métalliques de plusieurs dizaines de mètres de hauteur – ont été désertés. J’adore les escalader et observer à perte de vue le tapis vert frangé de jaune qui contraste avec le bleu maritime.
Un chien domestique mal tenu en laisse par son propriétaire s’échappe et fond en furie sur moi. J’ai juste le temps de parer le coup de gueule en interposant mon sac de victuailles devant mes jambes et contrecarrer l’attaque. J’évite la morsure et les dents finissent leur course amorties par l’épaisseur d’un livre.
A l’approche de la nuit, j’hésite à continuer car je sais que l’Irbe se jette un peu plus loin dans la Baltique. Je doute de pouvoir la traverser à gué. Je continue confiant en ma bonne étoile et quelle n’est pas ma surprise sur l’autre rive, de voir surgir des bois une jeune femme élégante encadrée de trois éphèbes nus comme des vers. Elle monte dans un canoë accompagnée d’un rameur tandis que les deux autres regagnent la terre ferme à la nage. Quelle beauté des corps en harmonie avec les éléments naturels ! L’essentiel nous rapproche à l’orée de cette toison verte qui recouvre la croûte terrestre. Le ressenti est proportionnel à l’intensité du non-dit qui pénètre l’épiderme de chacun d’entre nous, communiant avec l’universel. Les premiers mots annoncent un échange qu’il serait dommage d’abréger. Pour mieux le nourrir et prolonger l’instant magique, Martins et Dace, déesse de la nature, jouent la confiance et me laisse la clé de leur appartement pour un ailleurs autrement meilleur. Je quitte avec la clef des champs et rendez-vous est pris dans la capitale lundi prochain.
20 minutes plus tard, alors que la nuit tombe, des pêcheurs russes m’invitent pour la nuit. La soirée est placée sous le signe du poisson grillé et la vodka coule à flot dans les gosiers. Yvan alterne les rasades d’alcool et les tasses de café. Les moustiques dont les piqûres infectées causent des encéphalites et la maladie de Lime sont plus facile à supporter que notre compagnon de boisson d’un soir car lui s’agite toute la nuit, tourne en rond et m’empêche de trouver le sommeil. A l’aube, l’astre rougeoyant s’élève tandis que les filets sont remontés. Mes camarades me cèdent quatre prises et je me mets en route. A Mazirbe, Je bois un thé en compagnie d’un Ukrainien déporté sous Staline. Marié à une Lettone, il vit sur une fermette et son petit-fils traduit en anglais ses questions non dénuées d’intérêt. J’atteins la pointe de Kolka satisfait d’avoir pu percer ce littoral interdit aux civils durant la période soviétique. Je cueille quelques bolets au passage, histoire d’agrémenter la cuisson de mes poissons à Riga que j’atteins par la route côtière (125 km).
Riga fête ses 800 ans: Un peu plus du tiers des habitants de la « vieille dame » sont Lettons, les autres sont, pour la plupart Russes. Autrefois village de pêcheurs, son développement économique semble bien amorcé et elle a été choisie comme « quartier général » par bon nombre d’entreprises étrangères –américaines, suédoises et finlandaises- implantées dans la région. Ses larges avenues pavées bordées d’imposantes bâtisses, ses restaurants de luxe et sa vie intellectuelle florissante durant la période d’indépendance de l’entre-deux-guerres lui valurent le surnom de « Petit Paris ». 3 jours de célébrations grandioses pour fêter dignement l’évènement ; concerts sur cinq scènes installées dans le vieux Riga avec écran géant sur chaque lieu de représentation, feu d’artifice féerique d’une demi-heure. Sur les quais de la rivière Daugava, des jeux d’adresse familier de divers pays – la pétanque pour la France – invitaient les enfants à participer et se divertir. En d’autres lieux de la ville, des thèmes différents selon le lieu où l’on se trouvait, permettait de danser, chanter, jouer la comédie à l’opéra. On pouvait s’habiller ou se restaurer au château au cours de toutes les époques qui ont marquées l’avènement de la capitale lettone.
J’attends le retour de Martins, technicien en publicité et Dace, restauratrice de fresques anciennes dont j’occupe l’appartement. Dans un monde un peu plus « habillé », nous échangeons sur nos devenirs respectifs. Ils ont pris le train en marche mais se questionnent. Epris de liberté et avides de connaître d’autres cultures, ils ont l’impression d’étouffer et souhaiteraient découvrir d’autres horizons. Dans ce monde sans pitié où l’individualisme devient la règle, oseront-ils sauter le pas ?
La Lituanie : ma favorite. En 1385, le grand-duc Jagellon et de la princesse héritière du trône de Pologne Hedwige s’unissent dans un même attachement au catholicisme romain dont font encore preuve ces peuples à la différence des autres Etats baltes. Leur empire s’étend de la mer Baltique pratiquement jusqu’à la mer Noire.
Devenue une république démocratique après la chute de l’empire allemand en 1918, la Lituanie sert de champ de bataille aux Allemands (port de Klaïpeda), Polonais (annexion de la capitale Vilnius) et se trouve dans la sphère d’influence soviétique.
Kaunas sise sur le Niémen – d’où l’escadrille Normandie tira son nom lors du franchissement de ce fleuve (oct. 44) – devint la capitale pendant l’entre-deux-guerres. Ramune, jeune étudiante avide de voyages m’avait accueillie dans sa ville natale en 1992. Elle a aujourd’hui remisé ses rêves d’adolescente et viré sa cuti. Elle a une vie stable et tout ce qu’il y a de plus sédentaire ; un travail fixe, un logement et étudie le droit pour devenir avocate. Difficile de l’imaginer dans sa nouvelle robe alors que je l’ai connue tellement différente. Elle reconnaît avoir opéré un virage à 180 degrés et ma visite réveille en elle des désirs d’évasions inassouvis.
A Vilnius la capitale lituanienne, Darius (32 ans) représente les importateurs de jouets et démarche les grandes surfaces pour les vendre. Il roule confortablement dans une belle japonaise et a le projet de construire une maison individuelle. Il a acheté le terrain à bâtir et envisage y emménager avec toute sa famille qui vit encore à l’étroit dans un immeuble modèle soviétique. La coutume lituanienne veut que le fils marié –ou la fille- habite à l’étage et les parents au rez-de-chaussée. Brigitte (31 ans) est revenue s’installer dans la maison familiale que son père entrepreneur a déjà fait construire. Elle travaillait au ministère des finances et après plusieurs stages de formation à l’étranger s’occupe du département des statistiques. Rasa gagnait 50 fr. mensuel en tant que biochimiste il y a 9 ans et à peine 3000 fr. actuellement dans une banque. Certains plus chanceux payés par des sociétés étrangères ayant investit atteignent les 4000 fr. Une minorité de biznessman s’est faite toute seule et s’enrichit continuellement avec des revenus dépassant les 10 000 fr. alors que les salaires moyens plafonnent autour de 2000 frs.
Mythique Courlande : Entre légende et réalité. La presqu’île de Courlande est un phénomène unique dont la beauté naturelle fascine. Langue de terre sablonneuse d’une centaine de kilomètres, elle s’étend au large de la cote lituanienne, russe et polonaise. Chaque pays lui donne un nom différent comme si le caractère extraordinaire de cette bande terrestre devait lui revenir.
Neringa, jeune fille aux cheveux blonds, était née dans une famille fixée sur l’une des îles alors isolées. Elle devint une géante qui veillait sans cesse sur les pêcheurs jusqu’au jour ou le dieu de la mer s’irrita et provoqua de violentes tempêtes. On implora Neringa qui, grâce à sa force, transporta dans son tablier des tonnes de sable et délimita la pointe de Courlande. Les pêcheurs purent ainsi jeter leurs filets dans l’eau calme du lagon.
A l’embarcadère, Daina – nom donné aux poésies populaires du moyen-age - pharmacienne de métier et sont mari ingénieur en travaux publics rejoignent Nida, véritable musée à ciel ouvert situé à 50 km, près de la frontière russe. Ils vont chercher leurs enfants et passer quelques jours chez sa mère car Daina est originaire de Nid’amour. Ce village niché entre deux dunes non fixées, la forêt et adossé à la lagune est le point le plus étroit de l’isthme : 2,5 km le sépare du golfe. Après des journées de marche en forêt ou à longer les dunes protectrices du ruban de sable, je leur rends visite le soir. Une authentique isba bâtie de rondins m’accueille pour la nuit. Seul un poêle à bois trône dans un coin de la pièce unique et les vacanciers aspirent à un peu plus de confort de nos jours ; ce chalet délaissé au profit de chambre d’hôte me convient parfaitement pendant mon séjour.
La colline des croix de Siauliai: Photographe indépendante pour le quotidien national, Aurélie est plus à l’aise pour s’exprimer en français. Au cours de ce voyage, je parle anglais, allemand, et russe mais c’est la seule interlocutrice avec laquelle il m’ait donné de converser en français. Je décline les formules de politesse et les salutations dans chaque langue respective très distincte l’une de l’autre. Le lituanien et le letton sont des langues indo-européenne tandis que l’estonien fait partie de la famille finno-ougrienne au même titre que le finnois et le hongrois. Aurélie assure la couverture d’un évènement promotionnel concernant de nouveaux modèles automobiles. Je patiente avant de quitter la presqu’île en sa compagnie. Le lendemain, je fais le détour par un curieux site où des centaines de petites croix ont été plantées là après le soulèvement lituanien contre le tsar en 1863. Les familles ayant perdu des proches et n’ayant pu retrouver les tombes ont inauguré ce cimetière improvisé. Lors des épurations staliniennes, la coutume fut reprise et les croix fleurirent au fur et à mesure que s’allongeait la liste des déportés. Bien qu’interdites par le régime soviétique qui ordonnait aux soldats de les arracher, elles repoussaient dès le lendemain et devenaient le symbole silencieux de la contestation populaire. On vient s’y faire prendre en photo et à l’occasion immortaliser les jeunes mariés.
Estonie :le petit Poucet avec un appétit d’ogre: Plus petit que ses voisins Baltes, le pays s’est visiblement plus vite adapté au système capitaliste. L’atmosphère scandinave est perceptible dans les rues de la capitale et les investissements financiers des grands frères suédois et finnois sont conséquents. 2/3 d’Estoniens de souche et 1/3 de russes peuplent le pays et plus de la moitié des habitants de Tallinn sont russes. La principale caractéristique qui les différencie totalement des Lettons et Lituaniens est la langue d’origine finno-ougrienne. Ils vous le font savoir très rapidement et en tirent une certaine fierté. Regina (22 ans) m’héberge pour le week-end et nous partons à bicyclette vers l’est le samedi. Je mets le cap à l’ouest le dimanche et longe sur une centaine de km la cote. Je fais un détour par les ruines d’un splendide monastère cistercien construit en 1317 par des moines scandinaves. Heureusement qu’un léger vent arrière me pousse vers la capitale car la nuit se profile. Moins de 2 heures me suffisent pour parcourir à peine 70 km. J’ai totalisé 220 km et retrouve mon hôtesse d’accueil rencontrée sur Internet et avec laquelle je corresponds depuis plusieurs semaines. Elle a passé un an au Etats-Unis en tant que fille au pair et travaille actuellement comme responsable chez un opérateur téléphonique. Ce dernier casse les prix et ses méthodes pour conquérir le marché sont limite déloyales et qualifiées d’agressives. Elle soutient pleinement sa démarche commerciale et pour elle, sa position sociale compte avant tout. Elle ne se soucie pas des autres car chacun doit faire sa vie quitte à affaiblir le concurrent. Une nouvelle génération opportuniste est arrivée sur le marché et l’époque soviétique ou l’ouvrier vivait la promesse d’un monde égalitaire que le tout-étatisé n’a jamais pu lui apporter est bien loin.